Les liaisons dangereuses de Monsieur Sarkozy
Aimer ou quitter la France ?
La France, tu l’aimes ou tu la quittes, nous dit Monsieur Sarkozy, avec la force d’une évidence.
Leave it or love it. On l’affiche, outre-Atlantique, sur le coffre de la bagnole, sympathique slogan, si subtil jeu de mot, plus fin que Dog watch out. Mais même effet.
Tant que le slogan des ultra-nationalistes américains était exploité par l’étrange, pittoresque, et néanmoins pestilentiel marais de l’extrême droite française, Le Pen et de Villiers, l’on se contentait juste de contempler, avec peut-être un petit frisson dans le dos, comme chaque fois que l’on se confronte, par hasard, aux mécanismes marginaux et mystérieux de la biologie ou de la faune - les virus, les blattes - en se disant, mal convaincu : "Il en faut sans doute, mais ne pouvait-on éviter de les faire si laids ?"
Or, Monsieur Sarkozy, ministre de l’Intérieur, ministre d’Etat, président du principal parti politique de droite et président de la République, sinon vraisemblable, non invraisemblable, reprend l’éther Ô combien volatile et explosif de la relation affective entre un Etat et ses ressortissants.
Et l’on commente, comme s’il s’agissait d’une assertion recevable dans notre jeu démocratique.
Un dicton de droit anglais dit : Remedies precede rights. La procédure précède le droit. Avant d’entrer dans le débat au fond, il convient, dans la tradition démocratique, de respecter certaines règles de forme et de recevabilité.
Notre démocratie, qui honore tant Monsieur Sarkozy, n’est pas ici payée en retour.
D’abord, voyons l’objet aimé, la France.
L’on nous dit, en gros, qu’il est moralement normal et politiquement souhaitable qu’un résident français aime la France.
Certes. Je pense, comme ça, entre autres, à Michelet, Péguy, de Gaulle - l’historien, le poète, l’homme d’Etat - qui ont su dessiner une œuvre, mystique et émouvante, une idée de la France.
Je pense à Aragon,
"[...]
Je vous salue ma France où les blés et les seigles
Mûrissent au soleil de la diversité [...]"
Je pense à la Résistance française et à ces héros qui ont sans doute aimé assez pour vouer leur vie à la lutte contre un occupant, je pense à mon ami Léon, vieux juif rescapé, maladivement joyeux, insupportable et impeccable, de père lituanien et de mère polonaise, 14 ans en 1939, qui me raconte toujours la même histoire. En gros : "On n’était pas des héros, faut pas croire ça. On se posait même pas la question. C’était tout simplement insupportable, insupportable..."
Je pense à Racine, qui ne m’empêche pas d’être fasciné par les conteurs arabes, au contraire, à Pascal, Descartes, Montaigne, Villon ... qui m’ouvrent vers Averroès, Avicenne...
Plus j’aime, effectivement j’aime, cette mystique française, moins "l’autre" m’inquiète.
Je souhaiterais alors que Monsieur Sarkozy définisse ce qu’il imagine être "la France", ce qu’il lit, ce qu’il voit, ce qu’il écoute, ce qu’il boit, ses grands hommes, ses femmes fatales... Pas sûr que nous partagions tout. Dans tous les cas, il n’est pas qualifié ni légitime pour définir la mystique française. Il pourra éventuellement la représenter, si l’électeur lui prête vie politique.
Ensuite, qu’est-ce qu’aimer la France ?
J’aime pas la France : la bureaucratie française me gonfle, l’accent flagorneur et aigu des journalistes d’entre guerres m’insupporte, j’aime pas la cuisine en sauce, le vin avec le fromage, le PSG, Le Pen, les petits marquis... J’aime la France : Ravel, René Char, Léon Blum, Diderot, les mirabelles de Lorraine, Chopin... j’aime pas trop Voltaire et j’aime l’esprit voltairien, Céline est un exhibitionniste merdeux vaguement doué et très opportuniste, vivent Verlaine et Diderot...
Ces histoires d’amours et de désamours dans un espace mélangé aux autres, avec une langue mélangée aux autres, font une nationalité.
Je crains pourtant que l’on ne confonde ces relations convergentes, affectives, complexes, subtiles, profondes, pudiques et solidaires, qui font une nation, avec "l’affection" brutale d’un client pour une pauvre fille au bénéfice exclusif d’un souteneur.
Travaillez, Monsieur Sarkozy, calculez moins sans doute, oubliez vous un peu pour mieux ressentir les mânes des anciens et des modernes qui font la France, et vous trouverez, peut-être, la voie d’un lien social. C’est important pour un homme politique... français.
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