Les scientifiques seront-ils les nouveaux prêtres ?
Augmenter la durée de la vie pour vivre plus vieux et en bonne santé, si l’on excepte tous les problèmes sociaux que cela peut induire, semble être un but louable. Mais où seront les limites, qui va fixer les bornes à ne pas dépasser ? Le cadre légal des états sera vite dépassé, et il est probable qu’en l'absence d'une force éthique suffisante, nous ne puissions nous opposer aux excès de cette évolution.
Envisager de modifier durablement et profondément des fonctionnements biologiques issus de sélections et de mutations accumulées au fil des millénaires, présuppose une connaissance parfaite de la physiologie humaine et animale.
Le fait de savoir séquencer le génome humain, de savoir modifier des programmations génétiques, parce qu’il s'agit d'opérations infiniment complexes, peut donner l'impression à celui qui en maîtrise la technique, qu’il possède un pouvoir suffisant pour s'affranchir des lois naturelles. La connaissance en matière de physiologie et de génétique a fait de grands progrès depuis quelques dizaines d’années, mais la vie animale ne se résume pas uniquement au fonctionnement robotisé de réactions physico-chimiques programmées par une code génétique tenant lieu de logiciel d'exploitation.
Nous ne sommes qu’un des éléments de l'immense ensemble de ce qu’on pourrait appeler le monde du vivant, faute d’un terme plus adapté pour signifier que nous participons, à notre faible échelle, à cet équilibre énergétique où se côtoient des notions de masse, d'espace et de temps, dont on sait maintenant que chaque élément est interdépendant l'un de l'autre.
Même si nous commençons à mieux connaître le fonctionnement cellulaire grâce au décryptage de l'ADN, nous ignorons encore bien des facteurs (échanges ioniques, modifications de charge électrique, variations électromagnétiques….) qui viennent influencer la codification génétique moléculaire.
Nous commençons à peine à explorer cet univers fabuleux, que déjà nous essayons d’en tirer des conclusions afin de satisfaire ceux qui rêvent d'établir leur pouvoir sur le vivant.
Ce désir de domination participera-t-il à l’avènement d’une nouvelle religion, ou s’appuiera-t-il sur des idéaux déistes existants, susceptibles d’accepter ces transformations ?
Car l'homme est ainsi fait qu'il a besoin de croire, croire en l'au-delà, en une puissance universelle, un système établi, en je ne sais quelle idéologie, pourvu qu'elle dépasse son entendement et qu'elle fasse vibrer en lui ce besoin de transcendance qui l'éloigne du néant pour lui faire espérer l'infini.
Ce désir transcendantal, qui se satisfait mal des religions dont les efforts de démocratisation ont aboutit à la perte de l'essentiel de leur caractère sacré, se portera tout naturellement vers des croyances plus structurées, religieuses ou laïques, pourvu qu’il y ait un enfer et un paradis, un empire du bien et un empire du mal, un domaine de l'ignorance et un du savoir.
Cette foi en un monde meilleur où chacun voudra accéder, impliquera, ne serait-ce que pour des raisons économiques ou politiques, un peuple de « laissés-pour-compte » et un peuple d'élus, les seuls à bénéficier des bienfaits de la science érigée en Dieu tout-puissant.
Cette dérive évolutive vers un transhumanisme glorieux qui tente certains, semble procéder davantage de croyances dogmatiques en un être suprême, qu’en l'application raisonnée de techniques innovantes. Penser qu'on peut dépasser le fonctionnement physiologique ancestral par l'application à l'homme de techniques issues, entre autres de l'intelligence artificielle, ne peut être crédible que si on accorde à cette thèse une foi aveugle dans les possibilités de la science, et qu'on occulte (volontairement ou non) par orgueil ou par fatuité, le fait que toute avancée scientifique ouvre la porte sur de nombreux domaines inexplorés, car jusque-là inaccessibles, qui souvent nous font prendre conscience de nos erreurs et de l’étendue de notre ignorance.
N’ayant pas fini d'explorer la partie émergée de l'iceberg, ne sous-estimons pas ce que pourra nous apprendre la connaissance de la partie immergée, qui vraisemblablement nous obligera à resituer l'homme dans son environnement, spatial et temporel, pour étudier l'intimité de ses interactions avec le milieu. Tous les progrès que nous avons faits jusqu’à ce jour dans la découverte du génome, dans les échanges moléculaires qui coordonnent la vie cellulaire, ou le formidable gain de puissance enregistré dans la conception des ordinateurs, ne doivent pas nous faire oublier nos domaines d'ignorance.
Vouloir changer l'être humain, transformer le vivant pour en faire une chimère dotée de performances exceptionnelles hors du commun, risque tenter des esprits frustrés qui voient dans ces réalisations l'aboutissement de leurs rêves insatisfaits et l'épanouissement d'un orgueil sans limites. Mais ils ne sont pas encore assez savants pour qu'on puisse leur faire confiance.
J-M Lacroix 11/10/2017
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