Les vanités contemporaines
Les femmes s’achètent des sacs à mains et du maquillage, les hommes aiment les grosses cylindrés et les steaks… Un point commun : le besoin inextricable, quasi-génétique, de parler de soi sur les réseaux sociaux.
Ne pas avoir de compte Facebook revient à porter – au vu de tous – un pull mité déniché dans une poubelle, ne pas avoir de compte Instagram est reconnaître qu’il n’existe rien de notoire dans notre vie de cancrelat.
Etre inscrit aujourd’hui sur un réseau social ne relève pas du divertissement, mais s’apparente davantage à une carte de visite où les caractéristiques – absolument passionnantes de notre personnalité – s’affichent et se revendiquent tel un drapeau d’ambassade. On affiche la couleur et jaune fluo si possible serait un plus… Merci.
Notre société se rêve en Super Woman, en Batman, en héros par défaut superbe, où nulle infime conjecture ne saurait troubler l’ordre parfait de notre personne, Je suis inscrit donc je suis, pourrait-on penser justement.
Avoir un compte Twitter ou Facebook, c’est comme entrer dans un bar en parlant fort et penser que notre monologue passionne tout le monde…
C’est une liberté que l’on s’autorise sans gêne aucune, parce qu’elle est conseillée, dictée par la société individualiste que nous avons construite. Ici, le particularisme est la règle, faire preuve d’écoute est l’exception, voire une attitude désuète presque risible, révélant le manque d’intérêt de sa personne.
Le marathon du « J’aime », du retweet, du commentaire constitue l’obsession, je plais, je ne laisse pas indifférent puisqu’on parle de moi (même si c’est par mansuétude, par pitié parfois).
J’ai remarqué qu’une personne avouant ne pas avoir de compte Facebook faisait l’effet d’une tragédie sur les visages, telle l’annonce d’une mort violente qui toucherait un proche, on la plaint tacitement déplorant qu’aucun évènement supposé intéressant n’ait bien voulu traverser sa morne existence.
Mais les réseaux sociaux sont également une victoire de l’individu sur le général, un droit de parole accordé à chacun.
Il est heureux que des personnes qui ne passeront jamais à télé dans l’émission de Laurent Ruquier puissent s’exprimer, aient gagné le droit à leur part de prime time individuel, montrent des photos de leur nouveau vernis sur les orteils, informent qu’elles ont mangé un abricot ou perdu leur doudou… Parce que la vacuité leur fait du bien à défaut de passionner. Je suis No Life et c’est mon droit !
Ne rien avoir à dire et le faire savoir contribuent à l’expression personnelle. Facebook et les blogs divers et variés sont des instruments de ce langage, de l’émotion ou de la parole qui se traduisent sur la toile ; ce sont des médias d’expression individuelle qui font du bien et rassurent. Des psychologues dociles et toujours dispos dont on abuse pour son plaisir.
Les réseaux sociaux constituent également un contrepouvoir égal à celui de la presse et de la télévision, un courant d’eau inextinguible et fulgurant nécessaire et perturbant. Ils permettent d’informer et de susciter la réaction, la protestation ou la complaisance.
Ce sont à l’heure actuelle des médias d’influence utiles parce qu’ils obéissent à l’instantané, au prêt à consommer et ont le pouvoir envié de soulever les masses en peu de temps.
Ce sont également de réels dangers à l’échelle politique, manipulateurs et pernicieux, au pouvoir de désinformation réel pour celui qui est un peu trop crédule et ignorant les contextes particuliers.
Les médias sociaux cachent leur posologie et leurs effets secondaires derrière, globalement, la liberté affichée de dire et de faire savoir. Ils constituent une arme entre des mains inexpérimentées ou savamment expertes.
Une lame de rasoir sur laquelle on aime passer le doigt jusqu’à la déchirure fragile de la peau, comme pour se confronter aux limites du prétendu contrôle que l’on se persuade de détenir sur eux.
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