Les riches sont-ils cons ?
Il ne faut pas se précipiter pour répondre à cette question avec en tête des exemples par trop représentatifs, le problème est plus compliqué qu'il n'y paraît.
Les termes "riches" et "cons ne seront pas définis avec plus de précision que celui du sens commun, ce qui permettra d'englober une plus grande partie des personnes considérées. Les mots aisé, cossu, fortuné, nanti, privilégié, argenté, friqué, rupin voire dominant ou ceux-qui-font-faire-aux-autres pourraient être tout aussi bien employés.
Amasser une montagne d'argent permet, à titre individuel, d'offrir des possibilités qui seraient parfaitement inaccessibles sans elle : connaître les saveurs d'un caviar de haute lignée, avoir une intimité avec des demoiselles fort avenantes et même quelquefois talentueuses si ce n'est désintéressées, connaître de près l'impuissance des puissants... mais même les prodigues ne dépenseront qu'une toute petite fraction de leur pécule à cet usage, l'essentiel pour ceux qui ne sont pas déments ou incapables iront en placements ou investissements divers.
Être possesseur d'une grande envergure financière permet d'avoir une certaine latitude quant à ses choix, plus c'est certain que lorsque toute décision est forcément collégiale. Il ne s'agit plus de dégager ce qui fait consensus, les compromis incertains peuvent être évités, seules les lois locales ou internationales doivent être, au moins ostensiblement, respectées. Les grandes entreprises ont structurellement de meilleures productivités que les petites, de plus grands investissements dans le machinisme et de plus grands marchés possibles en sont la cause. Mais le gain possible est directement relié au nombre d'employés que vous avez sous votre coupe, une fortune ne peut s'acquérir qu'en faisant travailler d'autres, directement ou indirectement, pour soi-même. Le problème n'est pas de considérer la quantité de biens produits, une bonne flexibilité des choix possibles implique d'une façon incontournable, un meilleur cadre productif. Par contre le travail quasi-solitaire d'un artisan, d'un chercheur, d'un artiste n'a rien à voir en terme d'intérêt personnel avec un labeur microcosmique au sein d'une fourmilière dont on ne saisit même pas les contours.
Il peut être remarqué sans que quiconque n'y trouve à redire que n'importe lequel des systèmes fonctionne lorsque les gens qui le compose sont parfaits. Un gaz est dit parfait lorsque les interactions entre les molécules constitutives sont négligeables, pour les humains les contacts ne seront pas nécessairement nuls mais régis uniquement par les bons usages d'honnêteté et de loyauté qui privilégient par dessus tout la bonne marche d'une collectivité. En d'autres termes, le talent et le mérite sont-ils absolument nécessaires pour amasser une fortune. Quelques rares sportifs ou peintres arrivent à montrer que cela arrive quelquefois mais que ce n'est de loin pas une généralité. La liste des plus grands milliardaires regorge d'héritiers qui ont pleinement bénéficié de leur lignée pour acquérir ou maintenir leur position.
La qualité principale qui importe, quelle que soit l'état d'origine, est la capacité à tisser des liens avec les gens qui peuvent vous être utiles pour faire prospérer vos affaires. La naissance à cet égard aide beaucoup : vous partagez les mêmes courts de tennis, vous vous asseyez dans les mêmes salons de thé, vos normes sociales peuvent être identiques avec celles de vos relations potentiellement fructueuses. Les écoles de commerce sont représentatives à cet égard puisque rien de significatif n'est enseigné en leur sein, par contre elles fournissent une entrée dans un certain monde, du moins si l'école est quelque peu prestigieuse. Entregent et culot sont donc les qualités cardinales pour "mettre le pied à l'étrier" de l'ambitieux. Les vertus telles qu'elles sont communément admises n'interviennent que très marginalement pour faciliter une ascension sociale quand elles ne sont pas un frein.
Il faut cependant souligner les extrêmes difficultés que l’on a à vivre même si son bien-être ne peut pas être ébranlé par quelque coup du destin. Participer aux galas, aux festivals, prendre l’avion, rencontrer avec le sourire qui convient vos pires ennemis, dorloter les uns tout en éreintant les autres, surveiller frénétiquement le cours de tout ce qui s’achète et se vend demande sans doute des prédispositions si ce n’est du talent.
Quoi qu’il en soit, les riches mènent le monde puisqu’il engendre le seul sacré que l’on respecte encore (du moins dans les pays dits développés). Qu’ont-ils fait de ce pouvoir ? Plutôt que de se noyer dans des théories économiques aussi nombreuses que fausses, il est plus utile d’examiner ce qui s’est passé en France (à titre d’exemple) entre deux crises 1973 (choc pétrolier) et 2008 (subprimes). Il peut être considéré qu’une trentaine d’années représente un minimum de sûreté pour guider sereinement l’avenir de plusieurs dizaines ou centaines de milliers de citoyens. Ce ne fut pas le cas. Le dernier excédent budgétaire public date de 1974, on note durant ce laps de temps une forte augmentation de l’endettement de l’état, un déficit grandissant du commerce extérieur, des plans de relance ou des poltiques de rigueur qui échouent tour à tour, une dérégulation des marchés financiers, la fin du contrôle des changes, des déficits constants de la sécurité sociale, une désindustrialisation dramatique dans tous les secteurs… Après avoir prêché sans relâche une mondialisation heureuse, les mêmes disent mettre en œuvre une nouvelle souveraineté économique et industrielle. Question de conjoncture dit on. En bref, le pays est au bord de l’abîme, les aisés prospèrent et optimisent leur bien être jusqu’à puiser dans un cheptel lointain (et hiérarchisé) pour se reproduire, les gens du commun divisés en de multiples sous-classes sont sommés de souffrir de plus en plus bien qu’ils ne soient pour rien dans les choix monstrueux faits.
Il est probablement difficile d’affirmer que les riches sont cons, pourtant tout indique que cela soit vrai. Mais « right or wrong » ils ont raison. Plutôt que de choisir ce qui était difficile et nécessaire pour tous, ils ont choisi ce qui était le plus commode pour eux. C’est le prix à payer si l’on veut supprimer tout ce qui a un prix mais qui ne se marchande pas.
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