Les symptômes d’une chute inévitable
C'est presque la première fois que médias officiels et presse alternative font tous la part grande à un événement de contestation, y mêlant le soutien et la critique dans un mélange plus ou moins contrôlé de commentaires à chaud. Il n'est pourtant pas question ici de discuter de ce que les gilets jaunes font en bien ou en mal, ni de qui est vraiment un gilet jaune. Ce serait un avis personnel de plus dans un flot d'opinions passionnées et aux milles nuances. Il n'est pas question non plus de douter des sérieux problèmes que rencontrent aujourd'hui les salariés et les petits indépendants aux faibles revenus dans un pays qui se présente comme le champion de l'art de vivre. Mais il est simplement question de constater à quel point les phénomènes les plus prévisibles, même deux décennies à l'avance, sont perpétuellement ignorés, y compris par le peuple lui-même à chaque fois que l'histoire se répète. La cause peut être différente mais la situation se reproduit à chaque fois qu'une puissance ou un empire est sur le point de s'effondrer. Personne n'y croît jusqu'au moment fatidique où tout s'affole, après que la répétition de la promesse d'une hypothétique formule miracle a atteint ses limites.
C'est lorsqu'on est mis personnellement au pied du mur que le monde s'écroule
Depuis plus de vingt ans, les chantres de la mondialisation heureuse qui ont le contrôle quasi-total de l'Union Européenne ont fait fi d'une exigence économique basique qui n'est pourtant pas une lubie complotiste mais un fait reconnu par des économistes « approuvés » [1] : Le mode de vie que nous connaissons aujourd'hui (et que quasiment personne ne veut abandonner) ne peut perdurer que si au moins 30 % de l'activité et des emplois de notre pays sont assurés par l'industrie. Seule cette proportion garantit un équilibre raisonnable entre les recettes de l'État et les services publics à assurer, un équilibre viable entre les emplois disponibles dans le monde du tertiaire et celui du secondaire, un équilibre réaliste entre la consommation et le travail (donc un renversement de l'offre et de la demande au profit des salariés), sans tricher sur la valeur de ce dernier. La tricherie par la délocalisation massive du travail est une opportunité à court terme qui ne dure que... une vingtaine d'années, tout au plus, le temps de vider le siphon de la relative prospérité acquise. Répéter cela pendant ces vingt années ne sert à rien, personne ne vous écoutera. La télévision ne le dit pas, les journaux ne le disent pas, et les partis politiques présentent à chaque fois des causes présumés aux problèmes et des remèdes tout aussi ridicules les uns que les autres. Ceci se vérifie même quand les remèdes sont de bon sens, car ils ne résolvent éventuellement que des problèmes à la marge et de moins grande envergure que celui de fond. Et lorsque la chanson n'est plus écoutée avec autant d'attention et que la catastrophe est sur le point de se produire, il faut botter en touche en prétextant que « les robots » nous ont remplacés ! N'attendez pas pour autant de moi un plaidoyer technophile naïf comme j'en lis partout. Mais ceci ne m'empêche pas de remarquer que si tout les produits manufacturés que nous consommons étaient produits et conçus sur notre territoire, il y aurait largement assez d'emplois, même avec « les robots ». Quant au supposé proche futur où « l'intelligence artificielle » nous rendraient tous bons à toucher un « revenu universel » (tombé du ciel, bien sûr) pour picoler en regardant la télé, il est pour l'instant loin d'être crédible, tant la gadgetisation des produits même utilitaires les transforme en véritables merdes de plus en plus inutilisables et couteuses. (On y vient même bientôt avec les voitures !). Alors vient enfin le débat : Ca paraît trop simple, ça paraît trop gros, ça paraît trop... complotiste ! Mais pourquoi donc ?
On nous aurait « caché ça » ?
Que ce soit dans un but de contradiction ou d'expression d'une surprise, c'est la question qui viendrait lors d'une discussion où de tels arguments seraient présentés. Mais pourquoi donc ? Un « grand » complot ? Et bien, je suppose que ce n'est même pas ça. C'est bien plus simple et désolant. La réponse n'est pas cachée, sauf pour ceux qui n'ont pas voulu la trouver : La politique est une carrière alors qu'un mandat dure cinq ans et qu'aucun service après-vente n'est à assurer. Donc les solutions le court-terme sont à privilégier, surtout si on fait tout pour déléguer petit à petit les plus lourdes responsabilités à Bruxelles. C'est du donnant-donnant et tout le monde est content. Tout le monde pour un temps, car une fois le point de non-retour atteint c'est la panique. Mais tant que l'illusion continue il n'y a même pas besoin de cacher quoi que ce soit. Il suffit de noyer les discours non conformes dans un océan de fausses excuses, de promesses, d'analyses à ras des pâquerettes, de rêves futuristes complètement fantasmagoriques, de clichés complètement dépassés où soit le libéralisme soit l'étatisme seraient à eux seuls le remède. Et ça marche.
Ca marche ? Accusation péremptoire ?
Si 80 % des Français soutiennent l'action des gilets jaunes alors que Macron a été élu (même en coupant les cheveux en quatre sur le nombre d'électeurs réels du second tour), on ne peut obtenir une meilleure preuve que ce constat : La promesse éternelle de la nouveauté miraculeuse qui vient du même tonneau fait toujours recette, même quand les choses commencent déjà à tourner mal. Ca fonctionne vraiment jusqu'à la fin, jusqu'au bout du bout, et c'est ça qui est très dangereux. Tant qu'il n'a pas peur de se retrouver à a rue, l'électeur continue de cautionner le faux-nouveau proposé par la politique mainstream euro-fédéraliste et donc libre-échangiste, car c'est du « vu à la télé ». Il continue de creuser sa tombe jusqu'à ce qu'il comprenne enfin qu'elle lui est destinée. Et à ce moment là, il peut être prêt à détruire, à tuer, sans discernement et dans un chaos généralisé. Il peut aussi soutenir de telles actions. Mais le pire, c'est qu'à ce moment là il n'a pas encore compris la cause de son sort, continuant de réclamer à la fois du « social » et moins de taxes dans un pays qu'on a voué au déclin et à la faillite avec son accord. Taxer les « riches » ? Pourquoi pas sur le principe, étant donné qu'on peut interpréter ça de mille manières. Mais qui fait les comptes sérieusement reconnaîtra que ça ne suffira pas. Cette pseudo-solution est aussi un remède qui, même s'il peut avoir un sens, reste une toute petite partie du traitement qui aurait été applicable. C'est donc une échappatoire de plus pour éviter d'aborder le vrai problème. J'écris bien « aurait été applicable » car j'estime qu'il est trop tard depuis au moins cinq ans.
Le rapport avec Macron et l'essence ?
Ceux qui en seraient encore à objecter ainsi se condamnent eux-mêmes à la marche vers le ravin. L'événement déclencheur aurait pu être n'importe quoi d'autre, avec Macron, Hollande ou tout autre euro-fédéraliste. Que le mouvement s'essouffle ou que Macron cède, ça ne changera strictement rien même à moyen terme. Dans peu de temps, une nouvelle contestation surviendra car la situation ne peut que se dégrader. Lorsqu'il faut subir deux heures de transport aller et deux heures de transport retour pour réussir à travailler au salaire minimum loin de son logement plus ou moins sûr et qui, tout frais inclus, vous laisse juste de quoi payer les dits transports et la nourriture, il est clair que toute augmentation de prix vous sera insupportable. Elle le sera encore plus si votre télévision vous fait rêver à tous ces produits de luxe, ou plutôt vous agace par ce racolage déplacé si vous avez plus le sens des responsabilités. Sachant par ailleurs que le seul moyen de fonctionner dans un système de libre échange mondial est de devenir un « low cost country » (appellation officielle dans le domaine de l'industrie), n'attendez surtout pas que votre salaire soit réajusté. Tous ces rêves consuméristes sont réservés soit au petit nombre de « winners » de la mondialisation heureuse, soit à ceux qui ne sont pas encore tombés de l'arbre et qui se maintiennent dans l'illusion en s'endettant au-delà du raisonnable. Le but à terme est de transformer l'Europe en un vaste « low cost country » car c'est le seul moyen de fonctionner en libre échange mondial. Il est d'ailleurs maintenant trop tard pour appliquer un protectionnisme intelligent tant nous nous sommes déjà désindustrialisés. C'est cela le pire. L'effondrement est donc inévitable. Il ne veut bien sûr pas forcément dire « fin du monde » mais nous fera connaître des temps difficiles. Ca c'est certain. Et quand on connaît la façon dont les gouvernements appliquent la tactique de la patate chaude, on n'est vraiment pas rassuré. Nous n'avons donc pas fini de voir, après les bonnets rouges et les gilets jaunes, des tas d'autres mouvements aux couleurs variées et plus ou moins incontrôlés. Signes de récession, d'effondrement et de troubles massifs en résultant.
[1] https://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/d000086-les-grands-axes-de-la-politique-industrielle-francaise/le-role-determinant-de-l-industrie-pour-une-economie ou : https://www.persee.fr/doc/rei_0154-3229_1984_num_27_1_1176 .
60 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON