Les responsabilités de Charles de Gaulle dans la tragédie du Vercors (21-23 juillet 1944, plus de 800 morts)
Quatre jours après le discours prononcé par Etienne Fajon au nom du parti communiste français devant l’Assemblée consultative d’Alger (21 juillet 1944), c’est au tour de son camarade André Marty de prendre la parole…
Entre-temps et donc depuis ce même 21 juillet, la Wehrmacht avait massacré 840 personnes : civils, militaires, femmes, enfants, vieillards, sur le plateau de Vassieux-en-Vercors… Ainsi que je l’ai montré dans Le procès impossible de Charles de Gaulle (Editions Paroles Vives, 1994), la responsabilité du Général est totalement engagée dans le fait que la mobilisation du maquis du Vercors ait été proclamée dès le 9 juin 1944, alors que le débarquement en Provence qui devait en être le signal n’aura eu lieu que le 15 août, la destruction totale, à la fois des maquisards et des populations civiles du lieu, ayant été réalisée entre le 21 et le 23 juillet…
Mais le 25 juillet, comme si de rien n’était, et alors que les deux membres communistes du gouvernement provisoire rassemblé autour de Charles de Gaulle à Alger, François Billoux et Fernand Grenier, avaient déjà, dans les semaines précédentes, mis en jeu leur démission pour marquer leur colère à propos des conditions dans lesquelles l’affaire du Vercors avait été préparée, voici le langage que tient André Marty, au nom du parti communiste, devant ce qui est alors la représentation nationale : l’Assemblée consultative d’Alger…
« La délégation communiste m’a chargé de poser ici la seule question suivante : comment le Gouvernement provisoire entend-il intensifier, dans tous les domaines, l’aide à la nation en lutte pour la libération et conjointement, comment entend-il aider la nation à prendre en mains propres ses affaires en territoires libérés, c’est-à-dire à disposer librement d’elle-même ? » (Idem, page 16)
Comme si le Conseil National de la Résistance souverain n’avait rien à voir dans cette affaire… lui qui se trouve sur le territoire occupé par l’Allemagne… où il organise la résistance intérieure… à travers le Comité d’action militaire du Conseil national de la Résistance (C.O.M.A.C.) dont l’un des trois membres, Maurice Kriegel-Valrimont, publiera les Archives en 1964 où nous pouvons lire ceci :
« Dans sa séance du 13 mai [1944], en plein accord avec le gouvernement provisoire de la République, le Conseil National de la Résistance a décidé : 1) – Le Comité d’action (C.O.M.I.D.A.C) relève directement du C.N.R. 2) – Il devient l’organe du commandement suprême des F.F.I. [Forces françaises de l’intérieur] en France. 3) – Il prend le nom de comité d’action militaire du C.N.R. [C.O.M.A.C.]. » (Michel J. Cuny, Le procès impossible de Charles de Gaulle, Editions Paroles Vives 1994, page 153)
De fait, décidé à contourner le C.O.M.A.C. et la centralisation en France, voulue par Jean Moulin et mise à la disposition du général Delestraint commandant en chef, de l’action militaire, De Gaulle a décidé la création d’un réseau de délégués militaires régionaux qui détiennent le monopole des liaisons radio. Parmi ceux-ci, commandant la région R1 qui comprend Lyon et le Vercors, nous trouvons le colonel Descours.
Or, précisément en ce qui concerne le Vercors, voici ce que nous découvrons dans les Archives du C.O.M.A.C. grâce à Maurice Kriegel-Valrimont :
« Si la conception a été modifiée, cela est dû pour une part à l’intervention du colonel Descours, de l’O.R.A., et surtout à l’intervention des représentants du B.C.R.A. à Londres. » (Idem, page 163)
Eugène Chavant, chef civil du Vercors qui avait pris la peine de se rendre à Alger bien avant les événements, était rentré en métropole dans la nuit du 2 au 3 juin 1944, persuadé qu’un largage de 4.000 parachutistes était en cours de préparation pour le Vercors.
Quelques temps après que la catastrophe se soit étendue sur la montagne, il devait télégraphier à Alger :
« Avions promis de tenir trois semaines ; temps écoulé depuis la mise en place de notre organisation : six semaines. Demandons ravitaillement en hommes, vivres et matériel. Moral de la population excellent, mais se retournera rapidement contre vous si vous ne prenez pas dispositions immédiates et nous serons d’accord avec eux pour dire que ceux qui sont à Londres et à Alger n’ont rien compris à la situation dans laquelle nous nous trouvons et sont considérés comme des criminels et des lâches. Nous disons bien : criminels et lâches. » (Idem, page 165)
Pris au milieu de tout ce désordre qu’organise manifestement l’entourage rapproché de De Gaulle, que trouve à dire André Marty devant l’Assemblée consultative d’Alger le 25 juillet 1944 ? Rien que ceci, tout d’abord…
« La délégation communiste déclare que c’est uniquement pour éviter la moindre atteinte à l’autorité du gouvernement au moment où son Président partait aux États-Unis d’Amérique qu’elle a accepté la remise de la discussion. » (L’Humanité clandestine, op. cit., page 16)
Ensuite il y a bien quelques récriminations qui concernent la mise à l’écart du C.N.R. (dont nous savons, nous, qu’il était souverain)… Or, le 15 mars 1944, précise André Marty…
« …le C.N.R. fixait en détail l’action qu’il prescrivait à l’état-major national des F.F.I. : « Coordonner l’action militaire avec l’action de résistance de la masse de la nation ». » (Idem, page 18)
Résultat…
« Ce programme d’action a été ignoré. » (Idem, page 18)
Et pour finir :
« Qu’a-t-on fait pour répondre à l’appel de la nation, et au fur et à mesure qu’il se faisait plus pressant ? Pratiquement très peu. » (Idem, page 18)
Mais très vite, tout le discours du responsable communiste ne fait plus que converger vers le Maître… dont il faudrait tout attendre :
« …le 6 juin [1944], de bonnes indications furent radiodiffusées par le général de Gaulle… » – « Le chef du Gouvernement a clairement indiqué… » – « suivant le mot du général de Gaulle »…
Quant à l’attentisme… « tout Français le rejette en vertu de la condamnation implacable du général de Gaulle : « L’attentisme est un crime contre la Patrie. » – « les hommes nouveaux, « forgés dans le creuset des douleurs de la France », dont a parlé si souvent le général de Gaulle » – « ces « coalitions d’intérêts et de privilèges » dénoncées ici même voici un an par le général de Gaulle comme faisant le jeu de l’étranger ».
Au-delà de quoi, nous découvrons ce à quoi se trouve réduit l’organe souverain créé au prix de sa vie par Jean Moulin :
« Le Conseil national de la Résistance paraît qualifié pour faire toute proposition de nomination administrative. » Tout ça ! Et encore ne fait-il que le « paraître »…
De sorte que lorsque nous en arrivons à cette formule d’André Marty… « Il me reste à conclure », nous pouvons redouter le pire… Le voici :
« Le général de Gaulle m’excusera de le citer cette fois encore : on trouve dans ses remarquables discours les éléments d’une excellente politique de libération de la France. » (page 29)
Tandis que, manifestement, de ces « éléments », le parti communiste français n’en avait que très peu ou pas du tout… et pas même ceux que Jean Moulin lui avait fourni sans que les responsables communistes s’en doutassent même une seule seconde.
NB. Cet article est le quatre-vingt-onzième d'une série...
« L’Allemagne victorieuse de la Seconde Guerre mondiale ? »
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