Les S-400 et l’énigme Qatar
Si le contrat de livraison des S-400 au Qatar aboutit, cela constituera un franchissement de seuil psychologique qui fera des émules et engagera la région et bien d’autres zones géographiques dans une course aux armements russes qui signerait l’acte de décès du projet Make America Great Again, cheval de bataille principal de Donald Trump.
Visite en mars 2018 de l'émir Tamim ben Hamad al Thani à Moscou
De quoi ou de qui ont peur les autorités saoudiennes ? Celles-ci ont adressé un courrier à leurs homologues françaises et aussi anglaises leur demandant d’user de leur influence pour avorter une transaction en cours depuis janvier dernier entre le Qatar et la Russie qui devrait aboutir par la livraison à l’émirat des fameuses batteries antiaériennes S-400, le système de DCA le plus sophistiqué dans sa catégorie et la bête noire des pilotes de chasse les plus chevronnés aux commandes d’appareils les plus perfectionnés. Le courrier confidentiel révélé par le journal Le Monde précise que si Paris échoue à avorter cette transaction Riyad fera tout pour l’en empêcher quitte à bombarder lesdites batteries ! Comment ? Personne ne le sait. Mais on sait par contre que quand un avion ou un missile est accroché par le radar d’une batterie s-400 (qui peut traiter plusieurs cibles à la fois même volant à une altitude de 5 mètres) il ne le lâchera pas avant l’impact. Bref, rien de mieux pour le moment pour sanctuariser efficacement de vastes territoires que le S-400. Plusieurs pays sont également intéressés par ce fleuron de la technologie de guerre russe. Y compris la Turquie qui bien que membre de l’OTAN et malgré les réticences des États-Unis a signé un contrat d’achat de ce système de DCA très avancé dont la livraison des premières batteries va avoir lieu prochainement. Dès lors, l’on comprend les pressions des Saoudiens qui craindraient que le S-400 ne tombe entre les mains des pays tiers ennemis, entre autres la Syrie ou la république islamique d’Iran (qui ne possède que des S-300) ou les émanations de cette dernière que sont le Hezbollah. Craintes d’autant plus probables que Riyad accuse Doha de connivence avec Téhéran et les milices du Hezbollah libanais ainsi que celles du yéménite Abdelmalek El Houti qui ne cessent de tirer des missiles sur l’Arabie saoudite en réponse à la guerre que lui fait la coalition arabe dirigée par Riyad depuis avril 2015. Ceci étant dit il se pourrait aussi que les réserves saoudiennes quant à l’équipement du Qatar du S-400 soient justifiées par des considérations autres que stratégiques ; à savoir le refus du Big Brother saoudien de voir le « minuscule émirat » se doter d’un bouclier antiaérien russe supérieur au système Patriot américain, dont s’est doté le royaume wahhabite depuis la 2e guerre du Golfe, quand Saddam avait envoyé en 1991 ses vieux Scud sur la ville pétrolière de Dhahran. En riposte à l’attaque américaine. Évidemment la réponse russe aux pressions saoudiennes ne s’était pas fait attendre et elle était on ne peut plus clair. « La Russie poursuit ses intérêts en livrant au Qatar des S-400 et en gagnant de l’argent pour le budget de l’État. La position de l’Arabie saoudite n’y change rien, les projets de la Russie resteront inchangés », a notamment déclaré Alexeï Kondratiev, vice-président de la commission de la défense du Conseil de la Fédération de Russie. Même son de cloche du côté qatarien : tout en relevant que l’attitude saoudienne est contraire à la charte du CCG le ministre des Affaires étrangères du Qatar, le cheikh Mohamed Ben Abderrahman Al-Thani, a rappelé que le Qatar est un pays souverain et de ce fait n’a pas d'ordres à recevoir de personne. Allusion faite à l’Arabie saoudite qui depuis plus d’un an conduit une coalition comprenant les Émirats, le Bahreïn et l’Égypte qui a mis le Qatar sous embargo total sous prétexte que ce dernier finance le terrorisme.
Ce qui est vraiment frappant dans cette histoire c’est le fait que Riyad ait écrit à Paris et Londres pour stopper la transaction des S-400 alors la logique voudrait qu’ils s’adressent plutôt ou d’abord à Moscou. On suppose donc qu’ils avaient essayé, mais sans succès. Effectivement, contre toute attente, le roi Salman ben Abdelaziz al Saoud a effectué une visite, qualifiée d’ « historique », à Moscou le 5 octobre 2017, soit 3 mois avant la signature du contrat avec le Qatar. Officiellement étaient au menu la Syrie et l’achat de quelques armes russes. La routine… Donc les choses sont bien graves. Un roi qui plus est malade qui court dare-dare à Moscou ce n’était pas pour admirer la place rouge. Mais bien pour convaincre Moscou de ne pas vendre le S-400 au Qatar. Seulement, les Russes carrés qu’ils sont n’ont rien faire des sentiments ni de la guéguerre clanique et tribale que se livrent les frères arabes. Moscou ce qui l’intéresse c’est de renflouer ses caisses tout en montrant au monde entier la supériorité de ses armes notamment défensives ; car faut-il le rappeler le S-400 est une arme défensive. Peut-être que ça froisse les Américains, mais ce n’est pas non plus la tasse de thé des Russes. D’où la question qui tue : pourquoi après avoir essuyé un niet à Moscou les Saoudiens ont recouru aux menaces en s’adressant à deux superpuissances européennes, membres du conseil de sécurité : la France et la Grande-Bretagne. C’est vrai que la première entretient de très bonnes relations avec l’émirat gazier qui possède plusieurs biens immobiliers de luxe à Paris et surtout le club PSG, alors la seconde garde des relations affectives et culturelles avec son ancienne colonie. Comme son père Hamad al Thani l’actuel émir du Qatar Tamim a notamment étudié dans la prestigieuse école militaire de Sandhurst, au sud-ouest de Londres. En fait si les Saoudiens font preuve d’autant de fébrilité ce n’est pas seulement par peur que les S-400 tombent aux mains des Houtis, du Hezbollah et de l’Iran, rendant impossible ou du moins compliquée une éventuelle frappe aérienne contre les installations atomiques de la république des mollahs, à un moment où Israël a réussi à convaincre l’Amérique de Trump de se retirer de l’accord nucléaire de 2015. Pas seulement… alors quelle est l’autre raison ? Réponse : si le contrat de livraison des S-400 au Qatar aboutit, cela constituera un franchissement de seuil psychologique qui fera des émules et engagera la région et bien d’autres zones géographiques dans une course aux armements russes qui signerait l’acte de décès du projet Make America Great Again, cheval de bataille principal de Donald Trump. Lequel ne pardonnera jamais à l’Arabie saoudite d’avoir été à l’origine de la catastrophe ; dans ce sens que si le royaume wahhabite n’avait pas mis le Qatar sous embargo ce dernier n’aurait jamais cherché à se doter de l’arme fatale russe. Enfin, reste une énigme. Pourquoi le Qatar tient-il aux S-400 qui coûte la peau des fesses (quatre batteries de S-400 coûtent entre 2 milliards et 2,5 milliards d'euros) alors que l’émirat est protégé par deux accords militaires signés avec la Turquie d’une part et de l’autre avec les États-Unis qui depuis la fin des années 1990 ont ouvert au Qatar la plus base aérienne d’Al Udeid, la plus grande de la région. Justement, le gouvernement qatarien craint que le Pentagone décide d’un jour à l’autre de fermer cette base comme le souhaitent les Saoudiens et les Emiratis, laissant l’émirat ainsi à découvert. D’où les S-400.
http://chankou.over-blog.com/2018/06/les-s-400-et-l-enigme-du-qatar.html
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