Les philosophes sont des arnaqueurs
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Oui, les philosophes sont des arnaqueurs. Je ne parle pas des professeurs de terminale qui forment la jeunesse et transmettent quelques onces d’un immense héritage témoignant des efforts menés par l’homme pour comprendre le monde, se poser des questions et se comporter comme un créateur d’œuvres, de sens et de valeurs. Je ne vise pas non plus les doctes professeurs d’université qui tentent de maintenir l’héritage des sciences humaines et telles des vestales en col blanc, arpentent les couloirs, congrès et amphi pour entretenir le feu de la pensée. Certes, il y a pas mal d’hypocrisies et de carriérisme chez certains mais c’est le lot de toute profession que d’inclure quelques spécimens en délicatesse avec l’éthique. Ces philosophes travaillent. Ils sont payés par l’Etat. Il n’y a rien à redire. Les arnaqueurs, ce sont les philosophes qui vendent ou se vendent. Mais qu’est-ce qu’une arnaque ?
Soyons clairs. Quand on parle d’arnaque, on parle d’une tromperie. Volontaire parfois. A l’insu de son auteur en d’autres circonstances. On peut même s’arnaquer soi-même en s’attribuant une valeur qu’on a pas. Le narcissique use de stratagèmes pour faire durer l’arnaque. Il aime son image mais ne connaît pas l’amour propre. Il refoule l’arnaque dans son subconscient. Et souffre parfois quand le refoulé revient comme un boomerang sous la forme d’un épisode de comédie humaine. L’aliéné au contraire ne connaît pas l’arnaque, privé de conscience qu’il est sur ce sujet. Il est facile de passer de l’arnaque de soi à l’arnaque des autres. Il s’agit alors de tromper les autres et là aussi, cela peut être joué de manière consciente ou bien dans le mode du refoulé. L’arnaque est une tromperie sur la valeur et bien évidemment, comme nous vivons dans un monde où la valeur commune essentielle est l’argent, les arnaques ne portent pas sur la valeur éthique, morale, spirituelle, mais sur la valeur marchande. Et là, il faut bien séparer le monde des valeurs du monde juridique.
L’escroquerie n’est pas une arnaque. Elle est perpétrée en connaissance de cause pour tromper. Elle calcule soigneusement les opérations pour faire un profit grâce à la tactique du masque. On cache, on vend quelque chose et lorsque la transaction est réalisée, l’acquéreur prend conscience que c’est toute autre chose. L’escroquerie est une forme de violence exercée contre les règles de la confiance. C’est le cas d’une automobile revendue comme neuve et qui a eu un accident, d’une location où le vacancier découvre le taudis loué 1000 euros la semaine grâce à des fausses photographies, ou encore les escroqueries financières d’un Madoff piquant l’argent des épargnants alors qu’il était proche de la faillite. Les escrocs sont punis par la loi. Quant à l’arnaque, c’est une escroquerie qui n’est pas reconnue comme illégale. Du moins tant que le législateur ne s’empare pas de précédents, comme par exemple ces mariages gris qui relèvent carrément d’une escroquerie mais qui restent une arnaque. On ne peut pas tout légiférer et c’est à chacun de se prémunir contre les arnaqueurs qui comme le diable, sont logés dans de détail d’un artichaut vendu au prix du marché et dont on découvre le cœur pourri en le dégustant.
A tout réfléchir, l’arnaque est une sorte de moteur auxiliaire pour la croissance économique. L’arnaque, c’est une escroquerie jugée légale. La publicité est une arnaque que tolère le pouvoir dans la mesure où il n’y a pas escroquerie et que ça fait vendre. L’acheteur reçoit un objet en contrepartie de l’argent déboursé et s’il n’est pas satisfait, le législateur n’a pas à s’en occuper. A chacun de faire son expérience et de lutter contre les arnaqueurs. On ne va quand même pas faire un procès à un fabricant de lessive si la tâche de mûres sur la chemise blanche n’est pas partie, contrairement au scénario de promesses joué dans la publicité. Pas plus qu’on attaquera en justice un producteur si le concert de l’idole chérie a été un fiasco. Chaque jour, nous sommes les jouets ou les auteurs d’arnaques diverses. Combien de fashion victimes découvrant le lendemain que le chemisier acheté dans la ferveur du shopping est d’un ordinaire ! Mais parfois, c’est autrui qui perçoit l’arnaque et qui se dit, quelle conne ! Quoi qu’il en soit, retenons que si l’on supprimait l’arnaque, les économies perdraient entre trois et dix points de croissance.
Et nos chers philosophes ? Je me souviens d’une époque où les penseurs européens, largués par la chute du mur et le consumérisme triomphant, cherchaient le sens. Les journaux faisaient parfois des numéros spéciaux consacrés à cette question du sens sur fond de retour du religieux. Et puis, on n’a plus entendu parler du sens. Le désert. Les philosophes se sont tus. Les cafés philo ont prospéré. Les philosophes n’avaient plus rien à dire. Plus rien à proposer, partager avec les citoyens. Mais ce n’est pas parce qu’on a rien à partager qu’il faut refuser de se vendre. Les arnaqueurs de la philosophie ont proliféré dans les médias. Faute de penser profondément, d’innover, ils écrivent des livres ordinaires qui, présentés avec un beau minois et une verbe parole, prennent tout d’un coup une valeur spéciale, un peu à la manière dont un bijou ordinaire deviendrait resplendissant en le plaçant dans un somptueux écrin. Le communisme, c’est les Soviets plus l’électricité disait Lénine. Le néolibéralisme, c’est les financiers plus l’emballage pourrait-on dire. Quoique, lorsque ces philosophes bavards viennent sur le plateau, c’est plutôt le déballage. Et comme l’espace est transformé en temps, le souk médiatique impose au philosophe un déballage d’idées le plus rapide possible. A ce jeu là, le lauréat est sans aucun doute un vendeur de livres philosophiques à haut débit. Et dont le dernier opus est vanté pour son poids, pas moins d’un million de signes pour un ouvrage vendu 22 euros. Ce qui ramène à 4 euros les 200 000 signes, poids moyen d’un livre standard de célébrité vendu entre 15 et 20 euros. Voilà un signe de notre époque traversée par l’arnaque. Tous ces philosophes médiatiques sont surévalués, dans tous les sens du terme. Ils passent pour des gens qui comptent. Ce qui n’est pas faux, ces gens peuvent en effet compter leurs sous et faire le décompte des exemplaires vendus. L’art de se vendre, c’est une manière post-moderne de traverser le nihilisme contemporain en érigeant comme but l’argent et dieu sait si l’argent est présent.
Arnaqueurs les philosophes ? Et si oui, des noms ! Eh bien non, je ne me lancerai pas dans le délire d’une agence de notation intellectuelle. Ces piètres et mièvres penseurs, ces vendeurs d’histoires philosophiques, ces marchands du temple du savoir, ces brocanteurs essayant de faire reluire des pensées anciennes et révolues, ces profiteurs de l’héritage culturel universel, ces ravaleurs de façades sémantiques, ces intellectuels de comptoir, je vous laisse les découvrir par vous-même. Il y a des arnaqueurs mais ils ne peuvent commettre leur forfait tous seuls. Il leur faut la collaboration des éditeurs et surtout des médias. Les plateaux de télévision et de radio sont les lieux où se pratique l’arnaque. Rien de neuf. Le mécanisme est bien rodé, vieux de quarante ans. Déjà, au début des seventies, Cazeneuve, fin scrutateur du cirque médiatique naissant, avait compris à quel point les médias de masse pouvaient donner de l’importance à des gens sans intérêt particulier mais doués pour jouer la comédie devant les caméras. Et comme les masses préfèrent la copie à l’original, ils se tournent vers les imitateurs de l’existence que sont les stars et maintenant, les philosophes, savants imitateurs et arnaqueurs, se faisant passer pour des authentiques alors qu’ils ne sont que de vulgaires copistes qui du reste, déforment la profonde éternité de l’ontologie quand celle-ci est présente chez les auteurs dont ils s’inspirent. Parfois, quand on voit ces philosopheurs à l’œuvre, on pense à des joailliers préoccupés de dessertir un bijou pour ensuite vendre à vil prix le chaton privé de sa pierre précieuse qu’ils ont jetée dans la mer. Ils peuvent s’assurer de la complicité des médias qui, tels des rabatteurs de trottoirs, savent persuader le zappeur de passage qu’un livre vaut le détour. Un peu comme un resto de hamburgers sait attirer le client avec quelques femmes à poil alors que sur le trottoir opposé, on peut s’offrir pour le même prix une carte gastronomique.
Au bout du compte, la culture de l’arnaque marque nos sociétés, autant que l’arnaque de la culture. Y a-t-il une complaisance de l’individu dans l’arnaque comme il y a une complicité dans la servitude volontaire ? L’arnaque sait même se travestir sous l’apanage de l’authenticité si bien qu’un journaliste peut annoncer sans cligner de l’œil ou se trembler de rire que sa chaîne va dévoiler la véritable histoire des Bleus. Quand l’arnaque envahit le monde et le transforme en désert, les arnaqueurs tentent une ultime pirouette pour faire accroire en une oasis de pur produit de terroir avec des vrais morceaux de vie et d’existences.
Les philosophes sont des arnaqueurs mais pas plus que les spécimens de la société contemporaine. Disons qu’avec la hauteur de but que la philosophie s’est fixée, l’arnaque n’en devient que plus visible. La pédophilie choque quand elle est le fait d’un citoyen ordinaire, elle scandalise quand c’est un prêtre qui en est l’auteur. Le monde est devenue une vaste arnaque. Et ce n’est pas condamnable car cette arnaque n’est que la réaction au nihilisme contemporain qui ne ressemble pas trop à celui de l’époque critiquée par Nietzsche. L’arnaque, c’est de la mauvaise herbe poussant dans le désert des sentiments absents. L’homme s’est acclimaté de cette situation et s’y est adapté, telle le coquillage arrimé à son rocher. Le darwinisme culturel de notre époque : s’adapter à l’arnaque. Le système capitaliste débridé a su très bien acclimater les gens à l’arnaque, faisant passer les profiteurs pour des créateurs de richesse, laissant accroire que nos gouvernants sont au service de l’intérêt public, donnant l’impression que les ministres de façade sont aux commandes, agissant conformément à l’éthique républicaine, que les chercheurs sont désintéressés, que les ONG sont des colombes... Les Français pleurent de la crise. Mais ils sont complices de l’arnaque. Alors, tant que la comptabilité des finances et des valeurs morales n’est pas en faillite, l’arnaque se poursuivra, conférant à notre époque un style des plus vulgaires, comme celui du Second Empire ou bien de la décadence romaine.
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