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1. Les territoires perdus de la République

 En 1974, « Assaut », le premier film de John Carpenter, posait bien le décor : un poste de police en voie de désaffection, abandonné et encerclé par un non lieu en friche, sans téléphone, ultime et éphémère espace de l’Etat de droit pour encore vingt-quatre heures. Carpenter ne faisait pas mystère du fait que son film était largement inspiré de Rio Bravo de Howard Hawks. Il renversait cependant le décor, annonçant une problématique qui deviendra notre réalité quotidienne : la conquête de l’ouest, qui draine villes et lois au sein des espaces encore sauvages est remplacée par un combat d’arrière garde face à la sauvagerie urbaine, générée par l’abandon par la cité de ces mêmes règles et lois. Cet abandon individualise et démultiplie les règles, crée des nouveaux contre-pouvoirs, réintègre l’esprit féodal - voir chevaleresque -, morcelle et définit des territoires en tant que fiefs. Ce ne sont plus les grands espaces qu’il faut civiliser, mais ce sont les friches urbaines qui contestent les règles défaillantes de la cité. Prémonitoire en Europe, le film ne faisait que reproduire la réalité du Bronx, de Spanish Harlem (côte est) ou de Palos Verdes (côte ouest). Restructuration urbaine, points blancs - pour reprendre le terme de Marc Augé et qui définit les friches et les no man’s land -, quartiers marginalisés puis abandonnés à des citoyens eux mêmes marginalisés qui se constituent en pouvoir autonome et parfois criminel. La contre culture du haut (changer le monde) buttant sur un contre pouvoir du bas (gérer l’abandon de la cité).

L’eau a coulé sous le pont depuis 1974. Spanish Harlem et le Bronx sont désormais des quartiers « intégrés » à caractère bobo (pour emprunter une expression française) et les criminels qui y séjournent sont ceux du crime organisé qui profitent et surtout ne contestent pas l’ordre de la cité. Ils agissent discrètement, efficacement sous le terme classique définissant la pègre : ils sont underground. C’est à dire, et contrairement au terme lui-même, des citoyens modèle gérant en symbiose une partie des affaires politiques et économiques de la cité. Sans faire de vagues, sans contester le théâtre de la légalité républicaine. Un peu comme pendant les années d’avant et d’après guerre en France où, à Marseille ou à Lyon, les municipalités géraient en toute intelligence la cité avec le « milieu ». Pour tout marseillais, c’était l’âge d’or de leur ville, et les malfrats rebelles de l’époque, tel Pierrot le fou à Paris trouvaient refuge non pas dans la banlieue rouge mais dans ses environs campagnards et les îles bucoliques de l’Ile de France.

Pour revenir à New York, c’est un fait incontestable, la ville, saignée à blanc, est désormais en état de faillite à cause des coûts de sa politique de « tolérance zéro » : des dizaines de milliers de policiers ont été engagés, des centaines de policiers ont été chassés de leur poste pour cause ce corruption (intelligence avec « l’ennemi »), des juges, des procureurs, des fonctionnaires municipaux. Mais le résultat est là. Une seule loi fut votée pour accompagner la reprise des territoires perdus. Une. En France et depuis dix ans, pour le même objectif, 17 lois ont été votées mais parallèlement près de dix mille postes de fonctionnaires de la police/gendarmerie ont été supprimés. Le morcellement du territoire en fiefs et l’abandon des espaces urbains par la Cité ont été accompagnés par une privatisation des forces de l’ordre qui ne vise plus la sécurité de la Cité dans son ensemble mais des espaces privés (supermarchés par exemple), publics (aéroports) et semi-publics (logement social par exemple) en tant que tels. Quel que soit le discours « global », et certaines réformes touchant à la police et la gendarmerie en ce sens, les faits indiquent clairement un morcellement et un désengagement de la Cité des avant-postes de l’Etat de droit, là où il est fortement contesté par des assauts d’un contre-pouvoir aux valeurs éminemment féodales. Les polices municipales, dont le rôle n’est nullement contesté, ne sont cependant qu’une réponse éclatée, face à des territoires et des anti-pouvoirs éclatés et multiples. Ainsi, la « stratégie » est remplacée par la « coordination », le global par le local, l’anticipation par la pression du fait divers. Les ministres en charge de l’ordre public se transforment en commis voyageurs, répondant au plus pressant et « vendant » des lois nouvelles chaque fois plus spécifiques et chaque fois moins stratégiques.

Pourtant, les outils pour une approche géo-spatiale globale ne manquent pas. Ni même, avec l’INHESJ, la réflexion à long terme et les propositions stratégiques mis à la disposition du politique. Ni enfin une vision permettant d’agir au sein des environnements entropiques complexes. Mais, de toute évidence, les moyens pour mettre en œuvre des politiques cohérentes et la volonté politique de les délester de la dictature du court - terme et de la pression médiatique font défaut. 

Eric Ciotti, disait hier : « la lutte contre la délinquance ne se gagne pas dans des colloques mais dans la rue ». Je crois avoir entendu des paroles similaires par ceux justement qui « tiennent la rue et ses trottoirs ».

On ne peut pas exiger des proxénètes et autres caïds une intelligence anticipative mais on peut l’espérer du secrétaire général de l’UMP chargé des questions de sécurité.

A suivre…


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8 réactions à cet article    


  • jako jako 20 juillet 2010 10:16

     :) rue du tripot c’est chez catherine ?


    • Gabriel Gabriel 20 juillet 2010 10:25

      Pour récupérer les territoires perdus de la république il faut s’attaquer en priorité aux causes et pas seulement aux effets. L’équilibre communautaire passe par l’égalitarisme devant la loi avec pour tous les mêmes droits et les mêmes devoirs. La plus importante des mesures de fond est le traitement du chômage qui atteint jusqu’à 30% voir 40 % dans certains quartiers. Sans travail toutes les tentatives répressives ou sociales sont irrémédiablement vouées à l’échec. L’autre mesure phare serait une tenue exemplaire de la part de nos dirigeants censés donner l’exemple mais là, c’est foutu ! Une fois ce postulat irréalisable réalisé (Utopie) Il restera les cas marginaux auxquelles la police et la justice devront s’appliqué de manière ferme, juste et efficace. Alors peut-être arriverons nous à pacifier ces quartiers. 


      • Mark Mallow 20 juillet 2010 19:02

        Tant qu’un délinquant se fera plus qu’un smicard, il ne verra aucun intérêt à se taper des 35 heures à trimer comme une brute.

        L’excuse du chômage sent le réchauffé depuis une trentaine d’années, elle n’a jamais permis de régler un seul problème, ni même de poser des constats indiscutables.
        Dans un monde de bisounours, tout le monde il est beau tout le monde il est gentil et il n’existe que quelques déviants dont certains diraient qu’ils ont le malheur d’avoir eu la génétique contre eux...
        Mais nous sommes dans la vraie vie, avec du chômage, des problèmes d’insertion, de logement, auxquels sont confrontés des millions de personnes qui ne versent pas pour autant dans la violence, le racket, le trafic.
        Allez proposer à ces chefs de bandes s’ils consentiraient à déposer les armes contre un boulot où ils pointeraient pour 1.000 € par mois.
        Allez leur proposer de renoncer à leurs petits plaisirs quotidiens : drogue, racket, violences, règlements de comptes.
        Allez leur dire que nos dirigeants vont montrer l’exemple et qu’il faudra bien qu’ils suivent !
        Rendez-vous dans les écoles, où des gamins de 12 ou 13 ans sont prêts à casser du prof alors que celui-ci voudrait imposer le respect de l’autre et de son travail.
        Allez expliquer à ces gens qui vivent un calvaire chaque nuit face au bruit, à la peur que ces jeunes ne sont pas responsables de ce qu’ils leur font subir mais que la faute est à Sarko qui montre le mauvais exemple.
        Non, vraiment, trente ans de bla-blas de cet acabit, et on voit le résultat : des gamins en déshérence, mauvais comme des teignes parce qu’ils n’ont eu, effectivement, personne pour leur inculquer des valeurs que certains considéraient comme des valeurs à la papa-réac.
        Vient le temps où il faut répondre à ces crapules d’une manière la plus ferme.
        Ce sera le seul moyen de montrer à leurs cadets que l’état est là, qu’il ne laissera pas d’autres générations de jeunes se perdre et mener un pays à sa ruine sociale.
        Qu’on aille choper ces merdeux et qu’on les foute dans des casernes à récurer les chiottes, bosser pour une communauté qu’ils ne pourront plus piller, ou encore qu’on les envoie pacifier les pays en guerre. C’est à ça que servait le service militaire, non ?

        Merde.

      • Gabriel Gabriel 21 juillet 2010 08:05

        Monsieur Mallow, si vous lisez bien et que vous interprétiez mes propos correctement vous verrez que je ne parle pas de dialogue avec les vrais barbares, pour cela je préconise la fermeté et c’est très clair. Seulement, sans travail toutes les tentatives répressives ou sociales sont irrémédiablement vouées à l’échec que vous le vouliez ou non. De plus utiliser uniquement l’arsenal répressif cela a déjà été fait dans de nombreux pays à fort taux de chômage et les résultats sont toujours les mêmes : nul ! Lorsque l’on veut réellement régler un problème on s’attaque aux causes. Contrairement à ce que vous pensez, je ne suis pas un Bisounour mais je ne suis pas pour autant un taré de la cachette qui est prêt à allumer tous ce qui bouge dans une banlieue.


      • Mark Mallow 21 juillet 2010 09:43

        A moi aussi de vous préciser que je n’évoque pas que les barbares mais toute une partie de cette jeunesse qui prend l’irrespect comme mode de vie.

        Dans cette situation que beaucoup décrivent comme un point de non-retour, ce sont précisément ces jeunes pas encore barbares qu’il faut sauver.
        Et il n’existe selon moi pas 36 manières d’y parvenir, la première des conditions étant de leur rappeler qu’il existe des règles impératives incontournables sur lesquelles la République ne transigera pas.
        Présenter comme une « excuse » le fait que nos dirigeants ne sont pas irréprochables est un débat auquel je me refuse.
        Pour raisonner par analogie, mon rôle de parent est de poser des règles dont la hiérarchie se définit ainsi :
        celles qui sont incontournables, celles qui sont adaptables ou susceptibles d’évoluer.
        Pour les premières, pas de discussion possible avant qu’elles n’aient été intégrées, comprises et assimilées comme le socle de la vie en commun.
        Pour les secondes, tout est ouvert dans le respect de l’autre.
        Je suis navré de constater que pour nombre de mes concitoyens, le socle premier n’apparaît plus comme un impératif mais a été rétrogradé au rang des idées dont on pourrait discuter la pertinence.
        Pour moi, le débat est clair : d’abord on rétablit ce socle, ensuite on peut discuter du reste.
        Pratiquer autrement relève de la naïveté et s’avère en outre dangereux à terme (on en voit les conséquences aujourd’hui) puisque cela conduit inévitablement à l’abandon de la légitimité de ce qui a fait notre pays.

      • Gabriel Gabriel 21 juillet 2010 11:54

        Je suis entièrement d’accord avec vos derniers propos c’est juste notre façon de les exprimer qui diffère.


      • Mark Mallow 21 juillet 2010 15:08

        Vous m’en voyez ravi.

        Je dois dire que j’ai peut-être démarré un peu vite à vos premiers propos, mais j’y ai vu un préalable à mon sens inacceptable : mettre de côté l’ordre républicain le temps de discuter des « causes du déséquilibre ».

        Si tel n’est pas le cas, nous sommes en effet d’accord.

      • silversamourai silversamourai 23 juillet 2010 13:29

        Bonjour,

        la lutte de classes a ensanglanté lé XX éme siècle....

        La lutte des places risque d’être violemment dévastatrice .
        Nous avons pourtant été « prévenus » par les horreurs du nazisme,
        qui a traduit dans le réel le fantasme de « pureté absolu du territoire ».

        La dimension individuelle de la lutte des places a des effets
        déstructurants majeurs au seins des entreprises....

        Un questionnement sur les forces en jeu dans l’espace qui relie
        territoire et processus identitaire, a-t-il des chances de proposer
        une alternative à la barbarie ?

         

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