Lettre à Michel Onfray
Cher Michel Onfray,
Je me permets de vous écrire cette courte lettre suite à la curée généralisée engagée par la meute des loups à l'égard de votre personne ô pourtant combien respectable.
Rappelez-vous, c'était il y a cinq ans. Vous fûtes le seul à m'encourager, alors que rien ne vous y obligeait, pour avoir publié mon tout premier livre en tant qu'éditeur, un livre sur DAVID HENRY THOREAU, un auteur que vous défendiez à l'université populaire. Cinq ans plus tard, j'en ai publié 220 et, si je ne suis pas plus riche financièrement qu'avant, j'ai acquis une autre richesse, formidable, celle de mes auteurs, celle de gens que j'ai rendu heureux par les mots, par la reproduction de leurs œuvres. Grâce un peu à vous, finalement, et à ce mot d'encouragement. C'est dire le respect que je vous dois.
Vous mettez, Michel Onfray, régulièrement le doigt sur un problème qui me tient à cœur, et vous agissez dans ce sens avec votre université populaire depuis de nombreuses années : celui de la culture du peuple, ce peuple que contrairement à certaines critiques énoncées, vous définissez parfaitement, en y incluant les petits commerçants, artisans et entrepreneurs qui, généralement (comme vous, sans doute), font la semaine des 35 heures en trois jours.
Notre société est malade de sa déculturation et de son absence de pensée.
Elle a besoin pour survivre d’une vision à long terme et de retrouver une identité culturelle forte.
La culture, l’éducation, la recherche sont des priorités absolues pour changer la société actuelle.
La création, le savoir et la connaissance sont les véritables enjeux de demain, et négliger cet aspect, c'est casser définitivement le lien sociétal incontournable d'un peuple occupé à se défaire.
Il faut donner à la jeunesse, et aux chômeurs qui se retrouvent sur le carreau, un cadre et des moyens pour valoriser leur créativité. Que chacun choisisse et valorise le talent qu'il a en soi, qu'il soit manuel ou intellectuel, plutôt que d'attendre des activités contraintes des grosses et moyennes entreprises qui seront quoi qu'on fasse "dégraisseuses" à l'avenir, le chômage étant conjoncturel suite à l'arrivée massive des techniques et technologies nouvelles (robotique, numérique).
Et pourtant, ce respect du prolétariat et l'esprit d'entreprise à travers les artisans, les entrepreneurs individuels, ceux qui prennent leur destin en main, si ce sont des valeurs qui vous tiennent à coeur n'ont guère d'écho dans la société actuelle. La connaissance et l'ouverture d'esprit au libre-arbitre tel que vous les prônez sont des éléments essentiels, mais raillés en permanence par ceux qui sont censés nous diriger. Ne comptent plus que les valeurs marchandes pures et la notion de croissance à tout prix.
Oui, calme plat sur la culture depuis nombre d'années du côté de nos politiques. Le seul à avoir prononcé le gros mot de "culture" aux dernières Européennes est Jean-Marie Cavada. Une Europe sur laquelle je vous sens d'ailleurs plus que mitigé. Mais si on vous écoute bien, c'est sur la façon dont elle est menée et non sur son principe. Il est vrai que dans sa version actuelle, elle est bien moribonde, et tant que l'on n'aura pas compris qu'une Europe avant d'être économique doit être culturelle, on fera fausse route.
La culture, l'éducation, la création individuelle sont les véritables clefs pour faire sauter le verrou de la mutation actuelle. Le manque criant de politique culturelle en France, pourtant puissante et génératrice d'emploi en ces temps moroses, est aberrant. Les mots perdent tout sens, les pensées sont à la dérive et les actes et les paroles s'enlisent, s'effacent au profit de la connerie galopante servant au remplissage de temps de cerveau disponible. La politique culturelle française, au potentiel pourtant infini est écrasée, enterrée par l'économie pure, dure, triomphante et ses dérives mortifères. Le fer de lance, la richesse première de ce qui faisait la France, l'attrait et l'éclat qui était le sien naguère sont en train de mourir à grand feu, et nul pompier pour éteindre l'incendie. Nulle proposition en ce sens, et une absence totale de la culture dans les priorités qui sonne dans la conscience de ceux qui sont dans la résistance comme un grand pas vers le gouffre qui nous attend. Seules quelques initiatives isolées, décentralisées et gratuites, comme la vôtre à Caen (que l'on veut casser dans son élan par la suppression de subventions, si j'ai bien compris) et d'autres basées sur le même modèle font de la résistance au milieu d'un désert sans nom.
Comme vous, je viens du peuple (mon père était ouvrier, ma mère femme de ménage), je l'assume, en suis fier et en subit encore parfois les affres, car la vie n'est pas facile pour les petits indépendants comme moi et des millions d'autres. Comme vous, je me suis révélé par le déclic de la culture et je m'épanouis en donnant le goût des mots et des arts aux autres. C'est un credo, un bonheur qui me fait me lever tous les jours avec la banane et pester contre les bâtons qu'on me met dans les roues pour avancer dans mes projets.
Vous l'avez très bien compris, l'entreprise (du moins la petite entreprise), la volonté d'entreprendre n'est pas qu'une valeur de droite, elle peut aussi être de gauche, ou du centre. Elle est en réalité apolitique, libre de tout gourou officiel ou non, et simplement le moteur de gens qui ont envie de réussir leur vie, plutôt que de se lamenter sur son échec.
Enfin pour ce qui est de vos détracteurs qui vous assimilent au FN, je les incite à relire ou à écouter vos interventions, à assister à vos cours. Ils disent que vous faites son jeu, je dirais plutôt que vous en êtes le garde-fou, et l'un des derniers, en essayant par la connaissance, le savoir, de lutter contre la folie des hommes dans laquelle nous risquons de rentrer très prochainement si nous ne prenons garde. Mais il est de bon ton à présent d'afficher ceux qui ne pensent pas comme le troupeau comme les sbires du FN alors qu'ils sont en réalité les plus virulents et les seuls à le combattre.
Je sais que vous vous contentez de voir les choses avec pragmatisme (votre université, vos livres) et une certaine hauteur (en ne souhaitant pas vous investir dans la vie politique telle qu'on l'entend). Je crois que nous sommes sans doute nombreux à le regretter – même si votre présence médiatique agace de plus en plus au milieu de ce qu'on essaie de nous faire avaler pour de la culture – car votre voix alternative est précieuse et votre voie l'une des seules qui pourrait sauver une société qui s'enlise, et c'est peu dire.
Le monde n'est pas mort, il agonise, et je crois qu'il a besoin de gens de bonne volonté pour renverser les montagnes qui se dressent devant lui, d'hommes providentiels comme l'on dit couramment…
Dès lors continuez, contre vents et marées, à produire, à cultiver et à aller dans le sens du "peuple" tel que vous le définissez.
C'est vous qui avez raison…
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