Les voies de la création au Liban sont-elles désormais « impénétrables » ?
Vendredi 1er décembre, un étrange mouvement anime les rues de Beyrouth... des manifestants envahissent les passages et les places du centre-ville, Feyrouz au Biel chante et les préparatifs du marathon international se poursuivent.
Le Théâtre du Rond-Point dont les activités
impliquaient les trois principaux théâtres de la ville suspendit son programme,
un programme que n’avait pas arrêté pourtant l’assassinat du ministre Pierre
Gemayel dans une volonté de " résister par la culture " comme nous le
dira l’administrateur du Théâtre Monnot et directeur de la Maison du livre, M.
Nadim Tarazi. Vingt-deux manifestations (pièces de théâtre, tables rondes et
projections de films documentaires) auront quand même eu lieu sur les
quarante-deux prévues après une période pendant laquelle les trois principaux
théâtres de Beyrouth ont vu leurs salles et leurs coulisses vides. C’est dans
un théâtre qui essaie de reprendre vie que nous avons rencontré M. Tarazi pour
parler de l’activité théâtrale au Liban mais aussi des initiatives de la Maison
du livre dans la promotion et la diffusion du livre et de l’édition libanaise.
Sur son ordinateur s’affichent des tableaux,
et une petite explication s’impose :
Depuis les hostilités israéliennes de juillet
jusqu’au 22 novembre, aucun spectacle
qui était prévu ne fut présenté. Ce n’est donc qu’à la fin de novembre, avec le
programme établi par le Théâtre du Rond-Point
que nous avons entamé effectivement la saison 2006-2007. Les autres projets,
locaux et donc financés par des initiatives privées, ont été reportés à des
dates postérieures. Et maintenant, malgré la crise politique (les manifestants
campant à quelques mètres de là, au bas de la rue Monnot), la volonté des
artistes de reprogrammer leurs spectacles promet une saison chargée à une
audience qui ne se laisse pas désespérer. Ce phénomène s’était déjà produit en février
2005, après l’assassinat de Rafic el Hariri qui a vu une perturbation de l’activité
théâtrale pendant plusieurs mois.
Ces périodes nous rappellent en fait que le
théâtre au Liban se porte mal depuis plusieurs années.
Moins
de programmes intéressants, un nombre limité de représentations et surtout un
nombre de spectateurs qui rétrécit, sont autant de symptômes de la crise qui
touche le monde du spectacle au Liban. Les causes sont diverses, absence d’un
public de fidèles, absence aussi d’une politique générale de l’Etat,
initiatives privées qui font ce qu’elles peuvent, avec les moyens du bord, et
sponsors (qui ne sont pas des mécènes) dont les critères de participation
financière sont évidemment relatifs à leurs intérêts. C’est
pour ces raisons que nous avons vu au cours des dernières années, les théâtres
de Beyrouth et Al Madina arrêter un temps leurs programmes, et depuis peu
changer de locaux. Le théâtre Monnot a la chance d’être soutenu par l’USJ ce
qui lui a permis de ne jamais fermer ses portes.
Pour sa 15 ème édition, le
Salon du Livre "Lire en français et en musique", organisé par
la Mission culturelle française au Liban, a dû
être remplacé par l’opération
"auteurs en direct" qui a couvert plusieurs librairies.
En effet, les exigences techniques de la
préparation du salon (commande d’ouvrages, invitation des auteurs, etc.)
requièrent au moins 2 mois de prévision. Il faut dire que pendant les
hostilités israéliennes, tout a été mis en œuvre afin de ne pas avoir à renoncer à cette tradition qui
remonte au lendemain de la guerre civile libanaise. Devant l’impossibilité d’organiser le salon,
une solution de rechange était d’aménager un pavillon francophone dans le cadre
du Salon du Livre Arabe, salon qui sera à son tour annulé.
Dans les circonstances perturbantes que vit le
Liban, La Maison du Livre n’a pas failli à sa vocation de diffuser le livre et surtout
l’édition libanaise à l’étranger.
Il
s’agit de mettre les livres à la
disposition du plus grand public, lecteurs et professionnels, au cours de
manifestations locales et internationales (Salon du livre à Paris, Foire du
livre de jeunesse à Bologne, etc.) Pendant longtemps la participation aux manifestations
internationales résultait d’initiatives
personnelles, mais depuis deux ans, le ministère libanais de la culture délègue
des missions officielles, ce qui a augmenté sensiblement le nombre des éditeurs
participant (7 en 2005 contre 22 en 2006 à Paris) et ce qui a renforcé la notoriété
des écrivains libanais (un seul auteur invité au salon de Paris en 2005 contre
26 en 2006).
Dans cette perspective, le Liban participera
cette année, en plus du salon de Paris et de la Foire de Bologne, à la semaine du
Liban qu’organise M. Daniel Le Goff (ancien directeur du Bureau du livre
français de Beyrouth) à Limoges ou encore à des manifestations prévues dans la
région des Alpes- Côte d’Azur. Ces initiatives coïncident sans doute avec
l’intérêt que suscite l’actualité politique libanaise.
Parallèlement à cela, et dans le cadre d’un
accord signé entre les Etats français et
libanais (le Fonds de solidarité prioritaire), un projet, dont
l’objectif est le développement et la promotion de la lecture publique et de l’édition
de jeunesse, a démarré. Ce projet oeuvre pour créer des bibliothèques
publiques, tracer un réseau d’information, développer l’édition de jeunesse, en
soutenant les écrivains, les illustrateurs et les maisons d’édition, former des
bibliothécaires, aptes non seulement à organiser les livres mais également de
faire de l’animation autour (lectures de contes, rencontres avec des auteurs,
etc.)
Par ailleurs, pour la Maison Du Livre (MDL),
une urgence professionnelle s’impose, celle d’établir une base de données, un
répertoire exhaustif visant à établir un meilleur contact entre tous les
professionnels du livre et de fournir une information fiable. Car,
paradoxalement, le Liban est un grand producteur de livres touchant à divers
domaines mais leurs mauvaises diffusion et distribution les rendent
difficilement accessibles.
La question de la formation des professionnels
du livre préoccupe la Maison du Livre qui
travaille, avec le département de lettres
de l’Université Saint Joseph, à l’instauration d’un master professionnel des
métiers du livre, à partir de la rentrée 2007. En tant qu’ancien libraire,
Nadim Tarazi reconnaît l’importance de la formation dans le développement de la
profession de libraire ou d’éditeur.
Des professionnels du livre et des universitaires
locaux et européens se chargeront de la formation parallèlement aux stages
professionnels qui couvriront les différents
aspects des métiers du livre. Ce qui compte aussi, surtout, c’est la nécessité
de montrer au public que le livre n’est pas un produit économique et commercial
comme les autres. Car ce qui nous préoccupe, sans ignorer les problèmes
inhérents à l’industrie et au commerce du livre, ce sont la lecture et les
valeurs qui passent à travers le livre.
Il s’agit pour nous, à travers la Maison du Livre
et le théâtre Monnot, d’offrir des possibilités pratiques aux artistes,
écrivains, metteurs en scène qui ont envie de continuer. On peut être fatigués,
découragés, mais il suffit d’avoir la possibilité matérielle de créer pour
reprendre ses esprits et se remettre au travail.
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