Les trois voies de la vérité (philosophie)
Les philosophes ont longtemps débattu sur la question de savoir quelle est la meilleure voie vers la vérité : l'expérience immédiate ou l'abstraction et la Raison ? Je vais peut-être les mettre d'accord, si ma thèse se vérifie... Ma conception prend la forme d'une triade autour des notions suivantes : relation, lien, rapport. J'expliquerai ce que j'entends exactement par ces notions. Chacune de ces dimensions permet l'accès à la vérité. Evidemment, cela ne s'arrête pas là sinon si ce serait trop simple. Ces trois chemins actionnent des processus qui viennent influer sur la vérité. Ces processus sont variés : par exemple, il y a la représentation mentale, les intentions, les affections, les passions, la Volonté de puissance.
LA RELATION au monde et à soi-même : 1ère voie de la vérité
Chacun a pu faire l'expérience de l'immersion dans la vérité par une relation immédiate au monde ou à soi-même (le Moi réflexif). Plongé dans l'ambiance d'une nature qui l'enveloppe, l'être ressent pleinement la vie et il sait qu'il est en contact avec la vérité authentique. Bien entendu, il existe une part d'erreur. Nos sens sont imparfaits et ne captent pas tout. Ils peuvent aussi déformer la réalité. Mais cela ne détruit en rien l'idée que la relation immédiate au monde est relation à la vérité. L'erreur confirme l'exception. La vérité est bien présente, là, ce sont seulement nos sens (ou notre conscience) qui ne nous la montrent pas dans son intégralité ou qui la déforment, voire la nient. D'ailleurs, la vérité qui nous échappe, d'autres êtres peuvent l'exprouver. Preuve (mais incommunicable d'un être à l'autre) qu'elle est universelle.
Il n'y a pas que la relation directe au monde comme vérité universelle, il y a aussi la relation à l'être universel par la démarche métaphysique. Lorsque Descartes a appliqué sa méthode de clarification interne pour un accès à la claire évidence du vrai - au sens métaphysique - il a prouvé l'universalité de la vérité interne. Il a dit "je pense, je suis" et ce principe vaut pour tout être pensant. Il est donc universel, il est donc une porte sur la vérité.
Enfin, il n'y a pas que la vérité interne à valeur universelle, il y a la vérité interne de chaque être. Chacun a sa propre vérité interne. Elle passe par le relation : de soi à soi par suppression de tout ce qui fait obstacle à cette plongée intime. Cette part intime de chacun reste pour une très grande part inconnaissable par les autres, même par les psychanalystes les plus qualifiés.
LE LIEN aux autres et à la société : la 2ème voie de la vérité
Mais qu'est-ce que le lien ? N'est-ce pas synonyme de la relation ? Pas selon ma définition. Je crois que la relation est directe, immédiate, sans raccourci. Le lien est plus élaboré et, de plus, il exprime une idée de permanence, de constance et de solidité, d'enracinement.
Là où cela se complique, c'est que la relation et le lien coexistent. Je prends un exemple qui "parle" : un père et un enfant au bord de la mer. Il y a relation de chaque être avec la nature autour. Il y a aussi une relation interindividuelle : le père perçoit le fils et le fils perçoit le père dans une relation immédiate. Mais il y a aussi un lien, à savoir quelque chose qui unit durablement les deux êtres, les enracine, et les transpose dans une dimension symbolique (le rôle du père a une fonction symbolique, l'image de l'enfant éveille des affections qui véhiculent aussi des sentiments et images spécifiques).
On peut dire la même chose pour un maître et son élève traitant un sujet de connaissance ou étudiant une œuvre d'art, d'un couple d'amoureux. Dans ce dernier cas, il y a relation avec la nature et lien affectif très fort entre les deux êtres. Il s'agit bien d'un lien et non d'une relation car la relation est perception immédiate alors que l'amour suppose un média, une triangulation par le sentiment. Le sentiment est quelque chose de très abstrait et de très sophistiqué, à tel point que l'on peine encore à définir et à expliquer en dépit des progrès fulgurants de la science moderne. La relation, au contraire passe par la voie directe, elle n'implique pas de choses complexes comme le sentiment amoureux ou les symboliques sociales à dimensions multiples et variables.
Ce qu'il faut retenir des deux premiers points : la relation est immédiate (c'est la pleine conscience du monde ou de son Moi intérieur universel), le lien est une attache durable qui enracine dans des dimensions sociales et symboliques ou des sentiments complexes. Ce sont deux portes différentes pour accéder à la vérité.
LE RAPPORT : 3ème voie vers la vérité
C'est ici que nous mettons d'accord les vieux philosophes qui s'opposaient sur le point de savoir quel était l'unique chemin vers la vérité vraie. Car la vérité est qu'il n'y a pas un chemin unique mais trois. Le chemin du rapport passe par l'abstraction, la raison, la logique, l'imagination, en bref la pensée dans toutes ses variations possibles.
C'est le rapport qui fait naître le langage, les concepts, les structures de pensée diverses qui permettent à notre esprit de fonctionner. Le chemin de l'abstraction est créatif et il peut aller jusqu'à inventer un monde et faire naître une chose qui n'existe pas à l'état naturel (c'est-à-dire au stade de la simple relation au monde) : la foi.
La poésie, la musique, la littérature, l'art en général, la philosophie, la religion, les contes et légendes, tout cela met en jeu des rapports. Le rapport, en gros, c'est une forme de transcendance : cela remonte à quelque chose d'élevé (des valeurs, des principes, des croyances...) et cela redescend pour teinter d'une façon spéciale nos liens et nos relations. La morale et la politique sont les formes les plus emblématiques de la dimension du rapport.
Le rapport n'est pas naturel et n'est pas non plus du lien (du vécu ancré durablement) mais il est source de vérité au même titre que les autres dimensions. Les scientifiques rigoureux diront que c'est la voie qui doit prévaloir, les humanistes opteront plutôt pour la voie de la relation entre personnes humaines, les amoureux de la nature diront que c'est la première voie la meilleure. Qu'importe ! Il y a trois voies d'accès à la vérité. Il serait aberrant d'en négliger une ou, même, de faire prévaloir l'une sur les autres.
LES PROCESSUS mis en action
Quand nous évoluons dans ces trois dimensions, celle de la relation, celle du lien et celle du rapport, des processus se mettent en branle. Les processus de perception, d'affection (tristesse, joie, colère, peur, dégoût), de Volonté de puissance, autrement dit de de désir et de volonté. Contrairement aux affections, nous sommes dans ce dernier cas actifs et non plus passifs. Des passions aussi (mode actif également) : l'admiration, l'envie, la jalousie, l'ambition.
Il y a enfin tout un ensemble que j'appellerai "processus d'intention" : il s'agit de tout ce que nous projetons autour du concept de "sens". Tout ce qui fait sens appelle de notre part une action, un engagement. Nous élaborons des intentions pour trouver le sens. L'être humain est taraudé par la question du sens (à cause de l'angoisse liée à la mort et à l'idée de perte de façon plus générale). L'animal, lui, n'est pas inquiet à ce propos. Le premier sens se définit souvent comme étant ce qui est utile. La première utilité est l'adaptation pour la survie. Mais l'être humain a élaboré toutes sortes d'échelles de sens qu'il serait fastidieux d'énumérer ici.
Second sens chez l'Homme : la position qu'il entend tenir dans la société : dans sa famille, dans son clan, dans la société, dans la postérité. Ce sens de deuxième niveau est à l'origine de bien des luttes et de guerres.
Le sens de la possession vient ensuite. Il est très souvent lié au premier : c'est par la possession de biens, de titres, d'honneur et de relations dans le monde que l'individu s'élève socialement et en pouvoir.
Le désir enfin est proprement humain et trop complexe pour être défini. Ses formes sont infinies.
Le sentiment du juste pour finir est issu de la perception de l'injustice. C'est un sentiment plutôt égoïste au premier abord parce que l'on comprend l'injustice par le vécu de sa propre frustration, puis par la vision de cette même frustration subie par un congénère auquel on s'identifie. Pour trouver la justice vraie, il faut pouvoir dépasser cette conception. En tous, le juste ne passe pas uniquement par des droits revendiqués pas plus qu'il ne saurait se limiter à des devoirs imposés de l'extérieur (et du haut de la société) auxquels il faudrait se plier. En ce qui me concerne, je préfère l'engagement individuel au devoir imposé par la société. Cela me semble plus productif et surtout plus responsabilisant. Mais ici s'arrêtera ma digression politique en écho à l'actualité.
En conclusion, je dirai qu'il faut concilier les trois dimensions pour cheminer vers une vérité complète et équilibrée. J'ajouterai qu'il faut prendre garde de ne pas prendre le sens pour la vérité. Le risque est en effet qu'en préférant trouver du sens à tout prix notre vie, nous en négligions l'exigence de vérité. Or, ce qui fait la noblesse de l'être humain, c'est moins le sens qu'il se construit que son désir profond de connaissance de la vérité.
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