Les vrais criminels de l’affaire Polanski
Roman Polanski n’est ni gibier ni prédateur. Roman Polanski est Roman Polanski. Quand on juge un homme au Tribunal, on fait l’inventaire de sa vie. Ceci n’est pas un résumé de la filmographie de Roman Polanski ni de ses récompenses, mais le récit d’un croisement avec un meurtrier, Charles Manson. 40 ans après les meurtres de la Famille Manson, faut-il vraiment réunir derrière les barreaux ces deux personnes ?
Les choses se passent plutôt bien au début vers 1967. Charles Manson mène une vie de routard sur la côte californienne, fréquente des spots hippie comme Topanga Canyon et côtoie même Dennis Wilson, batteur des Beach boys, sur lequel il fonde ses espoirs pour percer dans la musique. Profitant de l’absence de Dennis Wilson parti pour un enregistrement, toute la petite tribu de Charles Manson s’installa à son domicile et en profita pour vivre à ses crochets durant un an. Dennis Wilson ne s’en offusqua absolument pas et sympathisa avec Manson qui fit pression sur Dennis Wilson pour qu’il l’introduise auprès de producteurs et l’aide enfin à concrétiser son rêve... Le batteur lui présenta son producteur Terry Melcher, ainsi que son épouse l’actrice Candice Bergen, dans la maison même où se déroula l’année suivante la sanglante équipée. Plein de bonne volonté, Wilson lui permet d’enregistrer des bandes, mais qu’il n’a pas conservées car elles contenaient selon lui des « vibrations qui n’étaient pas de ce monde ». Wilson demanda à son agent de virer Manson et son clan de chez lui. Ce dernier le prit très mal et menaça gentiment Wilson : « Ne t’étonnes pas si tu ne revois pas ton fils. ».
Rejeté de partout, Charles Manson s’enferma de plus en plus avec sa communauté dans la paranoïa et part habiter dans la death valley, un désert géologique à la frontière de la Californie et du Nevada. La vie en communauté dérape sévèrement. Des jeunes filles sont battues et violées, sans espoir de s’échapper dans ce désert sans la moindre habitation à des kilomètres. En associant des extraits de la Bible avec des textes de l’album blanc des Beatles, il conçut une étrange prophétie selon laquelle les Noirs allaient bientôt dominer les Blancs et se tourneraient vers lui pour diriger leur nouvelle nation. Il escomptait sur la peur engendrée par les mouvements de libération des noirs dont le courant des Black Panthers était le plus violent. Par des crimes, qui auraient pu être imputés aux noirs en raison de la trace laissée, sur les lieux de l’agression, de slogans attribués aux Black Panthers, il espérait déclencher une guerre civile entre les noirs et les blancs. La sortie du « White Album » des Beatles qui s’inscrit dans l’esprit du rock qui flirtait avec le satanisme convainc encore plus Manson qui les désigna comme les quatre Chevaliers de l’Apocalypse qui l’appelaient à procéder à ces meurtres rituels.
Le 31 juillet 1969, la police de L.A. découvre le corps de Gary HINMAN un professeur de musique. La victime, aussi blessée par MANSON, a été tuée par Bobby BEAUSOLEIL. Susan Atkins et Mary Brunner ont accompagné Bobby Beausoleil à la maison de Gary Hinman, le 27 juillet 1969. Charles, apparemment convaincu que Gary avait récemment hérité une grande somme d’argent, envoie Beausoleil obtenir d’Hinman qu’il partage une partie de sa richesse. Quand Hinman refuse, les choses dégénèrent.
Bobby BEAUSOLEIL est arrêté, ce qui va faire monter la pression chez MANSON et les siens, qui redoutent déjà des représailles de la part des black panthers... C’est dans ce climat que mûrit le projet délirant de faire sortir BEAUSOLEIL de prison en commettant d’autres homicides avec une technique identique, le but étant de faire croire à la police que l’assassin n’est pas BEAUSOLEIL mais quelqu’un qui court toujours.
Le 8 août 1969, Tex Watson, Linda Kasabian, Susan Atkins et Patricia Krewinkel descendent Cielo Drive, dans le quartier hollywoodien de Bel Air. Le véhicule s’immobilise devant le numéro 10050. Michèle Morgan a fait construire la villa au début des années 40, pendant son exil américain, et Cary Grant, Henry Fonda et Katharine Hepburn l’ont habitée. Elle est occupée par Roman Polanski et Sharon Tate. Roman Polanski est absent. Tex Watson grimpe aussitôt à un poteau dont il sectionne les fils, privant ainsi la maison de téléphone. Ils escaladent la clôture, mais un bruit de moteur les surprend : Steve Parent, 18 ans qui vient de passer la soirée avec William Garretson, le gardien, est tué à bout portant. Garretson, qui loge dans une annexe, écoute des disques et sera le seul survivant.
Laissant Linda Kasabian faire le guet dehors, Watson et les deux autres filles forcent un volet du salon. Sur le canapé, Voytek Frykowski, 32 ans, ami d’enfance de Polanski, dort. « Je viens faire le travail du diable », déclare Watson en pointant son revolver sur lui. Susan Atkins le ligote avec une serviette de toilette. Dans une chambre, le trio découvre Jay Sebring, 26 ans, coiffeur, et Abigail Folger, 26 ans, héritière d’un riche marchand de café. Les trois trouvent ensuite Sharon Tate, enceinte de 8 mois et demi, endormie dans sa chambre et l’emmène, avec Jay et Abigail, dans le salon où ils les ligotent à leur tour. Frykowski, en demandant qu’on laisse Sharon s’asseoir, donne involontairement le signal de l’horreur. Watson lui tire une balle dans l’épaule et ordonne à Susan de le poignarder. A force de se débattre, il parvient à se libérer les mains et à empoigner la fille qui le larde de coups de couteau, brisant la lame dans sa fureur. Watson tire sur lui à deux nouvelles reprises puis martèle son visage avec la crosse. Abigail, épouvantée, tente de s’enfuir. Patricia Krenwinkel la rattrape pendant que Watson poignarde Jay et s’acharne sur son cadavre, jusqu’à l’émasculer. Puis c’est sur Abigail qu’il se déchaîne, lui tranchant la gorge. Voytek Frykowski, que l’on croyait mort, se relève soudain et sort de la maison en appelant au secours. Watson le rejoint sur la pelouse et l’achève. Au total, le malheureux reçoit cinquante et un coups de couteau. Abigail réussit elle aussi à sortir, poursuivie par Patricia Krenwinkel. Elle s’écroule, tuée de16 coups de couteau.
Pendant que les filles maintiennent Sharon Tate, Watson lui assène seize coups de couteau, s’attardant sur son ventre et lui arrachant à moitié un sein. Au procès, Susan Atkins détaille l’horreur : « Elle pleurait et suppliait : "Ne me tuez pas, je veux avoir mon bébé", Je lui ai dit : "Ecoute, salope, je me fous que tu aies un gosse. Tu vas mourir et c’est tout." Alors on l’a achevée. J’avais du sang sur les mains. J’y ai goûté. C’était chaud, collant, délicieux. On voulait leur arracher les yeux, écraser les globes contre les murs, mais on n’a pas eu le temps. »
Avant de partir, le trio pendra l’actrice et Jay Sebring à une poutre, attachés chacun à une extrémité d’une corde de Nylon. Puis, avec le sang de leurs victimes, ils écriront « pig » et « Helter Skelter » sur les murs. Ils reviendront dans la nuit, en compagnie de Charles Manson lui-même, effacer leurs empreintes et étaler un drapeau américain sur un canapé...
La nuit du 10 août 1969, Manson conduisit trois des membre de sa communauté à la maison de Leno et Rosemary LaBianca. Manson saisit son épée et son revolver, suivi de très près par Tex et pénètre dans le salon de la maison où se trouve Leno LaBianca, à qui il dit, "reste tranquille, assieds toi et sois calme". Manson alla ensuite dans la chambre de Rosemary LaBianca et la ramène au salon. Il les ligota ensemble et leur demanda où se trouvait l’argent. Le couple pensait que l’histoire allait s’arrêter là, jusqu’à ce que les 2 femmes entrèrent avec des vêtements et des couteaux à la main. Tex arracha le pyjama de Leno, lui donna 4 coups de couteau à la gorge avec le couteau de cuisine qu’il laissa dans la plaie, puis 8 autres au ventre avec son propre couteau. Tex l’acheva en l’étouffant avec un oreiller sur le visage. Van Houten lutta avec Rosemary LaBianca avec l’aide de Patricia Krenwinkel mais aucune des deux ne parvenaient à la poignarder, Tex Watson s’en chargea alors. Watson demanda à Leslie Van Houten de participer. Leslie Van Houten poignarda alors 16 fois la victime .
Les corps de Sharon Tate et de ses amis sont découverts par la femme de ménage. Willian Garettson est le premier suspect et est relâché après un test au détecteur de mensonge. La curée médiatique commence alors pour Polanski. De la marijuana et divers cachets ont été retrouvés à son domicile. Frykowski est décrit comme un fournisseur de drogue et la police pense à un règlement de compte sur fonds de stupéfiants. Des rumeurs d’orgies, de sorcellerie, de pornographie circulent. Dans un édito intitulé " pourquoi Sharon Tate devait mourir", le chroniqueur Peter Hyams écrit que le couple a attiré la tragédie sur sa tête à cause de son existence excentrique et dissolue. Désespéré, le père de Sharon Tate se déguise en vieux hippie et fréquente les lieux de marginaux en espérant obtenir des infos. Polanski offre une récompense de 25.000 dollars pour tout renseignement. Il devient paranoïaque et soupçonne tous les amis de Sharon. Il profite d’être invité chez eux pour rechercher du verre, du sang, pour faire des tests révélateurs avec des produits chimiques.
Ce n’est que le 15 octobre que l’un des policiers enquêtant sur l’affaire Labianca effectue des recherches hors de Los Angeles et tombe sur l’affaire Hinman. Il y trouva des coïncidences troublantes. Les membres de la Famille sont alors incarcérés pour des vols. Un piège fut tendu à Susan Atkins, incarcérée, à qui on assigna une co-détenue chargée de lui soutirer des confidences, ce qu’elle ne tarda pas à faire. Le 5 décembre 1969, devant le jury d’accusation, Susan avoua et raconta ce qu’il s’était passé le 8 août 1969 au 10050 Cielo Drive.
Le procès se déroula le 15 juin 1970. Ce fut le procès le plus long et le plus couteux de l’histoire des USA. L’attitude des accusés fut exempte de remords. Ils étaient souriants et cyniques, chantant sur le chemin de la salle d’audience. Linda Kasabian était le témoin clé de l’accusation. C’est le témoignage de Tex Watson qui fut probablement le plus accablant pour Manson. Il l’a présenté comme le grand ordonnateur de meurtres "Charlie m’a dit de prendre le revolver et un couteau et d’aller où habitait Terry Melcher. Il m’a dit de tuer tout le monde dans la maison, en étant le plus brutal possible."
le 19 avril 1971, la peine de mort est prononcée à l’encontre de Manson, Susan Atkins, Patricia Krenwinkel, Tex Watson et Leslie Van Houten. Le 16 février 1972, la peine de mort est abolie en Californie et leur peine est commuée en peine de prison à perpétuité.
La famille a certainement commis d’autres meurtres pour lesquels la police n’avait pas suffisamment de preuves :
- John Haught, membre de la famille qui se suicide dans des circonstances étranges le 5 novembre 1969 en jouant à la roulette russe.
- - le cadavre d’une jeune fille dont on ne put établir l’identité exacte mais qui appartenait à la famille fut retrouvé criblé de 157 coups de couteau le 16 novembre 1969
- Joel Pugh, membre de la famille est retrouvé mort le 1er décembre 1969 la gorge tranchée dans un hôtel londonien
- Enfin, en novembre 1970, on retrouve le cadavre de Robert Hugues, l’avocat de Leslie Van Houten, parti faire une randonnée
La plupart des autres membres de la Famille seront incarcérés au cours de la décennie 70 pour meurtres ou braquages.
Mais le procès ne dissipa l’atmosphère de soufre autour des mobiles de Charles Manson. Qu’il se soit trompé de cible et ait envoyé les tueurs massacrer une célébrité aussi sulfureuse que Polanski ne convainc pas grand-monde. La faute au film de Polanski, « Rosemary’s baby » sorti en 1968 et véritable manifeste sataniste. Le fim est tourné en 1967, à New York, dans l’immeuble « Dakota ». Roman Polanski adapte le roman d’Ira Levin, Rosemary’s baby. L’histoire est celle d’une Jeune femme effacée, qui vient occuper avec son mari un appartement à Manhattan. Elle devient peu à peu intriguée par ses voisins, un couple âgé très intrusif qui donne l’impression angoissante de mener une vie occulte, où règnent la magie et la sorcellerie. Enceinte, elle voit lentement, mais sûrement, le cercle fatal se resserrer autour d’elle, une conjuration de sorciers qui a pour but l’avènement de satan sur terre. Le film est tourné dans l’appartement d’Anton La Vey, fondateur en 1966 de l’Eglise de Satan, conseiller technique pour le film, et prêtre sataniste de pacotille.
Certains continuent de croire la thèse selon laquelle Polanski, introduit dans les milieux sataniques, aurait dévoilé dans son film des rituels secrets. Mia Farrow, fut en tout cas terrorisée à cette époque. Plusieurs raisons l’expliquèrent. D’abord, elle fut l’interprète principale de « Rosemary’s baby ». De surcroît, la chanson « Dear Prudence », tirée du White Album des Beatles, le disque culte de Charles Manson, était dédiée à sa soeur, Prudence Farrow qui accompagna le groupe lors d’un voyage aux Indes. Au moment du procès de Charles Manson et de ses complices en 1971, elle préféra s’exiler pour jouer dans le film de Claude Chabrol « Docteur Popaul ».
Si la psychose s’est dissipée au fur et à mesure des années et à la suite de la condamnation à vie de Charles Manson, en revanche une fascination morbide s’est maintenue et accentuée autour de lui. Fascination entretenue par la mort de John Lennon, tué par un admirateur en 1980. David Chapman appartenait à une petite communauté, « Born again Christians », qui partageait avec Charles Manson la conviction profonde de l’imminence de l’Apocalypse. Une correspondance importante fut échangée entre eux deux. John Lennon avait acquis l’appartement ayant appartenu à Anton la Vey, dans le célèbre Dakota building, lieu de l’action de « Rosemary’s baby ».
Il est difficile depuis la France de percevoir le retentissement et l’aura particulière autour de Charles Manson et de sa Famille. Encore aujourd’hui, les autorités craignent une réactivation du groupement responsable de plusieurs homicides impossible à quantifier tant la Famille vivait recluse dans la Vallée de la Mort. 40 ans après les faits, Charles Manson ne s’est évidemment pas amendé et reçoit encore le soutien public de Lynette Fromme ou Sandy Good, deux sexagénaires qui faisaient partie de la Famille en 1969. Avant de porter des jugements sur Roman Polanski et ses actes, il faut regarder en face ce qu’il a vécu….La rencontre avec la bande de criminels peut-être la plus dangereuse et fanatique du siècle dernier.
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