Les loups reviennent, l’histoire n’est pas finie
La France, aujourd’hui terre de libertés par excellence, ne peut laisser les brouillards de l’histoire revenir au galop. Ils doivent aujourd’hui être jetés en pâture.
Les leçons tirées de la Seconde guerre mondiale ont mis une première fois l’histoire à genoux. Ses maîtres n’étaient plus des criminels contre l’humanité, lobotomisés par la nature humaine et son penchant animal.
Une fois la fin du règne communiste en U.R.S.S., le triomphe de la démocratie était assuré en Europe. Le peuple éclairé allait alors assumer pour longtemps le destin national.
Les penseurs nous le faisaient légitimement penser. Les preuves nous apparaissaient là, sous nos yeux. La démocratie était devenue universelle, pleinement intériorisée dans notre Nation.
Quand Francis Fukuyuma abordait dans les années 1990 ce thème de la fin de l’histoire, la critique ne pouvait que saluer. Plus qu’une période pacifique, la nouvelle Histoire connaitrait la démocratie et sa liberté politique de façon universelle. Les quelques éventuelles voix discordantes étaient par la suite mises au rebut par le philosophe mais surtout ancien ministre de l’Éducation nationale Luc Ferry.
Aucun doute selon lui : « les valeurs démocratiques s’imposent chaque jour davantage au niveau mondial comme les seules légitimes, bien plus : comme les seules imaginables ».
Dès lors, soyons tout ébaubi. Comment réagir face au déferlement de haine que notre démocratie a subi samedi 9 février ? Avec une modération scientifique incertaine, l’ancien Ministre s’exclame lors d’une intervention télévisée « il y a un moment où ces espèces de nervis, ces espèces de s***** d'extrême droite ou d'extrême gauche (…) ça suffit ».
Les annonciateurs de l’achèvement de la démocratie semblent ne pas avoir prévu ce retour impromptu de l’histoire, celle des théories moyenâgeuses aussi récentes soient-elles à l’échelle de notre époque.
Effigies nazies, chants antisémites, slogans anarcho-communistes. L’histoire revient au galop. Jamais depuis le nazisme, le tag « Juden » n’avait été peint sur une devanture de magasin. Jamais depuis la crise du 6 février 1934, l’Assemblée Nationale n’avait subie une tentative d’envahissement. L’histoire est maintenant là, face à nous, exigeant un combat aussi intense que celui mené par nos institutions contre l’intégrisme religieux.
Les causes du retour de l’histoire sont identifiables.
En déclarant la démocratie universelle et inaliénable, Luc Ferry, ancien Ministre de l’Éducation nationale décelait pourtant qu’elle « est le seul mode de gouvernement qui convienne à des peuples adultes ». Mais la France est-elle un peuple adulte ?
En oubliant ses préceptes d’instruction au profit de « l’éducation », l’école de la République a oublié son rôle d’instruire les citoyens.
Si le citoyen éclairé est au coeur du concept républicain, l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 conférant aux individus les principes de libre-pensée et de libre-opinion, notre peuple n’est pas adulte.
Aussi, l’échec est flagrant lorsque 10% des français affirment n’avoir jamais entendu parler de la « Shoah ». Pire encore, le pourcentage est plus élevé (21%) chez les jeunes français (tranche 18-24 ans) attestant ici de la faillite de l’intériorisation des morales de l’histoire.
Autre chiffre autrement plus révélateur. Près de 4 français sur 10 acquiescent l’idée de conférer à un régime autoritaire le destin de notre Nation. Ou bien les français sont d’effroyables despotes, ou bien ils ne connaissent pas la portée des mots.
Pourtant, dans un décret datant du 27 brumaire An III, Condorcet énonçait le rôle primaire de l’école ; il s’agit de « rappeler les droits et devoirs » du citoyen et d’enseigner « la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».
Aujourd’hui, quelle serait la proportion de jeunes sachant citer deux droits et devoirs que confèrent la vie dans un État de droit tel que le nôtre ? Cette proportion, une fois établie, pourrait-elle résister face à la proportion de jeunes sachant nommer deux « Youtubeurs » ?
L’école est mise au second plan par les français. Elle est démodée et ne fait plus rêver. Mais pire encore, elle permet de moins en moins la création de citoyens éclairés, à même de se construire une opinion politique. La tâche est encore plus ardue lorsque l’on exige que cette opinion soit modérée et en totale adéquation avec notre système démocratique.
Les solutions sont là.
La réponse de l’État est obligatoire. À court terme, elle doit passer par des services territoriaux plus forts et à même d’éliminer la gangrène à la racine. Les colporteurs d’idéologies extrémistes doivent également subir une réplique pénale à la hauteur de l’atteinte qu’ils portent à nos valeurs et notre système politique.
La réponse de l’État est obligatoire. Une remise au premier plan de l’instruction civique serait d’ores et déjà un pas en avant dans la lumière. Par expérience, l’enseignement des valeurs de notre Nation est aujourd’hui transformé en « éducation » civique et se résume de fait à un jardin d’enfants. Plus exceptionnellement, l’heure de cours pouvait se destiner à la poursuite de programmes scolaires d’autres matières. Il s’agit pour l’enseignant, davantage tourmenté par sa prochaine inspection académique, de montrer son professionnalisme en respectant les consignes bureaucratiques issues du ministère de l’Éducation Nationale. Rappelons ici l’ancienne responsabilité au sommet de l’État que fut celle de Luc Ferry.
La dernière génération témoin de l’histoire funeste disparaît petit à petit signe pour certains de la fin de celle-ci. Pourtant, le combat contre les idéologies obscures de l’esprit doit se perpétuer. L’antisémitisme, l’extrémisme de droite et de gauche et le complotisme reviennent au galop.
Aussi élaborées soient-elles, les idéologies nauséabondes sont naturelles. Sur le long terme, seule l’instruction est le remède au retour de l’histoire afin d’élever l’homme vers la lumière intellectuelle ; sans quoi notre bien politique est en danger.
Aron avertissait déjà : « nous le savons, l'homme est un être raisonnable, mais les hommes le sont-ils ? ». Alors au travail, et vite.
Sources :
Fukuyama, F. (1989). The end of history ?. National interest.
Ferry, L. « Fin de l’histoire : Fukuyama avait raison », Commentaire, vol. numéro 134, no. 2, 2011, pp. 487-488.
IFOP (2018, 20 décembre), L’Europe et les génocides : le cas français. Récupéré sur : https://www.ifop.com/publication/leurope-et-les-genocides-le-cas-francais/
IFOP (2018, 31 octobre), Les Français et le pouvoir. Récupéré sur : https://www.ifop.com/publication/les-francais-et-le-pouvoir/
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