Les lois mémorielles nous feraient-elles perdre la tête ?
Le 12 octobre, la loi, proposée par le député socialiste M. Didier Migaud, punissant la négation du génocide arménien, a été votée par l’Assemblée.
Mais
avant d’entrer dans le vif du sujet, un bref rappel historique
s’impose. De
1915 à 1917, au cours de la Première Guerre mondiale,
le gouvernement Jeunes Turcs de l’Empire ottoman a fait déporter
et tuer une grande partie de la population arménienne. Ces
massacres, désignés comme le génocide arménien,
sont unanimement admis. Seule la Turquie refuse le qualificatif de
génocide pour désigner ces massacres. Ce négationisme
turc est dénoncé par de nombreux historiens et par la
communauté arménienne.
Le
vote de lois de ce type pose un problème en ce qui concerne
notre démocratie. En effet, certains députés,
sentant que la communauté arménienne de leur
circonscription constituait un poids électoral important, ont
voté une loi totalement irresponsable qui décrédibilise
l’action du Parlement. Ainsi, le vote de lois purement électoralistes
en vue des échéances législatives de 2007
n’améliore en aucun cas la perception que les citoyens ont de la
politique.
De
plus, l’utilité d’une loi punissant la négation du
génocide arménien est toute relative puisque la France
s’est déjà dotée d’un texte, le 29 janvier 2001,
qui stipule qu’elle reconnaît publiquement l’existence du
génocide arménien. Cette nouvelle loi vient en
complément du texte de 2001. L’appareil législatif
français n’avait donc aucunement besoin de s’encombrer d’une nouvelle loi qui n’apporte rien à la position de la France
sur ce sujet.
Une
telle loi a provoqué quelques incidents diplomatiques. En
effet, les Turcs ont l’impression que les députés
français les forcent à reconnaître leur passé.
Soit dit en passant, la France ferait mieux de reconnaître
toutes les erreurs de son passé avant d’imposer cela à
d’autres pays. Par conséquent, de nombreux Turcs ont montré
leur mécontentement à travers des manifestations devant
les ambassades de France d’Ankara et d’Istanbul. Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a condamné
lui-même cette loi et a demandé à M. Chirac, lors d’un entretien téléphonique, de la retirer au plus
vite (ce que devrait faire le président).
Mais
au-delà de tous les calculs électoralistes et des
quelques incidents diplomatiques, il faut voir à travers ce
texte tout le problème que posent les lois mémorielles.
En effet, ces dernières sont des lois déclarant, voire
imposant le point de vue officiel d’un Etat sur des
évènements historiques. Sont donc à classer dans
cette catégorie les lois Gayssot (punissant la négation
des crimes contre l’humanité), Taubira (reconnaissance par la
France de l’esclavage comme contre l’humanité et enseignement
de l’esclavage comme tel dans les écoles) et l’article 4,
désormais retiré, de la loi du 23 février 2005
qui reconnaissait « en particulier le rôle positif
de la présence française outre-mer, notamment en
Afrique du Nord et accordait à l’histoire et aux sacrifices
des combattants de l’armée française issus de ces
territoires la place éminente à laquelle ils ont
droit ».
Un peu moins d’un an après le débat qui avait enflammé la France autour des effets positifs de la colonisation, les députés français persistent et signent dans la bêtise ! De plus, il est amusant, mais surtout désolant, de constater que des députés socialistes renient les arguments qu’ils avaient utilisés à bon escient lors du débat sur la colonisation positive, en proposant une loi décrétant une vérité historique à l’instar de la loi votée en février 2005. Ces lois empêchent la progression de la recherche historique, puisqu’elles présentent un fait historique comme une vérité générale : le révisionnisme sur ce sujet devient alors beaucoup plus difficile, voire impossible.
Outre qu’il fige la recherche, le Parlement n’est pas dans son rôle lorsqu’il décide de légiférer sur l’histoire. En effet, comme cela a été rappelé à l’occasion du débat autour de la loi du 23 février 2005, l’histoire appartient uniquement aux historiens et ne doit être écrite que par les historiens qui, eux seuls, sont spécialistes de cette matière et sont aptes à s’approcher de la vérité.
De plus, ces lois empêchent le débat autour de cette question, et l’on oublie vite alors les raisons qui prouvent la réalité de ce génocide : en quelque sorte, on semble donner raison aux négationistes.
Enfin, ces lois sont totalitaires dans le sens où elles dictent aux gens ce qu’il est bien de penser : elles sont donc fondamentalement liberticides. Le prêt-à-porter est désormais supplanté par le prêt-à-penser qui ne doit subir aucune contestation. Ces lois mémorielles sont donc inadmissibles dans une démocratie qui se réclame des droits de l’homme et qui érige la liberté d’expression en principe fondateur de sa république.
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