Les lenteurs déraisonnables de la justice française
Un chroniqueur judiciaire de renom a récemment « dénoncé » des procès fleuves et interminables. J’ai souhaité expliquer ici ce qui se passe pour ce que l’on appelle les affaires politico-judiciaires où la lenteur est savamment travaillée et donner aussi deux exemples concrets où la presse judiciaire dans son ensemble n’a pas toujours fait tout simplement son devoir : être présente. Paul VILLACH, voxien d’expérience, a bien voulu m’aider à être un peu plus digeste et meilleur pédagogue. Je lui exprime ici ma reconnaissance.
À l’occasion de l’ouverture d’un procès prévu pour durer jusqu’au 4 juillet 2007 devant les assises du Bas-Rhin, le chroniqueur judiciaire du FIGARO s’étonnait récemment d’une justice succombant à la mode des procès interminables. Et l’auteur de rappeler que DREYFUS fut jugé en 4 jours, LANDRU, DOMINICI et le Maréchal PETAIN entre douze jours et trois semaines. Les magistrats et des avocats, n’utiliseraient-ils pas la tribune pour leur propre gloire en alourdissant à plaisir les procès d’assises par une multitude de citations de témoins, d’experts et autres obstacles retardateurs, comme disent les militaires ? On ne peut le nier : même si on ne s’y attend pas, cabotinage et marketing commercial ont pénétré, les prétoires : bien qu’étrangers à un procès en cours, des avocats aiment s’y faire voir pendant que les télévisions sont encore autorisées à filmer....
Une affaire politico-judiciaire
« L’affaire dite des écoutes de l’Elysée » que ce même chroniqueur cite en exemple de ces procès sans fin, mérite toutefois quelques précisions complémentaires, qu’il s’agisse de l’instruction ou du procès correctionnel proprement dit. Pourquoi, en effet, l’instruction par le Juge VALAT, a-t-elle duré près de dix ans, le procès correctionnel en première instance, 4 mois, et en Appel 10 jours ? Parce qu’il s’est agi tout simplement, chacun l’aura déjà deviné, de ce que l’on appelle une affaire politico-judiciaire.
Gagner du temps, toute une stratégie
En pareil cas, le pouvoir, lato sensu, fait tout pour bloquer ou retarder le déroulement de l’instruction. Tour à tour, les mis en examen ou les témoins assistés, quand ce n’était pas le Parquet, ont ainsi multiplié les « incidents de procédure ».
- Le seul fait de saisir la Cour de cassation sur un point de droit permet par exemple de gagner plusieurs mois dans l’attente qu’elle statue.
- Un grand classique du genre est aussi d’opposer « le secret-défense » : tel document ne pouvait être produit car, prétendaient des mis en examen, il relevait du « secret-défense » ! Sait-on qu’il faut à un juge beaucoup d’énergie et vouloir surtout manifester une réelle volonté d’indépendance pour tenter de lever l’obstacle ? Cela suppose, en effet, de s’adresser une ou plusieurs fois au Premier Ministre pour lui demander le déclassement de la pièce. Des mois peuvent s’écouler pour parfois ne rien obtenir ou alors que des levées partielles insuffisantes ; mais c’est toujours autant de temps gagné !
- Il arrive qu’entre temps, les responsables à l’Hôtel Matignon changent et le juge doit retenter sa chance. A ce rythme on tient des années... Commencée en 1992 sur la plainte d’ Antoine COMTE, l’avocat des Irlandais de VINCENNES, » l’affaire des écoutes de l’Élysée », après quelques splendides rebondissements, ne viendra en première instance qu’en 2004 et ne sera jugée en appel qu’en 2007, soit 12 et 15 ans après !
Des prévenus ravis
Pendant ce temps, les prévenus ont toutes les raisons d’être souriants et détendus :
- D’abord, à cette date, la loi d’amnistie - à chaque élection présidentielle - sera déjà passée trois fois sur les faits incriminés de la période 1983-1986. Ils ne risquent donc plus grand chose.
- Ensuite leur défense ne leur aura pas coûté un centime puisque, conformément à l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, c’est l’Etat qui prend en charge tous les frais de défense de ses fonctionnaires « attaqués à l’occasion de leurs fonctions ». Messieurs les prévenus Christian PROUTEAU, Jean-louis ESQUIVIE, Gilles MENAGE, Eugène CHARROY et Pierre-Yves GILLERON n’ont donc pas eu à débourser quoi que ce soit. En revanche, les parties civiles, c’est-à-dire les victimes dont j’étais, ont eu à régler évidemment leurs avocats sur leurs deniers personnels.
Des heures tardives en l’absence de la presse
Le chroniqueur judiciaire cité plus haut n’a pas tort non plus de se plaindre des audiences de certains procès qui se terminent tard dans la nuit. Mais qu’y faire ? C’est à croire qu’avant d’en venir à l’essentiel, le tribunal attende que la presse quitte les lieux pour des raisons de bouclage de numéro par exemple. J’ai ainsi, moi-même, dans ma longue tourmente judiciaire de 24 années, été deux fois « victime » de l’absence de la presse qui "finit tôt".
- Lors de « l’affaire dite des Irlandais de VINCENNES » (28 Août 1982) - d’ailleurs jamais jugée en tant que telle !!! - il n’y avait plus un seul journaliste dans la salle de la 17ème Chambre Correctionnelle de Paris le 25 juin 1991 à 23H30, pas même le correspondant d’un « quotidien dit du soir », quand le Préfet PROUTEAU a été littéralement « enfoncé » dans le procès en "subornation de témoins" par deux témoignages majeurs : celui du journaliste Pierre PEAN et celui de son ex-subordonné à la cellule Elyséenne, le commissaire Pierre Yves GILLERON. Le lendemain c’était le réquisitoire... .et médiatiquement toute la partie importante est donc passée "à l’as". D’où la "surprise" générale lors du jugement ...rendu le 29 septembre 1991 : PROUTEAU et BEAU prenaient 15 mois de prison chacun avec sursis ! Cette peine, au-delà des seuils fixés par la précédente amnistie de 1988, n’était pas amnistiable ! Diable ! Heureusement, la Justice sait parfois être rapide : la Cour d’Appel de Paris a alors battu le record du monde des délais pour rectifier ce jugement en moins de deux mois (!), pour finalement relaxer PROUTEAU "au bénéfice du doute" et abaisser tout de même la peine du Lieutenant-Colonel BEAU à 12 mois pour lui permettre d’être amnistiée. Fermez le ban ! ordonnent les militaires.
- La même absence totale de journalistes s’est reproduite le 5 décembre 2006, à 19H30, dans « l’affaire des écoutes de l’Élysée » devant la Cour d’Appel de Paris. Répondant à une question de la Présidente de la 11ème Chambre de la Cour, Mme Laurence TREBUCQ, PROUTEAU a indiqué contre toute attente qu’il était clair, à propos de « l’affaire du 28 Août 1982 à VINCENNES » que "Paul (BARRIL) avait chargé la mule" ! Il reconnaissait par là que BARRIL avait bien amené sur place les armes et explosifs pour confondre les malheureux irlandais. Mais quel journaliste était là pour l’entendre ?
Des jugements surprenants pour allonger la procédure ?
La lenteur déraisonnable de la Justice française, souvent condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, trouve encore d’autres explications dans des appréciations surprenantes sinon extravagantes que se permettent d’avoir des tribunaux de première instance et qui allongent inutilement les procédures en obligeant les victimes à faire appel. Ainsi, « l’affaire des écoutes de l’Élysée » - encore elle ! - a-t-elle connu le 13 mars dernier un rebondissement. L’arrêt de la Cour d’Appel de Paris a tout simplement désavoué le jugement qui lui était déféré par les victimes : le devoir d’obéissance au président Mitterrand, allégué par PROUTEAU et consorts, est-il rappelé, ne dispensait pas les coupables de ses écoutes de se soumettre aux principes constitutionnels de la République ! Ces délits n’étaient donc pas des « fautes de service », comme le soutenait à tort le premier jugement mais des « fautes personnelles accomplies à l’occasion du service ». La conséquence n’est pas mince pour les condamnés : ils devraient normalement être contraints de rembourser tous les frais de justice que l’État a pris en charge pour leur défense. Sans doute, ont-ils saisi la Cour de Cassation pour tenter d’y échapper, mais cet appel n’est pas suspensif.
On le voit, « l’affaire des Irlandais de Vincennes », « L’affaire des écoutes téléphoniques de l’Élysée », ainsi que d’autres comme « l’affaire d’Outreau » et peut-être bientôt « l’affaire Boulin », permettent de dresser un état des lieux d’une Justice française aux lenteurs déraisonnables. Qui peut prétendre qu’elle remplit aujourd’hui le rôle majeur qu’une démocratie lui assigne, celui d’être le dernier rempart de la paix civile ?
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