Lettre à Rédoine Faïd, évadé de Sequedin
Cher Rédoine,
Affairé que tu es à tenter de semer la horde de policiers européens rageusement partie à tes trousses, le peu de temps dont tu disposes actuellement t'a assurément empêché de suivre la séance qui a eu lieu ce jeudi 25 avril au Sénat. Parce qu'intéressante, je ne résiste pas à t'en livrer la teneur.
Sache tout d'abord que nos parlementaires y ont évoqué ton audacieuse évasion Rédoine. Les prisons françaises étant « parmi les plus sûres du monde » (Jean-Réné Lecerf, UMP), ils sont estimé à juste titre que cet événement exceptionnel ne saurait en aucun cas justifier le renforcement de mesures de sécurité susceptibles de porter gravement atteintes à la dignité de l'ensemble des personnes incarcérées. Et la ministre de la Justice d'expliquer à raison que c'est l'augmentation de la sécurité des établissements qui rend inévitablement les évasions plus spectaculaires. Point d'hommages donc mon cher Rédoine ; tout juste la reconnaissance d'un geste « unique ». Mais sache qu'ils ont aussi et surtout débattu des conditions de détention en France et du bilan de l'application de la loi pénitentiaire adoptée en 2009.
De ce texte tant attendu par tous les acteurs du monde carcéral, sensé faire entrer notre système pénitentiaire dans le XXIe siècle, le constat dressé est unanime : on est bien loin du compte ! Excluante et désintégrante, la prison demeure une zone de violences et de privation des droits fondamentaux. Les dizaines de milliers de personnes qui, comme toi, y vivent ou y passent, le plus souvent pour quelques mois seulement, évoluent dans une atmosphère peu propice à une hypothétique réinsertion.
Triste tableau dépeint par des parlementaires y allant chacun de leurs exemples : « La République peut-elle indéfiniment fermer les yeux sur ce qui se passe derrière les hauts murs gris de ses prisons indignes ? » a ainsi questionné la sénatrice Benbassa (EELV). « Nous ne pouvons plus nous accommoder des conditions indignes de nombreux établissements pénitentiaires et pas seulement aux Baumettes », dans lesquels « le droit de recevoir des visites reste [notamment] restreint » s'est quant à elle indignée la sénatrice Cukiermann (groupe communiste). Et « que dire des malades mentaux, trop nombreux dans les prisons ? » s'est interrogée la sénatrice Espagnac (groupe socialiste). Quand au travail en détention : il « reste soustrait au droit commun, soumis à des conditions dignes du XIXe siècle ». Pour le sénateur Alfonsi (groupe RDSE), « la rémunération [du travail des détenus] doit cesser d'être dérisoire ».
Tu ne seras pas surpris, Redoine, de savoir qu'ils ont aussi évoqué la surpopulation, véritable cancer des prisons françaises. Qui fait d'elles un lieu « toujours aussi mortifère » a très justement souligné ce même sénateur. « Plus de 1 000 détenus pour 569 places à la Martinique » s'est-il ainsi étranglé. Au moment même où il prononçait ces mots, curieux signe du destin ou simple hasard du calendrier, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) épinglait la France en raison de la surpopulation carcérale.
La construction de nouveaux établissements pénitentiaires, qui comme tu le sais, était censée réduire la surpopulation carcérale que connaissent depuis trop longtemps la plupart de nos maisons d'arrêt, « est une course à la mer » pour le sénateur Mézard (groupe socialiste). Manque de places ou sur-emprisonnement de la population ? Pour ce sénateur, il n'y a qu'à regarder les chiffres : alors qu'en France, la population générale a augmenté de 7% entre 2002 et 2012, « le nombre de personnes détenues s'est accru de 34 % en dix ans ».
Des détenus qui restent par ailleurs « trop souvent soumis à l'arbitraire ». Pour témoin les fouilles à nu, pratique au combien humiliante et dégradante. Afin de « protéger la dignité de chacun et limiter le risque suicidaire », son caractère systématique a été interdit par le législateur en 2009. Las. Les sénateurs n'ont pu que constaté que les fouilles, comme à Lille où tu étais détenu, sont toujours pratiquées massivement entre les murs. Et que l'administration ne prenait pas même la peine de respecter les décisions de justice qui la condamne. La loi ne s'appliquerait donc t-elle pas à tous ?
Sache, Rédoine, que la question des « moyens » a par ailleurs sans cesse été soulevée dans ce débat : on y a déploré le « manque » ou l'« absence », éternelle rengaine pour justifier ou déplorer la situation actuelle. Il y a des « choix budgétaires » à faire, nous explique-t-on. Une sombre hypocrisie qui a le don de faire exploser le sénateur Lecerf (UMP) : « Qu'on arrête de dire [que les scanners à ondes millimétriques, qui permettraient la fin des fouilles à nu] coûtent trop cher ! ». Car le coût d'un scanner équivaut à la construction d'une seule place de prison ! Et le sénateur Hyest (UMP) de surenchérir : l'installation de ces équipements permettrait un gain de temps travaillé important a-t-il souligné, en soulageant les surveillants de cette tâche ingrate. Il en est de même, pour les 1000 embauches de conseillers d'insertion et de probation prévues en 2009 : « nous en sommes loin » a soupiré le sénateur Lecerf. On sait pourtant le bénéfice que représente l'accompagnement des personnes condamnées par ces professionnels en terme de lutte contre la récidive, qui, on le sait, a un coût humain et financier important pour la collectivité... Comprenne qui pourra.
« En dix minutes » - c'était le temps de parole qui lui était octroyé - « que dire d'utile pour que les prisons de France ne soient plus la honte de la République ? » a osé la sénatrice Kles (groupe socialiste). « Rien », ai-je alors marmonné, sirotant un énième café noir aussi sombre que le désespoir qui ronge les 67 000 de nos concitoyens incarcérés. Car le temps n'est plus à la parole. « Madame la ministre, il faut passer aux actes » s'est ainsi exclamé le sénateur Mézard. Le temps presse car « l'enfermement perpétue la violence » (Cécile Cukierman) ! Le gouvernement n'a en effet plus le choix : il doit aujourd'hui engager une politique pénale qui fera véritablement de l’emprisonnement un ultime recours et qui réduira le champ d’intervention de la justice pénale. Penses-tu qu'il en aura le courage ? Seul l'avenir nous le dira Rédoine.
« L’institution carcérale a beau être régulièrement l’objet de scandales, les enfermés demeurent transparents » écrivait l'historien Philippe Artières en 2006. Si le sénateur Lecerf s'est estimé « frappé de la distorsion entre l'écho médiatique que rencontre une seule évasion par rapport à 100 suicides », j’ose quant à moi croire que tu n'auras point de rancune à mon égard d'avoir utilisé ton geste pour donner à voir la situation de nos milliers de concitoyens détenus derrière les haut murs de nos infâmes prisons. Sinistre endroit où plus de 120 personnes mettent fin à leurs jours chaque année.
Bien fraternellement,
Malek Mas
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