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Les trois sorcières de MacBeth et La gouvernance

Aux yeux de l'opinion bien pensante française, le concept de domination par l'empire britannique n'est que l'émanation de l'imagination dérangée de parias qui refusent le statu quo. La mondialisation n'est après tout que le fait d'un processus d'augmentation des interactions de toutes les différentes parties du monde entre elles, qui depuis les premiers voyages de Christophe Colomb aux discussions instantanées sur Skype n'as fait que réduire considérablement l'espace et le temps qui sépare les cultures et les individus. La domination occidentale sur le reste du monde, opérée par des procédés coercitifs a maintenant laissé la place à une croissance des BRICs, semble redistribuer les cartes et redéfinir la nature des relations nord-sud. 
Quelle est donc le sens, ou l'utilité de faire référence au terme d'empire britannique dans un monde où les empires n'existent plus ? 
 
Depuis l'expérience des empires coloniaux des siècles passés, la notion d'empire est perçue de façon péjorative, pourtant, pour un des premiers penseurs de la renaissance, Dante Aliguieri, l'idée d'empire universel de Dante, le processus recherché n'est pas l’asservissement d'une multitude de peuples par une hyper-centralisation du processus décisionnel mais l’amélioration de l'être humain par la progression des connaissances. A l'opposé de cette vision humaniste "d'empire", se trouve la démarche des trois sorcières de Shakespeare dans la pièce Macbeth. Oui, qu'il semble étrange que les sorcières de la pièce de Shakespeare puissent servir de doublure à la figure d'un empereur est pour le moins normal, néanmoins, il convient de souligner le fait que celle-ci partage malgré tout avec l'empereur un caractéristique commune. 
 

 
Petites, trapues, incapable de faire face physiquement aux guerriers écossais, les trois sorcières parviennent à dominer la volonté du fort et bien bâti MacBeth, menant ce dernier à tuer son souverain et à détruire son royaume. Comme le montre l'expression : "Fair is false, and false is fair" au début de la pièce (le vrai est faux et le faux est vrai), le pouvoir s'exprime par la capacité à induire chez autrui un comportement qui aille à l'encontre de ses intérêts immédiats afin d'établir une relation de domination. 
L'empire d'aujourd'hui n'est donc pas défini par une relation de pouvoir coercitif mais plutôt par un pourvoir de persuasion. Suivant cette méthodologie, les sorcières de MacBeth modernes conçoivent que le pouvoir social vise à créer un système de croyances qui gouverne les comportements sociaux. 
 
Parmi les théorises contemporains de cette méthode, Peter Van Ham, directeur des recherches au global governance institute des paysbas, explique dans son écrit le pouvoir social dans la politique internationale, que à l'ère de la mondialisation le focus sur le pouvoir "dur" (hard power), ne suffit plus et doit être complété par le "pouvoir social".
 
Selon lui," le pouvoir social est effectif lorsqu'un acteur réussit à intégrer ses normes et valeurs à l'échelle mondiale en établissant des normes de façons à ce quelles semble légitime et désirable sans user de coercition ou de corruption. "
 
Ainsi, en suivant cette démarche sociologique dans les relations internationales, il convient de réaliser que la politique internationale n'est pas définie par une structure d'équilibre des forces intemporelle imposée aux Etats, institutions, multinationales, et autres acteurs non gouvernementaux, mais par "l'intersubjectivité ou la structure idéelle qui forme la façon dont les acteurs se définissent", La réalité des acteurs est donc le fruit d'une construction humaine et non d'une anarchie constante et invariable comme c'est le cas dans le Réalisme américain
 
Pour Alexander Wendt, dans son livre la théorie sociale en politique internationale, la nature de "l'anarchie est le fruit" des interactions sociales "entre Etats"(anarchy is what states make of it). le dilème de la sécurtié auquel les etats font face n'est donc pas en lui même une vérité absolue mais une croyance partagée. 

Par exemple, la logique du Réalisme offensif américain de John Mearsheimer qui consiste à maintenir un déséquilibre des forces en faveur des USA dans toutes les régions du monde où celle-ci est menacée, se trouve être une prophétie auto réalisatrice qui mène les Etats visés, comme la chine en ce moment, à rééquilibrer leurc objectifs et budgets militaires pour faire face aux craintes auto alimentées des USA. Les "pentagonnais", à la manière de macbeth, qui pensent que la montée de la Chine sur le plan économique va être inévitablement convertie en puissance militaire doivent leur interprétation à leur propre subjectivité plus qu'à une véritable intention manifeste de la Chine. Néanmoins, Il en résulte que la relation causale d'une possible guerre mondiale opposant la chine et les USA serait le fait d'une incompréhension mutuelle basée sur une même interprétations erronée des intentions d’autrui. 

Dans le cas de la démarche des sorcières de Shakespeare, le fait de volontairement provoquer une telle incompréhension aurait pour but de diviser les deux puissances et de réduire leur capacités à coopérer. Mais cela ne reste que conjecture. La confrontation entre USA et Chine générée par le paradigme Réaliste serait le résultat d'une construction inter-subjective induite, reste une question ambiguë. Néanmoins, pour constater la théorie sociale en politique internationale, tournons-nous du côté du paradigme plus évident du choc des civilisations. 
 
Dans leur écrit, repenser un mythe politique : le clash des civilisation en tant que prophétie auto réalisatrice, Chiara Bottici et Benoit Challand, démontrent le caractère socialement construit de la confrontation entre blocs culturels et religieux dont le point de départ n'est autre que le postulat de Samuel Huntington lui même, plus que d'une nature confrontationnelle réelle. 

En effet, le fait que l'analyse du clash des civilisations ait provoqué elle même les postulats d'une partie des décideurs américains dans leur interprétation du rejet des musulmans de la politique américaine est grandement à l'origine de la confrontation. En réalité, il est plus juste d'estimer que l'opposition à la politique occidentale menée par les USA portait sur les déploiements militaires et le soutien de régimes autoritaires, plus que sur les "valeurs de l’Amérique" auxquels beaucoup de musulmans trouvent, encore à ce jour, une inspiration. La théorie du clash ayant porté le débat sur le plan des valeurs religieuses a de fait créée une prophétie auto réalisatrice qui, comme le disait bien Chirac, n'engage que ceux qui y croient
 
En partant de Osama ben Laden, aux jeunes auto-radicalisé des attentats de boston, aux politiques et autres journalistes, le choc des civilisations est plus le fait d'une réalité intersubjective partagée par les différents acteurs que le résultat d'une opposition réelle sur le plan religieux. En d'autres termes, le choc des civilisations n'existe que dans leur têtes, mais risque néanmoins, parce qu’ils y croient, de devenir une réalité.
 
Ainsi, à la lumière de cette analyse, il convient de se demander pourquoi des sociologues, tels que Anthony Giddens auteur du terme "globalisation" et gourou auto-proclamé de Tony Blair, insistent pour analyser des processus qu'ils créent eux mêmes par leurs analyses ? 
 
 En 1999, le rapport sur le développement Humain de l'ONU définit le concept de "governance", non pas comme l'idée d'un gouvernement mondial centralisateur, mais comme " la mise en place du cadre des lois, d’institutions et de pratiques qui définissent les limites aux comportements des individus, des organisations et des entreprises". 
 
D'un point de vue sociologique, la global governance, consiste donc à définir les croyances collectives des différents acteurs internationaux. Si pour Peter van Ham, ce pouvoir social reste très difficile à contrôler, il ne reste néanmoins qu'il est théorisé et expérimenté par des gouvernements des institutions internationales et des acteurs transnationaux. La démarche qui consiste à définir "l'agenda global" est donc bien une tentative de définir ce que sera la monde de demain et d'aujourd'hui. 
 
De retour à nos petites sorcières, il convient donc de déterminer quelles sont les normes et croyances intersubjectives, qui favorisent l'oligarchie financière mondiale. Nulle doute que le vieil adage du diviser pour mieux régner appliqué à toutes les cultures, individus, et Etats du monde soit un bon point de départ, mais il reste que chacun trouve ce qu'il cherche et que la définition que l'on se donne de l'oligarchie aura pour beaucoup d'influence sur ce que l'on trouvera et comment on le trouvera. 
 
Pour ma part, l'empire britannique dans sa capacité historique à subjuguer intellectuellement l’Élite américaine, chinoise, européenne, reste le facteur dominant la gouvernance mondiale. Du concept d'intervention humanitaire, à l'agenda 21 sur le climat, les exemples d'influence théoriques de l'école anglaise sur l'agenda international reste légion. Bien que capable d'une formidable capacité d'adaptation, l'empire britannique reste voué au seul but de maintenir sa mainmise sur les échanges commerciaux et financiers dans le monde et se distingue donc d'une démarche humaniste car il bride les capacités de transcendance humaine afin de maintenir le contrôle. 
 
Durant l'ère victorienne, Benjamin Disraeli premier ministre libéral, opposé à la politique coloniale, restait néanmoins un admirateur de l'empire vénitien, qui dominait les échanges commerciaux du moyen-âge. La base d'une telle puissance étant de maintenir les intérêts continentaux divisés et faibles afin de se maintenir sur les océans et le commerce est donc restée induite dans la logique de l'empire britannique. Depuis les années 70, sa mutation en empire purement financier n'en a pas changé la logique. 

 
 
L'empire Britannique est-il une constrution subjective ? Peut-être. Il est néanmoins manifeste que la "governance" en tant que concept implique aussi que nous sommes tous des acteurs dans la création du monde de demain, et que les normes et règles qui le constitueront seront le fruit des bases que nous posons aujourd'hui. Ainsi, il ne dépend que de vous de définir les valeurs et normes du monde. Et même si le pouvoir persuasif et non coercitif des sorcières de MacBeth reste puissant, il n'engage que ceux qui y croient. Comme Dante, plaider pour la création d'une réalité intersubjective meilleure n'est pas naïf et l'est certainement moins que de prendre au sérieux des prophéties auto réalisatrice qui mènent au chaos et à l'ignorance. 
Il est grand temps de lever le sortillège des sorcières de Macbeth et de nous libérer des chaines de l'ignorance. 

 


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