Les marques prennent la parole
L’entreprise est appelée à jouer un rôle croissant dans le débat public. Elle ne peut plus se contenter de produire et de vendre, il faut qu’elle prenne la parole. La marque est son porte-voix.
Le bras de fer qui a opposé cet hiver la grande distribution à ses fournisseurs est un signe des temps. La part des marques de distributeurs en magasin atteint jusqu’à 60% pour certains produits, en général de 20 à 30% moins chers. Certains estiment qu’à brève échéance, 80% des marques sont appelées à disparaître dans la guerre qui est en cours, et dont l’enjeu n’est pas que le prix.
La stratégie des fabricants est de se concentrer sur une marque vedette ; BSN devient Danone, et le nom figure sur tous les produits. Longtemps anonyme, la personnalité morale et juridique des industriels de la grande consommation converge de plus en plus vers une marque fédératrice. Pourquoi cette tendance ?
Un spot publicitaire à la gloire de l’iPod a fait le tour du monde sur Internet. Réalisé par un amateur épris du produit, il a échappé au contrôle d’Apple qui n’a pas réagi. Mais les exemples se multiplient ; la puissance du réseau va contraindre les entreprises à s’exprimer en réponse au buzz, une rumeur spontanée les concernant pouvant se répandre en un éclair.
Forcée d’entrer dans le débat public, l’entreprise est conduite à parler de tout, y compris des sujets de société. Sa personnalité morale et juridique se double désormais d’un être parlant dont la marque n’est que le visage. Longtemps enfermée dans le champ restreint du visuel, la marque brise le miroir et prend la parole. Or, un produit ne parle pas, seule l’institution le peut, car elle est la fabrique des mots. Elle fournit le texte à ce véritable personnage en quête d’auteur qu’est devenue la marque.
Le désenchantement du monde, la dissolution du lien social sont un constat. Conformément aux prédictions de Schumpeter, les grandes institutions de nos sociétés sont laminées une à une par l’activité marchande. De nos jours, la grande entreprise, celle qui porte une marque connue et dotée de la parole, est en passe de devenir l’institution de référence. Elle supplante ses grandes rivales non marchandes qu’étaient par exemple la famille, l’Etat ou l’Eglise.
Le naufrage annoncé d’une quantité de marques, organisé par la grande distribution, correspond à un processus de sélection naturelle où seules subsisteront donc celles qui ont quelque chose à dire. La vogue du sociétal et de l’éthique est un symptôme de leur personnalisation croissante. Mais ce volontarisme laborieux s’épuise en voulant leur assigner des responsabilités avant même d’écouter ce dont elles souhaitent parler. On serait surpris par la richesse des pensées et paroles inconscientes d’entreprises comme le Club Méditerranée ou bien la Fnac. Leur contenu à caractère non marchand dépasse largement le cadre étroit dans lequel on veut les enfermer.
Trop de messages publicitaires sont encore en décalage évident avec le discours inconscient produit par les marques et les entreprises. Il est plus facile de composer une image que de fabriquer un discours authentique ; si l’une peut être imposée, l’autre exige une interprétation.
Tel est le défi auquel sont confrontées les entreprises qui veulent exister sous leur propre identité ; elles doivent apprendre à reconnaître ce que parler veut dire. Les autres sont vouées à entrer dans la cohorte anonyme des sous-traitants de la grande distribution, les fabricants de produits qui n’ont rien à dire.
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