Lettre à mon frère Assyrien (Chrétien d’Orient)

J'ai tant de choses à te dire que je crains presque de ne pas y parvenir. Je connaissais votre existence. Je connaissais votre histoire. Douloureuse, faite de nombreuses injustices et de rejets. Vous avez presque toujours été victimes de la vindicte de régimes claniques et méprisants qui n'ont pas voulu voir que vous étiez les descendants des premiers peuples d'Orient. Tout au plus vous ont-ils utilisés pour redorer leur blason. Sans jamais vous donner la place que vous méritiez : non celle d'une minorité mais celle de citoyens à part entière.
Cet Orient fragile, tumultueux n'a su vous offrir qu'une suite de déplacements liés à des guerres qui ne sont pas les vôtres et qui n'ont pas respecté l'histoire. Votre histoire originelle... vos terres ancestrales ont été masquées sous des dominations que personne ne peut plus nier. La domination n'est pas un signe de force mais de faiblesse. Vous ètes les premiers peuples, les Historiens le disent bien mieux que moi, ce qui suscite violence et désir de faire disparaitre toute trace de vos spécificités.
Votre histoire, je m'emploie à la faire connaitre, humblement, ici et en dehors, ainsi que votre infinie bonté, qui consiste à attendre, toujours et encore, une aide qui ne vient pas. Une reconnaissance des souffrances subies, déjà. Quelle différence entre le génocide de 1915 et la situation aujourd'hui ? Toujours ce voile de silence géné, toujours ces négations infames. Que je ne peux cautionner.
Toi, j'ignorais ton existence. Le frère que je n'ai jamais eu... et un jour, j'ai croisé l'histoire. La tienne et la mienne. Que je ne veux pas séparer, qu'il m'est insupportable de voir attaquée de toutes parts.
Je pensais que vous étiez partis, toi, tes frères et donc les miens. Que vous aviez trouvé refuge. Ce n'est pas le cas et je l'ai su tardivement. Orient désormais sous tensions, incontrôlable. Où est ta place désormais ? Tu as cherché cette place, qu'on t'a retirée, tu as voulu comprendre. Il te faudra le dire. Il te faudra convaincre. Il te faudra expliquer pour quelles raisons tu as voulu persister. Ils diront de toi que tu avais le choix. Mais était-ce le cas ? A quel moment décide-t-on que l'histoire ne doit pas se répéter ? Que les injustices doivent être combattues ? Devant l'ignoble spectacle des tiens, prisonniers, agressés par des mouvances nées de répressions et de révoltes qui ne sont pas les tiennes ? Qui pourra juger si ce que tu as fait était juste ou non ?
Ton silence est difficile à supporter pour ceux qui ont croisé ta route. Mais nous comprenons. Nous aurons bien sûr différentes façons de le dire. J'espère qu'il est ton choix et qu'on ne te l'a pas imposé. Ce silence m'est parfois imposé aussi ; ce qui me pousse à m'exprimer encore et encore... je pensais vraiment que vous aviez pu trouver refuge. J'ai été choquée de constater la situation dramatique dans laquelle tu te trouvais et aujourd'hui je sais que je manquais d'éléments de compréhension. Il me semble que la précieuse mosaïque que nous aurions pu aider à reconstituer, dont les couleurs ne s'harmonisaient qu'entre elles, a disparu.
Si j'avais su ce que vous viviez, il me semble que mes convictions humanistes auraient été éclairées et certainement plus ciblées. Tu es ma famille, ton histoire est la mienne. Il ne faudra jamais laisser personne te dire le contraire. Nos histoires sont liées, intimement, depuis des siècles maintenant. Je ne peux laisser quelque mouvance que ce soit, t'utiliser ici sur mon territoire. L'instrumentalisation est la pire façon de vous nuire. Combien de fois avons nous dit que vous n'apparteniez qu'à vous mêmes et que vous n'aviez pas faire office de carte de visite valorisante ? Cet appel n'a pas été entendu. Certains faux amis vous diront qu'ils agissent. Mais pour qui ? Eux mêmes ? Une doctrine narcissique à la clé ? C'est encore une façon de vous faire disparaitre.
Je sais que la liberté est ton moteur. Je l'ai compris dès que j'ai su que tu existais, toi, personnellement. J'ai écouté. Attentivement. Aussi je ne peux qu'espérer que certaines démarches auront pu t'apporter une lumière supplémentaire dans les nouvelles épreuves qui sont sans doute les tiennes. Tu devras leur dire la vérité : comme tu l'as toujours fait. Leur montrer que les analyses de spécialistes ne sont pas forcément les meilleures conseillères et que tu es le seul qui peut vraiment défendre ta cause si on te demande de rendre des comptes. Tu n'as pas sacralisé, tu n'as fait que défendre ton histoire, celle de l'humanité, la nôtre. N'oublie pas de leur dire. Que tu as fait ce qui te semblait juste, abandonné de tous, il t'a bien fallu assurer ta sécurité et celle de tes frères.
J'espère que tu as pris du temps pour toi. J'espère que personne ne t'a culpabilisé. J'espère que tu ne changeras pas : ils auraient gagné, tous les obscurantismes ne doivent avoir aucune prise sur toi. Il te faudra convaincre. Tout comme ici, nous veillons à ce que vous ne soyez pas utilisés par d'autres, qui ne voient en vous qu'un moyen de "paraitre"... ils sont nombreux. Ton histoire, la mienne... se croisent une fois encore.
Je te transmets les mots comme ils me viennent. A travers toi, c'est moi qu'on attaque. Quelques déclarations de haut niveau sans prises de décisions ne suffiront pas à vous rendre la place qui est la vôtre ou du moins, une place parmi nous, la famille humaine. J'aimerais qu'on soit nombreux à voir en vous un peuple premier, originel et à défendre votre cause mais comme je te le disais, la situation n'évolue pas favorablement et nous sommes tous à chercher notre chemin dans les contradictions. Qui nous sont imposées. On se tourne vers ce qui sécurise alors : nos frères. Tu es le mien. Tu le resteras toujours. Il ne faudra jamais laisser personne te dire le contraire.
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