1. Les territoires perdus de la République

L’eau a coulé sous le pont depuis 1974. Spanish Harlem et le Bronx sont désormais des quartiers « intégrés » à caractère bobo (pour emprunter une expression française) et les criminels qui y séjournent sont ceux du crime organisé qui profitent et surtout ne contestent pas l’ordre de la cité. Ils agissent discrètement, efficacement sous le terme classique définissant la pègre : ils sont underground. C’est à dire, et contrairement au terme lui-même, des citoyens modèle gérant en symbiose une partie des affaires politiques et économiques de la cité. Sans faire de vagues, sans contester le théâtre de la légalité républicaine. Un peu comme pendant les années d’avant et d’après guerre en France où, à Marseille ou à Lyon, les municipalités géraient en toute intelligence la cité avec le « milieu ». Pour tout marseillais, c’était l’âge d’or de leur ville, et les malfrats rebelles de l’époque, tel Pierrot le fou à Paris trouvaient refuge non pas dans la banlieue rouge mais dans ses environs campagnards et les îles bucoliques de l’Ile de France.
Pour revenir à New York, c’est un fait incontestable, la ville, saignée à blanc, est désormais en état de faillite à cause des coûts de sa politique de « tolérance zéro » : des dizaines de milliers de policiers ont été engagés, des centaines de policiers ont été chassés de leur poste pour cause ce corruption (intelligence avec « l’ennemi »), des juges, des procureurs, des fonctionnaires municipaux. Mais le résultat est là. Une seule loi fut votée pour accompagner la reprise des territoires perdus. Une. En France et depuis dix ans, pour le même objectif, 17 lois ont été votées mais parallèlement près de dix mille postes de fonctionnaires de la police/gendarmerie ont été supprimés. Le morcellement du territoire en fiefs et l’abandon des espaces urbains par la Cité ont été accompagnés par une privatisation des forces de l’ordre qui ne vise plus la sécurité de la Cité dans son ensemble mais des espaces privés (supermarchés par exemple), publics (aéroports) et semi-publics (logement social par exemple) en tant que tels. Quel que soit le discours « global », et certaines réformes touchant à la police et la gendarmerie en ce sens, les faits indiquent clairement un morcellement et un désengagement de la Cité des avant-postes de l’Etat de droit, là où il est fortement contesté par des assauts d’un contre-pouvoir aux valeurs éminemment féodales. Les polices municipales, dont le rôle n’est nullement contesté, ne sont cependant qu’une réponse éclatée, face à des territoires et des anti-pouvoirs éclatés et multiples. Ainsi, la « stratégie » est remplacée par la « coordination », le global par le local, l’anticipation par la pression du fait divers. Les ministres en charge de l’ordre public se transforment en commis voyageurs, répondant au plus pressant et « vendant » des lois nouvelles chaque fois plus spécifiques et chaque fois moins stratégiques.
Pourtant, les outils pour une approche géo-spatiale globale ne manquent pas. Ni même, avec l’INHESJ, la réflexion à long terme et les propositions stratégiques mis à la disposition du politique. Ni enfin une vision permettant d’agir au sein des environnements entropiques complexes. Mais, de toute évidence, les moyens pour mettre en œuvre des politiques cohérentes et la volonté politique de les délester de la dictature du court - terme et de la pression médiatique font défaut.
Eric Ciotti, disait hier : « la lutte contre la délinquance ne se gagne pas dans des colloques mais dans la rue ». Je crois avoir entendu des paroles similaires par ceux justement qui « tiennent la rue et ses trottoirs ».
On ne peut pas exiger des proxénètes et autres caïds une intelligence anticipative mais on peut l’espérer du secrétaire général de l’UMP chargé des questions de sécurité.
A suivre…
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