• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > Les trois voies de la vérité (philosophie)

Les trois voies de la vérité (philosophie)

Les philosophes ont longtemps débattu sur la question de savoir quelle est la meilleure voie vers la vérité : l'expérience immédiate ou l'abstraction et la Raison ? Je vais peut-être les mettre d'accord, si ma thèse se vérifie... Ma conception prend la forme d'une triade autour des notions suivantes : relation, lien, rapport. J'expliquerai ce que j'entends exactement par ces notions. Chacune de ces dimensions permet l'accès à la vérité. Evidemment, cela ne s'arrête pas là sinon si ce serait trop simple. Ces trois chemins actionnent des processus qui viennent influer sur la vérité. Ces processus sont variés : par exemple, il y a la représentation mentale, les intentions, les affections, les passions, la Volonté de puissance.

LA RELATION au monde et à soi-même : 1ère voie de la vérité

Chacun a pu faire l'expérience de l'immersion dans la vérité par une relation immédiate au monde ou à soi-même (le Moi réflexif). Plongé dans l'ambiance d'une nature qui l'enveloppe, l'être ressent pleinement la vie et il sait qu'il est en contact avec la vérité authentique. Bien entendu, il existe une part d'erreur. Nos sens sont imparfaits et ne captent pas tout. Ils peuvent aussi déformer la réalité. Mais cela ne détruit en rien l'idée que la relation immédiate au monde est relation à la vérité. L'erreur confirme l'exception. La vérité est bien présente, là, ce sont seulement nos sens (ou notre conscience) qui ne nous la montrent pas dans son intégralité ou qui la déforment, voire la nient. D'ailleurs, la vérité qui nous échappe, d'autres êtres peuvent l'exprouver. Preuve (mais incommunicable d'un être à l'autre) qu'elle est universelle.

Il n'y a pas que la relation directe au monde comme vérité universelle, il y a aussi la relation à l'être universel par la démarche métaphysique. Lorsque Descartes a appliqué sa méthode de clarification interne pour un accès à la claire évidence du vrai - au sens métaphysique - il a prouvé l'universalité de la vérité interne. Il a dit "je pense, je suis" et ce principe vaut pour tout être pensant. Il est donc universel, il est donc une porte sur la vérité.

Enfin, il n'y a pas que la vérité interne à valeur universelle, il y a la vérité interne de chaque être. Chacun a sa propre vérité interne. Elle passe par le relation : de soi à soi par suppression de tout ce qui fait obstacle à cette plongée intime. Cette part intime de chacun reste pour une très grande part inconnaissable par les autres, même par les psychanalystes les plus qualifiés.

LE LIEN aux autres et à la société : la 2ème voie de la vérité

Mais qu'est-ce que le lien ? N'est-ce pas synonyme de la relation ? Pas selon ma définition. Je crois que la relation est directe, immédiate, sans raccourci. Le lien est plus élaboré et, de plus, il exprime une idée de permanence, de constance et de solidité, d'enracinement.

Là où cela se complique, c'est que la relation et le lien coexistent. Je prends un exemple qui "parle" : un père et un enfant au bord de la mer. Il y a relation de chaque être avec la nature autour. Il y a aussi une relation interindividuelle : le père perçoit le fils et le fils perçoit le père dans une relation immédiate. Mais il y a aussi un lien, à savoir quelque chose qui unit durablement les deux êtres, les enracine, et les transpose dans une dimension symbolique (le rôle du père a une fonction symbolique, l'image de l'enfant éveille des affections qui véhiculent aussi des sentiments et images spécifiques).

On peut dire la même chose pour un maître et son élève traitant un sujet de connaissance ou étudiant une œuvre d'art, d'un couple d'amoureux. Dans ce dernier cas, il y a relation avec la nature et lien affectif très fort entre les deux êtres. Il s'agit bien d'un lien et non d'une relation car la relation est perception immédiate alors que l'amour suppose un média, une triangulation par le sentiment. Le sentiment est quelque chose de très abstrait et de très sophistiqué, à tel point que l'on peine encore à définir et à expliquer en dépit des progrès fulgurants de la science moderne. La relation, au contraire passe par la voie directe, elle n'implique pas de choses complexes comme le sentiment amoureux ou les symboliques sociales à dimensions multiples et variables.

Ce qu'il faut retenir des deux premiers points : la relation est immédiate (c'est la pleine conscience du monde ou de son Moi intérieur universel), le lien est une attache durable qui enracine dans des dimensions sociales et symboliques ou des sentiments complexes. Ce sont deux portes différentes pour accéder à la vérité.

LE RAPPORT : 3ème voie vers la vérité

C'est ici que nous mettons d'accord les vieux philosophes qui s'opposaient sur le point de savoir quel était l'unique chemin vers la vérité vraie. Car la vérité est qu'il n'y a pas un chemin unique mais trois. Le chemin du rapport passe par l'abstraction, la raison, la logique, l'imagination, en bref la pensée dans toutes ses variations possibles.

C'est le rapport qui fait naître le langage, les concepts, les structures de pensée diverses qui permettent à notre esprit de fonctionner. Le chemin de l'abstraction est créatif et il peut aller jusqu'à inventer un monde et faire naître une chose qui n'existe pas à l'état naturel (c'est-à-dire au stade de la simple relation au monde) : la foi.

La poésie, la musique, la littérature, l'art en général, la philosophie, la religion, les contes et légendes, tout cela met en jeu des rapports. Le rapport, en gros, c'est une forme de transcendance : cela remonte à quelque chose d'élevé (des valeurs, des principes, des croyances...) et cela redescend pour teinter d'une façon spéciale nos liens et nos relations. La morale et la politique sont les formes les plus emblématiques de la dimension du rapport.

Le rapport n'est pas naturel et n'est pas non plus du lien (du vécu ancré durablement) mais il est source de vérité au même titre que les autres dimensions. Les scientifiques rigoureux diront que c'est la voie qui doit prévaloir, les humanistes opteront plutôt pour la voie de la relation entre personnes humaines, les amoureux de la nature diront que c'est la première voie la meilleure. Qu'importe ! Il y a trois voies d'accès à la vérité. Il serait aberrant d'en négliger une ou, même, de faire prévaloir l'une sur les autres.

LES PROCESSUS mis en action

Quand nous évoluons dans ces trois dimensions, celle de la relation, celle du lien et celle du rapport, des processus se mettent en branle. Les processus de perception, d'affection (tristesse, joie, colère, peur, dégoût), de Volonté de puissance, autrement dit de de désir et de volonté. Contrairement aux affections, nous sommes dans ce dernier cas actifs et non plus passifs. Des passions aussi (mode actif également) : l'admiration, l'envie, la jalousie, l'ambition.

Il y a enfin tout un ensemble que j'appellerai "processus d'intention" : il s'agit de tout ce que nous projetons autour du concept de "sens". Tout ce qui fait sens appelle de notre part une action, un engagement. Nous élaborons des intentions pour trouver le sens. L'être humain est taraudé par la question du sens (à cause de l'angoisse liée à la mort et à l'idée de perte de façon plus générale). L'animal, lui, n'est pas inquiet à ce propos. Le premier sens se définit souvent comme étant ce qui est utile. La première utilité est l'adaptation pour la survie. Mais l'être humain a élaboré toutes sortes d'échelles de sens qu'il serait fastidieux d'énumérer ici.

Second sens chez l'Homme : la position qu'il entend tenir dans la société : dans sa famille, dans son clan, dans la société, dans la postérité. Ce sens de deuxième niveau est à l'origine de bien des luttes et de guerres.

Le sens de la possession vient ensuite. Il est très souvent lié au premier : c'est par la possession de biens, de titres, d'honneur et de relations dans le monde que l'individu s'élève socialement et en pouvoir.

Le désir enfin est proprement humain et trop complexe pour être défini. Ses formes sont infinies.

Le sentiment du juste pour finir est issu de la perception de l'injustice. C'est un sentiment plutôt égoïste au premier abord parce que l'on comprend l'injustice par le vécu de sa propre frustration, puis par la vision de cette même frustration subie par un congénère auquel on s'identifie. Pour trouver la justice vraie, il faut pouvoir dépasser cette conception. En tous, le juste ne passe pas uniquement par des droits revendiqués pas plus qu'il ne saurait se limiter à des devoirs imposés de l'extérieur (et du haut de la société) auxquels il faudrait se plier. En ce qui me concerne, je préfère l'engagement individuel au devoir imposé par la société. Cela me semble plus productif et surtout plus responsabilisant. Mais ici s'arrêtera ma digression politique en écho à l'actualité.

En conclusion, je dirai qu'il faut concilier les trois dimensions pour cheminer vers une vérité complète et équilibrée. J'ajouterai qu'il faut prendre garde de ne pas prendre le sens pour la vérité. Le risque est en effet qu'en préférant trouver du sens à tout prix notre vie, nous en négligions l'exigence de vérité. Or, ce qui fait la noblesse de l'être humain, c'est moins le sens qu'il se construit que son désir profond de connaissance de la vérité.


Moyenne des avis sur cet article :  2.67/5   (6 votes)




Réagissez à l'article

12 réactions à cet article    


  • ddacoudre ddacoudre 7 septembre 2019 07:42

    Bonjour « Mais cela ne détruit en rien l’idée que la relation immédiate au monde est relation à la vérité. » J’ai lu ton analyse, tu l’as pensé donc elle est possible. Nous ne pouvons rien penser qui ne soit en relation avec la vérité, si comme tu as écrit la Vérité remplace Dieu, la Nature, l’univers, le grand architecte etc. Toutes les représentations que nous avons de d’indéfinissable. Toute la philosophie à voulu y donner une réponse. Est c’est cela qui est un moteur de recherche ,un attracteur. Une espérance indicible son puisse l’étendre. Si nous avons une perception de cela, c’est que nous recevons et disposons d’informations, pour l’émettre, mais l’émettre par rapport à nos sens connus. Et dans cette recherche le besoin et la nécessité ont créer des dieux qui viennent parler ou inspirer les hommes par des absolus mortifères. Il n’interprète que ce que la Vérité, à laquelle ils sont rattachés, qu’ils peuvent ressentir et la partie qu’ils pourront interpréter en partie. Ce processus vaut pour tout le vivant et le questionnement, est : pourquoi suivant les espèces la notre dispose d’incroyables capacités d’apprentissage qui ne sont apparue qu’à partir de l’instant où nous sommes entrée dans la RARETÉ.

    http://ddacoudre.over-blog.com/2019/08/la-rarete.html Cordialement ddacoudre OverBlog


    • Shaw aka CVN42-OSe-F-HD Shaw 7 septembre 2019 07:45

      @ddacoudre

      Tu veux avoir ton sticker personnalisé ?

      Demande et tu seras exaucé.


    • Shaw aka CVN42-OSe-F-HD Shaw 7 septembre 2019 07:47

      @dès à coudre

      T’as 2 mn pour répondre, sinon Pschitt, sachant que je te garantis rien, ta gueule ne m’est jamais revenue jusqu’ici...


    • Taverne Taverne 7 septembre 2019 12:00

      @ddacoudre

      Pas mal dit et je vois que vous avez compris ma démarche. Juste une chose que je veux ajouter : c’est à dessein que j’ai placé dans le titre le mot « philosophie » entre parenthèses pour bien indiquer que je ne traite pas de la vérité au sens religieux.


    • Francis, agnotologue JL 7 septembre 2019 10:48

       http://arsindustrialis.org/vocabulaire-attention-retention-protention 

      « L’attention, la rétention et la protention forment la vie de la conscience. Si « l’ordre chronologique » est celui de la rétention du passé, de l’attention au présent, et de la protention à venir, l’ordre logique et phénoménologique (c’est à dire tel qu’il se présente à la conscience) impose de commencer par le milieu : par l’attention, qui ouvre l’une à l’autre rétention et protention. »


      • Sozenz 7 septembre 2019 11:18

        bonjour taverne

        bon article qui a le merite de mettre des parenthèses afin de bien faire comprendre les limites que se mettent les humains par rapport à leurs défaillances personnelles pour l accès à ce que vous appelé la Vérité . mais le principes est très bon ;

        On approche du raisonnement de la raison de notre incarnation sur terre

        merci pour votre article


        • Taverne Taverne 7 septembre 2019 11:57

          @Sozenz

          Merci. Néanmoins je modérerai un peu ma conclusion en disant qu’en définitive je pense qu’il vaut mieux trouver du sens à sa vie pour bien vivre plutôt que de chercher à tout prix la vérité. Et oui j’ai changé un peu d’avis parce que j’estime que la vérité est prioritaire mais ne gâchons pas nos vies pour autant.


        • shadrack shadrack 7 septembre 2019 12:46

          @Taverne

          Bonjour,
          J’ai bien aimé votre article.
          D’autant plus depuis votre changement d’avis : comme la philosophie chrétienne nous le dit, la quête de la Vérité nous est inaccessible de notre vivant. Reste celle du sens, qui est peut-être la quête de la Vérité, justement, même s’il ne s’agit que de notre vérité. Hegel pensait : le Vrai, c’est le tout. Je le crois avec lui.
          Fraternellement.


        • Taverne Taverne 7 septembre 2019 14:20

          @shadrack

          Bonjour et merci.

          L’être humain doit savoir se composer à la fois de vérité et de sens. Quand nous racontons l’histoire du Père Noël à nos enfants, nous le faisons au nom du sens et au nom de la vérité. A d’autres moments de leur vie, nous leur enseignons des choses au nom de la vérité. Nous avons ainsi besoin des deux.


        • Taverne Taverne 7 septembre 2019 14:21

          Correction : « Quand nous racontons l’histoire du Père Noël à nos enfants, nous le faisons au nom du sens et non pas au nom de la vérité. »


        • Francis, agnotologue JL 7 septembre 2019 15:03

          @Taverne
           
           ’’il vaut mieux trouver du sens à sa vie pour bien vivre plutôt que de chercher à tout prix la vérité.’’
           
           Selon André Comte Sponville, « donner un sens à la vie c’est aussi donner de la vie à ses sens »
           
           http://jacquespierre72.unblog.fr/2010/08/23/le-gout-de-vivre-dandre-comte-sponville/


        • Jean Keim Jean Keim 8 septembre 2019 08:51

          La vérité ne peut-être que vide de tout contenu car intemporelle.

          L’expérience n’est jamais que le souvenir d’un événement unique qui quelque soit sa nature, ne se reproduira jamais à l’identique. Même si nous disons « je fais une expérience » (plus généralement nous dirons « j’ai fait une expérience ») il s’agira toujours d’un événement passé, relater, expliquer, analyser, etc., sont toujours des réactions faisant appel au savoir et donc à la mémoire, ce n’est pas rédhibitoire bien au contraire dans les aspects pratiques de la vie, mais au-delà c’est une autre paire de manches.

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON



Publicité



Les thématiques de l'article


Palmarès



Publicité