Les raisons de la colère
Madame Maurer a bien des raisons d'avoir exprimé sa colère à l'émission " Des paroles et des actes" . Avec force, elle a été la parole de ceux qui n'ont pas droit à la parole, ces millions de travailleurs pauvres qui gagnent moins de 800 €, ces précaires, ces mal-logés qui galèrent du matin au soir. Pour une fois, le professionnel de la politique qu'est J.F. Copé en est resté sans voix.
Ils ont aussi beaucoup de raisons d'exprimer leur colère, tous ceux qui, ces jours-ci reçoivent dans leur boite aux lettres leur lettre de licenciement avec quelques fois une proposition d'embauche dans un lointain pays d'Europe avec un salaire divisé par deux ou trois.
Chaque jour la liste des licenciements s'allonge inexorablement : Alcatel ( 10 000 dans le monde, 900 en France ), Natixis ( de 700 à 1000 postes en france ). Moins d'emplois et revenus en berne pour les uns, toujours plus de richesse produite accaparée par quelques uns. Face à l'impuissance et à la trahison de ceux qui sont censés défendre les intérêts du plus grand nombre et d'être " la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche"(1), la colère gronde.
DE MOINS EN MOINS D'EMPLOIS
En Bretagne la tempête des licenciements frappe fort. Les abattoirs Gad : 1000 emplois menacés, Tilly Sabco : l’usine de poulet de Guerlesquin, 80 emplois d’intérimaires et de CDD n’ont pas été reconduits et de grosses menaces pèsent sur le personnel en CDI. En amont, ce sont les éleveurs de volailles qui sont également touchés avec une baisse de l’élevage et de la production. Le spécialiste de l’optique à Fougères, en Ille-et-Vilaine, Carl Zeiss a annoncé la suppression de 150 postes à Fougères sur les 440. Le groupe spécialiste du saumon fumé, Marine Harvest Kristen a annoncé la fermeture, en 2014, des sites de Poullaouen et de Chateaugiro, bilan : plus de 300 CDI supprimés et 200 intérimaires au chômage technique. Le géant japonais Renesas annonce une fermeture prochaine de son site à Cesson-Sévigné, avec 176 licenciements à la clé, Alcatel-Lucent compte supprimer ses sites de Rennes et d’Orvault. À Saint-Nazaire, des rumeurs de mise en vente des chantiers navals de Saint-Nazaire par la société STX semblent se préciser. Il y a un an, le groupe de volaille Doux avait déjà supprimé 1.400 emplois en Bretagne ( Breizh Info).
Les emplois disparaissent. Les familles sur qui la malédiction des licenciements s'abat, doivent affronter les problèmes quotidiens avec la baisse de leurs revenus et le déclassement.
Pendant qu'on abat des emplois sur l'autel de la compétitivité internationale et que l'on fait gonfler le nombre de chômeurs, on vote à l'assemblée l'allongement de la durée de cotisation pour que ceux qui ont encore un poste de travail en bavent un peu plus , et faire en sorte que d'autres galèrent plus longtemps encore à la recherche d'un travail. On équilibre le budget des caisses de retraite en siphonnant les fonds de l'assurance chômage.
Comme si cela ne suffisait pas, au nom de la liberté de consommer, il faudrait aussi que ceux qui ont encore le privilège d' avoir un emploi accepte "volontairement" de travailler plus tard le soir ou le dimanche pour les profits de grands groupes de distribution qui pour quelques emplois créés ne manqueront pas d'en détruire le double dans le secteur de la petite distribution locale ou de centre ville où les commerçants ne peuvent pas s'offrir le luxe de travailler 24heures sur 24 où de créer un emploi supplémentaire.
PROSPÉRITÉ ET OPULENCE POUR LES 1%, PRÉCARITÉ POUR LE PLUS GRANDS NOMBRE.
De 2000 à 2010, la richesse mondiale a doublé en 10 ans ! , titre Rue 89 ce 10 octobre, (suite à un rapport du service financier du Crédit Suisse). Alors que l'on devrait tous se réjouir de ce résultat en profitant des bienfaits de tant de richesse, on apprend dans le même article, d'après un rapport de la Croix Rouge, que le nombre de personnes dépendant des distributions de nourriture de la Croix-Rouge a augmenté de 75% entre 2009 et 2012 dans 22 des pays de l'Union Européenne, des Balkans et de l'Europe Orientale.
Plus fort encore, de 2008 à 2010, dans une France en crise, les 10 % des ménages les plus pauvres se sont appauvris de 520 millions d'€, les 10 % les plus riches se sont enrichis de 14 milliards, en captant 58 % de la richesse créée pendant ces deux dernières années (Observatoire des inégalités ).
Les chiffres sont accablants. En France alors qu' en 2012, la richesse des Français a progressé de 8,2 % sur un an en moyenne, on compte 4,7 millions de personnes qui vivent dans une famille dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté, parmi elles se sont 1 million de travailleurs qui exercent un emploi avec des revenus inférieurs à ce seuil (800 € environ ).
Dans le livre " Le capital au XXI ème siècle" Thomas Piketti montre que les niveaux atteints par l'accumulation du capital privé est à des sommets : "la concentration extrême des patrimoines menace les valeurs de méritocratie et de justice sociale des sociétés démocratiques." Le niveau d'accumulation du capital, en France, est actuellement de l'ordre de celui qui a prévalu tout au long du XIX ème siècle jusqu'à la veille de la première guerre mondiale ( plus de 6 fois le revenu national annuel) . Seules deux guerres mondiales après et des millions de morts ont permis de ramener ce rapport à 2 au lieu de 6, laissant à nouveau la chance à ceux qui par l'éducation, leur intelligence et leur bras créent ensembles la richesse.
En quarante ans, la productivité en Europe a triplé dans l'industrie et sextuplé dans l'agriculture et le travail humain devient de plus en plus inutile à la production de richesse ; mais au lieu de s'en réjouir et d'en tirer les conséquences par une redistribution équitable du fruit de cette production, celle-ci est confisquée par une petite minorité qui conduit le monde au chaos.
Ce n'est donc pas une crise économique mais bien une crise du modèle de distribution de cette richesse créée qui est la cause de ce désastre. Dans la course folle au profit, on a poussé à la réduction des coûts à tous les niveaux de la production, et en particulier par la pression sur les salaires et les emplois au profit du seul rendement du capital. Mais comme il faut bien vendre ce que l'on produit pour réaliser les profits, les banques ont créé de la monnaie de "Monopoly", en incitant les plus modestes à emprunter et à s'endetter au-delà du raisonnable. Condamnés à consommer et à remplir leurs poubelles d'objets devenus trop vite obsolètes, ils ne peuvent s'enrichir pour rembourser leur dette et les intérêts qui les spolient encore plus. On connait la suite, les subprimes, le renflouement des banques et, pour réparer tous ces dégâts de la mondialisation des échanges et de la surconsommation à crédit, les États se sont à leur tour endettés auprès des mêmes établissements financiers et sont condamnés à une charge de plus en plus grande du service de la dette, ce qui les conduit à des politiques d'austérité particulièrement douloureuses pour le plus grand nombre, les plus faibles. La bataille au Congrès des Etats-unis autour du plafond de la dette et du budget en est un exemple pathétique.
Aujourd'hui le mur de l'argent fait face à l'énorme fossé des dettes : ce mur s'élève toujours pus haut, ( plus de 6 fois le revenu national annuel) , conséquence de l'accumulation depuis le processus de production et converti en patrimoine financier ou immobilier par ceux qui ont la chance d'être des héritiers, des actionnaires, des propriétaires, des cadres dirigeants. Pour cette catégorie, l'inflation des actifs se poursuit sans discontinuer( 5 % par an ). De l'autre coté du mur, se creuse l'énorme trou de la dette de ceux qui n'ont plus rien pour la rembourser, les États avec leur peuple, dont la majorité est sans patrimoine et sans actif autre que leur propre personne. Les gouvernants godillent entre hausses d'impôts et baisses des aides sociales, efforts vains qui les condamnent à rouler encore la dette gonflant inexorablement celle-ci au profit des créanciers.
Jusqu'à quand ce mur qui sépare ceux qui jouissent d'un patrimoine de ceux qui n'ont rien pourra continuer à s'élever sans s'écrouler en anéantissant tout dans la béance des dettes ?
L'IMMOBILISME DE NOS GOUVERNANTS CONDUIT A L’EXASPÉRATION
Cette crise dans la répartition de la richesse produite se double d'une crise de la représentation politique et du débat politique. Les partis de la droite libérale et ceux de la gauche de progrès, démocrates ou républicain, conservateurs ou travaillistes, sociaux-démocrates ou démocrates-chrétiens, alternativement ou de plus en plus souvent ensemble, continuent à servir ce système pervers. Les combats des élites politiques se réduisent à des combats d'égos, de lutte pour le pouvoir, trahissant leur impuissance à mettre en œuvre quelle que solution que ce soit Plus grave encore, la corruption , la fréquentation des lobbys révèlent aux yeux de tous leur cupidité qui les aveugle et les empêche de faire preuve de courage et de détermination pour mettre en œuvre une autre politique de distribution des richesses. Pour tenter de détourner l'attention de ses électeurs on agite les peurs. Avec l'aide des médias, on nous distille de fausses vérités, on tente de nous endormir au lieu d'éveiller notre vigilance. Mais les déboires sont trop nombreux et les gouvernants sont impuissants pour secourir les victimes de cette crise qu'ils ont fabriquée. Abandonnés et trahis par ceux qui étaient censés défendre leurs intérêts, beaucoup se détournent de ces partis de gouvernement et cherchent désespérément des yeux un sauveur providentiel.
Mais la colère face à toute cette injustice ne doit plus nous aveugler. Encore une fois ne laissons pas notre destin entre les mains de dangereux démagogues. Les solutions on les connait, de nombreux articles d' AgoraVox s'en font l'écho, les conditions objectives pour la formation d'un vaste mouvement populaire existe ; il faut simplement se tenir prêt à agir, sans être encore capable de décider du moment. Il faut se rappeler que ce sont toujours des hommes et des femmes "sans la moindre importance" (2) qui ont changé le monde. Un geste, un cri, peut-être le signal pour un mouvement de grande ampleur qui saura trouver l'énergie et les moyens d'abattre ce mur et, avec les pavés ainsi libérés, combler définitivement ce fossé béant de la dette, en permettant à tous de vivre ensemble et de jouir enfin pleinement des richesses que le génie humain ne cesse de produire.
« Chacun de nous peut changer le monde. Même s’il n’a aucun pouvoir, même s’il n’a pas la moindre importance, chacun de nous peut changer le monde » écrivait Václav Havel quelques semaines après la chute d'un autre mur , le Mur de Berlin.
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(1) Aimé Césaire- "Cahier de retour au pays natal"
(2) On a tous en tête des visages venus de nulle part qui tout d'un coup par la puissance de leurs mots ou de leurs actes sont capables de mettre en marche des foules.
Note : Un clin d’œil à cette famille de fermiers de l’Oklahoma, héroïne du roman de Steinbeck " les raisins de la colère" qui, pendant les années de la grande dépression, après la crise de 1929, est chassée, comme tant d’autres, des terres qu’elle cultive, par les banques et qui dans des conditions de survie misérables, prend, à bord d’un vieux camion, la longue route qui mène, de camps de réfugiés en bidonvilles, à la Californie, demeurée dans l’imaginaire populaire d'alors la « terre promise ».
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