Les mollahs mettent la balle dans le camp de Biden
Un fait est survenu récemment qui est peu surprenant pour moi et d’autres observateurs qui connaissent par cœur leurs agissements des mollahs en Iran. Leurs manœuvres, qu’ils dépeignent comme « boire la coupe de poison, » sont en réalité une expression de la « taqiya » politique, autrement dit de la cryptopolitique.
Cette pratique des mollahs se distingue par un jeu de rôle auquel ils sont très doués. Ce jeu, les dupés sur la nature et l’idéologie du régime le prennent pour une lutte politique entre les conservateurs et les réformistes.
Ce fait est le dernier signal des mollahs iraniens à la prochaine administration américaine, après s’être assurés du démarrage du transfert du pouvoir à la Maison Blanche au président élu Joe Biden. Le fait dont je parle, ce sont les déclarations répétées et précipitées faites dernièrement par les dirigeants iraniens concernant les négociations avec les Etats-Unis.
Ces messages commencent par une déclaration du président iranien Hassan Rouhani. Rouhani a appelé la nouvelle administration américaine du président Biden à « réparer » ce qu’il a décrit comme des « erreurs » commises par l’administration Trump sortante.
« Nous espérons que dans un premier temps, la prochaine administration américaine condamnera explicitement la politique de Trump à l’égard de l’Iran, » a rapporté l’agence de presse officielle IRNA, Rouhani qualifiant cette politique « d’anti-droits de l’homme et de terroriste. »
La déclaration vient peu après que Rouhani ait laissé entendre que son pays était prêt à coopérer avec le nouveau président américain. « Nous pensons que cette atmosphère est propice à des relations plus étroites et à une meilleure interaction avec tous les pays amis, » avait-il commenté sur les résultats des élections présidentielles américaines.
« Le problème de l’administration [américaine], qui en est à ses derniers mois, est qu’elle n’était pas très familière avec la politique internationale. Elle exécute presque les diktats des extrémistes [américains] et du régime sioniste. » Le contenu du message est assez intéressant : « Le Grand Satan » est devenu un pays ami.
Pour le dire autrement, le problème des mollahs avec les américains ne tourne pas autour de questions stratégiques et de sécurité sensibles, mais plutôt, comme l’a dit Rouhani, autour de la méconnaissance du président Trump des règles de la politique internationale.
L’important est que, dans sa déclaration, Rouhani a mis la balle dans le camp de la nouvelle administration américaine
Il a déclaré que son pays était prêt à mener des négociations avec les Etats-Unis, à condition que Biden revienne à l’accord nucléaire de 2015 et lève les sanctions imposées par Trump. Il a ensuite posé d’autres conditions, dont la « réparation » des erreurs.
Ces propos peuvent paraître curieux en ce moment où des scénarios circulent sur une éventuelle décision du président Trump de frapper les installations nucléaires iraniennes avant de quitter la Maison Blanche en janvier prochain. Cependant, l’analyse de la situation confirme que le moment est bien choisi.
En mettant la balle dans le camp de l’administration Biden pour négocier, les mollahs veulent faire d’une pierre deux coups.
Tout d’abord, ils bloquent toute décision possible pour une opération militaire et réfutent toute justification que le président Trump est censé présenter au Congrès, même s’il n’a pas besoin de son feu vert pour une frappe limitée contre une menace aux intérêts stratégiques américains.
En d’autres termes, ils placent la nouvelle administration américaine pour les défendre prétextant leur désir de négocier et leur empressement à entretenir des relations avec des « pays amis, » ce qui, soit dit en passant, est une expression bien choisie comme message aux oreilles de quiconque pourrait être intéressé à Washington.
Deuxième chose, ils mettent urgemment le sujet iranien sur la table de la nouvelle équipe présidentielle américaine. Ils ne veulent pas qu’elle soit occupée avec d’autres dossiers aux heures où l’économie iranienne souffre le plus des sanctions sévères imposées par le président Trump.
L’Iran ne peut pas patienter pendant d’autres mois, et peut-être une année ou deux, en attendant que le nouveau président se fasse une opinion.
Après que le président iranien ait mis la main à la pâte, le tour est venu pour le chef de file du régime des mollahs. Le guide suprême Ali Khamenei a mis en garde contre toute confiance dans les parties étrangères pour trouver des solutions aux problèmes de la République islamique.
Le chef du bureau présidentiel iranien, Mahmoud Vaezi, quant à lui, a joué son rôle en affirmant qu’il n’y aurait pas de nouvelles négociations sur un accord nucléaire. Le responsable iranien a ajouté qu’il est tout à fait naturel de saluer la défaite de Trump, non seulement en Iran mais aussi chez les alliés des Etats-Unis.
Une telle déclaration dément totalement les affirmations des mollahs selon lesquelles les résultats de l’élection présidentielle américaine ne les intéressent pas de près ou de loin. Cette fois-ci, exprès pour manipulation médiatique et politique, Vaezi contredit les dires de son patron, Rouhani.
Selon Vaezi, les négociations sur l’accord nucléaire se sont déroulées par étapes mais « ce qui s’est passé, c’est que les pays, en particulier les Etats-Unis, n’ont pas respecté leurs engagements ; la condition la plus pertinente de l’Iran est que les engagements stipulés dans le JCPOA doivent être respectés à la fois par l’Iran et les autres Etats membres. »
Il n’y aura pas de renégociation de l’accord nucléaire, a-t-il dit. Le jeu est clair cette fois-ci. Sinon, comment le président Rouhani peut-il annoncer que son pays est prêt à négocier, alors que le directeur de son bureau revient pour dire qu’il n’y a pas de nouvelles négociations ?
Oublions Vaezi. Entre Rouhani et Khamenei, il peut sembler à première vue qu’il y ait un désaccord sur les négociations. Toutefois, rappelons que toute décision de politique étrangère iranienne doit recevoir le feu vert du guide suprême.
Le discours de Rouhani selon lequel l’Iran utilisera « toutes les opportunités » pour faire lever les sanctions américaines, c’est-à-dire qu’il voit une « opportunité » dans l’élection d’une nouvelle administration américaine, ne part pas de rien. Derrière lui gravite un d’accord, même minuscule, de la part du guide suprême.
Dans de telles situations, le guide suprême cherche à trouver le juste milieu. Il laisse une marge de manœuvre aux dits réformateurs, comme Rouhani, pour servir les objectifs du régime. Et, en parallèle, il laisse les radicaux libres de les attaquer et de dénoncer leur ligne politique.
Un jeu que les mollahs maîtrisent bien. Elle leur permet d’échapper à toute conséquence ou échec éventuel, en imputant la responsabilité à une branche du régime et non à son ensemble. Il est intéressant, d’ailleurs, de noter que le discours de Khamenei sur le rejet de la négociation sur la levée des sanctions ne traite pas de la négociation avec les Etats-Unis.
Il traite plutôt du refus de la partie européenne de jouer les médiateurs pour la levée des sanctions américaines, même si cela n’est pas expressément indiqué. À en juger par toutes les déclarations récentes du guide suprême iranien, son mécontentement est plus fort envers la position européenne qu’envers la politique américaine.
« L’Iran ne peut pas compter sur eux ou élaborer des plans en accord avec leurs positions [...] [Leur] situation [...] n’est pas claire, [ils] prennent constamment des positions contre l’Iran, [ils] ne sont pas fiables et on ne peut pas espérer [qu’ils lèveront les sanctions], » a-t-il conclu dans une critique apparemment adressée à des pays européens.
L’implication est telle que Khamenei veut traiter directement avec la nouvelle administration américaine, loin des médiateurs européens. Les mollahs pensent que les Européens n’ont pas joué un rôle positif dans le relâchement de la pression américaine ces quatre dernières années.
Ce constat correspond tout à fait aux affirmations de Rouhani, qui affirme s’accrocher à l’opportunité qui se présente avec la nouvelle administration américaine, chose qu’il ne peut pas exprimer sans l’autorisation de son guide suprême comme on l’a dit. Ce n’est que le début d’un long match. Les mollahs ont mis la balle dans le camp du nouveau président américain.
Les autres parties et puissances régionales concernées par la menace iranienne doivent dire leurs mots haut et fort. Le temps presse.
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