Il est des vocables, des mots, des expressions qui tristement, se résignent à n’être plus employés et à disparaître en une dernière virevolte dans les brumes de l’oubli (ptain ! c’est beau comme une rédac de 5ème).
C’est le cas de « Intérêt Général ». Cette désormais obsolète notion était caractéristique de la globalisation du bien-être, dans un cadre social et politique bien défini et qui s’adressait aux individus composant une nation démocratique et qué s’appellorio « citoyens ». Celui qui a dit « Quezac » peut sortir, je ne le retiens pas.
Sauf que nous ne sommes plus des citoyens. Le lobbying des transnationales, les technocrates bruxellois, les banques, les places boursières, les conglomérats d’actionnaires et surtout nos gouvernants successifs ont fait en sorte que nous ne puissions plus nous réclamer de la citoyenneté pour nous jeter dans les filets du Marché. Nous sommes devenus, de fait, des clients. Et dans cet ensemble « clients » » il faut encore faire un tri. Les clients solvables et les clients insolvables. Afin de maximaliser les profits au sein de micro univers, privés ou publics, dont la rentabilité ne doit plus poser question.
L’hôpital par exemple doit désormais être rentable. La santé doit donc être rentabilisée. Par quels moyens ? Toujours les mêmes… Réduire le nombre d’employés. Baisser les salaires. Raccourcir les séjours. Supprimer des lits et les petites structures hospitalières afin de centraliser les « clients » de la santé dans une mégastructure chargée de faire des économies d’échelle. Embaucher des administratifs chargés d’analyser les coûts de chaque poste et mettre en place des process auxquels les employés (infirmières, aides-soignants, médecins) doivent rendre des comptes. Au détriment de ce pourquoi ils ont été formés. Et au détriment des « clients » c'est-à-dire des malades. Malades qui pour certains seront géographiquement très loin de la mégastructure avec les dangers que cela induit, quand d’autres attendront sur des civières le long de couloirs sillonnées par des soignants en sous-effectif dont les têtes bouillonnent d’urgences qu’ils ne peuvent plus assumer.
Vous allez me dire, et ce fameux tri, au fait, il est où ?
En amont… Le client solvable ne va quasiment plus à l’hôpital. Il va en clinique privée. Il est pris en charge par des équipes spécialisées qui ont moins de patients que l’hosto et donc plus de temps à leur consacrer. Le client solvable a les moyens d’assumer les dépassements d’honoraires et le prix des chambres individuelles avec le précieux concours de la Sécu dont nous sommes tous de joyeux contributeurs. C’est bien foutu, hein ? C’est un peu la différence entre un client de chez Fauchon et celui de Lidl. Entre un costard Armani et un de chez Tati. Chacun achète selon ses moyens même si ces moyens sont aspirés d’un côté pour arroser l’autre. C’est une autre version du fameux “ruissellement” et celui-ci défie jusqu’aux lois régissant l’univers vu qu’il tombe du bas vers le haut.
Et la Santé n’est qu’un exemple dans le cimetière du progrès social et des acquis du même nom...
Contrairement à l’état de citoyen, protégé par la collectivité, les lois, les garde-fous sociaux, le degré culturel et éducatif, plus les garanties de sécurité et de santé de l’ensemble, celui de client ne nous protège de rien. Au contraire du contrat citoyen, le contrat commercial que le néolibéralisme nous force à signer, est vérolé par des tout petits caractères noyant les maigres avantages d’une transaction dont il est prévu que nous en soyons les perdants, dans des abandons d’avantages acquis au profit d’hypothétiques bénéfices dont nous ne verrons jamais la couleur.
Et nous sommes responsables de cette marchandisation de nos existences. Nous avons élu des commerciaux et nous nous étonnons que leur but soit de nous fourguer des crédits à la consommation en remplacement de ce nous possédions de fait, suite aux luttes sociales, aux combats pour la dignité de nos anciens et aux décisions politiques d’hommes et de femmes pour qui justement l’Intérêt Général prévalait d’autant plus que nous sortions de la boucherie hitlérienne et qu’il était temps de repenser la société. Au détriment des « maîtres de forges » qui n’auront de cesse de saper ces avancées sociales pour revenir à la précarité, au servage et à l’obsolescence citoyenne programmée. Nous y sommes.
Nous avons élu et élisons des maquignons dont le but est de préserver leur statut de petit épicier collabo à la manière du « Bon Beurre ». Nous avons élu et élisons des larbins du Capital dont la fonction première est d’entretenir une caste de vampires. Nous avons élu et élisons d’anciens banquiers, des nouveaux riches pour qui la pauvreté est un concept ennuyeux et qu’il convient de cacher à défaut d’y remédier. Nous avons élu et élisons des pantins suintant le mépris pour leur public et dégueulant d’obséquiosité pour leurs marionnettistes. Nous avons élu et élisons nos bourreaux et pendant qu’ils nous dépouillent et nous bastonnent, leurs donneurs d’ordre se font péter la sous-ventrière à notre santé.
Nous avons accepté de renoncer à la citoyenneté en échange d’une carte de fidélité de grande surface. Collectionnant des points afin de gagner des lots sous forme de miettes. Espérant des promotions alors que nous avions des lois. Guettant les soldes alors que nous avions des protections sociales. Contractant des assurances privées à chaque coin de rayon alors que nous avions des Services Publics gratuits. Lynchant celui qui a volé du pain alors que nous avons fourni un double des clés de la Nation à un gang de cambrioleurs. Nous battant entre nous pour des produits frelatés alors que nous étions le Peuple.
Nous élisons et réélisons les descendants directs des Thénardier.
Quelqu’un aurait le 06 de Jean Valjean ?