Lettre à un syndicaliste menacé d’exclusion
Cette lettre de soutien a été adressée récemment au syndicaliste qui a initié cette pétition demandant un soutien authentique de la CGT à la Palestine, et qui fait face à une procédure d’exclusion au sein de sa section du fait de ses prises de position. Si l'exclusion est prononcée, les instances confédérales seront saisies de l’affaire.
Cher camarade,
« Jusques au bûcher, exclusivement. »
Il est clair que dans votre cas, c’est « inclusivement ».
On vous dit que vous êtes insupportable ? Vous l’êtes. C’est bien pourquoi vous êtes si précieux. Cela vous a coûté et risque encore de vous coûter fort cher, mais surtout ne changez pas.
J’ai lu votre dossier, et je ne vois rien à changer ni à ajouter à votre mémoire de défense. Sur le fond, tout ce qui mérite d’être précisé en dehors du détail, l’est déjà par Jean-Pierre Page.
Si je puis donner mon avis, ce qui me fait le plus sursauter est d’apprendre qu’on va devoir vous défendre d’avoir une conscience, devant des gens qui n’en ont pas et qui, à ce titre, vont vous juger. Est-ce la fin du monde ? Presque.
Je ne suis pas en France et, donc, je n’ai théoriquement aucun droit à m’exprimer sur une affaire française, mais mon appartenance à une famille qui a été serve depuis le XVIIe siècle au moins, me donne le droit de dire ce que je pense d’une affaire qui concerne la classe ouvrière d’où qu’elle soit. Et ce que je pense, c’est que la CGT (ni, d’ailleurs, le PCF) n’a aucun droit de parler en son nom, moins encore celui de la diriger, si elle fait siens les préjugés, procédés et privilèges de l’oligarchie dominante. Il serait temps que cela soit publiquement et clairement dit.
Comment votre « avocat » va-t-il bien pouvoir vous défendre, alors que la responsabilité qui lui incombe est avant tout d’accuser vos détracteurs ? Accuser les vrais coupables de leurs vrais crimes est, comme vous le savez, le parti jadis pris par Me Vergès, et je persiste à croire que c’était le seul utile, même si son utilité à court terme n’apparaît pas à tout le monde. Je sais bien qu’il en a beaucoup (peut-être trop) fait à propos de Barbie, et que sa défense n’a rien valu de bon à Georges Ibrahim Abdallah ni à Slobodan Milošević, mais je crois que l’un et l’autre le savaient et l’avaient accepté d’avance.
On sait aussi ce qu’a fait Lénine, qui a eu à se bagarrer – ô combien et combien souvent – avec quantité de gens du genre de vos « camarades » : quand il le pouvait, il les a exclus, quand il ne le pouvait pas, il s’est exclu lui-même. Tout en ne cessant jamais d’enseigner et d’amoindrir autant que faire se pouvait l’ignorance d’un certain nombre de réalités, qui a notamment coûté si cher à la Commune.
« … à redresser les vagues accusations d’une démagogie querelleuse. Quelle âpre et dure vie d’aller presque tous les soirs dans une assemblée populaire souvent houleuse et défiante, rendre compte du travail de la journée, dissiper les préventions, allumer les courages, calmer les impatiences, désarmer les calomnies… »
C’est Jean Jaurès qui a écrit ceci en 1902, dans son Histoire socialiste, à propos de Robespierre, mais il aurait pu le dire aussi bien de Lénine. C’est encore vrai aujourd’hui et pour longtemps sans doute. Vous avez choisi ce rôle difficile et, ne vous faites pas d’illusions, vous n’avez pas fini d’en voir.
Sur les accusations qu’on vous porte et les reproches qu’on vous fait :
Bien que ne partageant pas certains de vos choix, je trouve surtout qu’ils ne regardent que vous, dans la mesure où vous ne les imposez pas à d’autres par la force.
Je voudrais quand même saisir cette occasion pour signaler à vos détracteurs à quel point ils se trompent quand ils vous accusent d’on ne sait quoi « au nom de la laïcité ». Dont ils ne savent pas, parce qu’on leur a bourré le crâne dès le berceau, qu’elle n’a été inventée par l’État que pour assurer la liberté de conscience de tous, à égale distance des positions parfois antagoniques de chacun, et non pas pour brimer les certitudes, croyances, convictions ou philosophies des uns au profit de celles des autres.
Au Pays de Liège – c’est ici, une république théocratique qui a duré presque mille ans – où la Révolution a commencé avant celle de France, même si les Liégeois (« ignorance crasse, » là aussi) l’ignorent, il s’est trouvé, bien avant 1789, un jeune magistrat (le futur général Fyon) pour mettre obligatoirement à charge de la communauté (c’est-à-dire des contribuables) le sort des enfants orphelins, auparavant soumis au bon vouloir de la charité publique, traditionnellement administrée par le clergé, et pour décider que les dits enfants partageraient leur temps, dès l’âge de six ans, pour moitié entre l’étude et le travail rémunéré. Rien n’autorise à penser que cette démarche avait pour but de combattre les croyants ni leurs prêtres, ni d’empêcher les enfants d’aller à la messe ou au catéchisme, mais qu’elle avait sans doute celui de les protéger des influences adultes aussi longtemps qu’ils ne seraient pas en âge d’avoir une conscience à eux et d’être capables de s’en servir en toute liberté. Quoi que cette initiative ait valu, elle a retenu l’attention des futurs révolutionnaires français, notamment celles de Lepeletier de Saint Fargeau et de Robespierre, qui s’en sont souvenus quand ils ont élaboré (Saint-Fargeau) et fait voter (Robespierre) le Plan d’Éducation Nationale de 1793, malheureusement tué dans l’œuf en Thermidor. Vos cégétistes « educ » de choc ignorent certainement qu’à cette occasion Robespierre avait fait doubler le salaire des enseignants (qu’il assimilait à des généraux en temps de guerre) prévu par Lepeletier et qu’il y avait ajouté l’octroi, par l’État, d’argent de poche aux orphelins, dont une partie devait être mise de côté pour leur servir de pécule de départ à leur entrée dans l’âge adulte. Je me suis laissé dire que Jules Ferry s’en était souvenu au XIXe siècle, mais je n’en sais rien d’assuré.
Athée en majuscules, de grand-père en fils et en fille, j’estime que tous les croyants ont le droit de croire et de vivre leur vie personnelle en fonction de leur croyance. Si leur foi les aide à vivre et à vaincre leurs peurs, tant mieux. Le droit qu’ils n’ont pas est celui d’imposer leurs certitudes aux autres. Nous sommes tous responsables de nos choix, et si nous nous trompons, notre seul droit est de lécher nos plaies. Le hic est qu’il n’a jamais manqué, dans aucune des trois religions révélées (je ne sais rien des autres) de gens qui se sont servis de la divinité de l’argent pour prétendre célébrer celle de leur dieu. Les protestants anglo-saxons y sont peut-être champions du monde, mais allez savoir… Et il est évident que vos cégétistes ont fait de leurs choix sociétaux et politiques une quatrième religion pas moins intolérante que les autres. Vos soi-disant « camarades » qui vous traitent de « mécréant » se conduisent en véritables corbeaux : inciter les faibles d’esprit et les influençables au lynchage est profondément méprisable. On est triste d’avoir à les mépriser.
Cela dit, je suis d’accord avec vous, c’est bien votre position sur la Palestine qui vous vaut ce déferlement de haine et de mauvais procédés. La question que ne peut éluder votre défenseur avant de s’adresser à eux comme à des juges légitimes, c’est au nom de quoi ils adoptent, dans cette affaire, la position qui est la leur. Cher camarade, ne nous racontons pas d’histoires : vos cégétistes sont intensément conformistes et ils vous en veulent parce qu’en ne vous conformant pas, vous leur faites honte. Leur conformisme, cependant, ne provient pas d’une quelconque conviction religieuse ou philosophique, mais de leur choix de « ployer le genouil » devant le pouvoir du moment, autrement dit le dispensateur des budgets. Point barre. Il faut que cela leur soit dit. Quoi que vous puissiez croire, l’à-plat-ventrisme d’après le 7 octobre n’est pas une réaction nouvelle, elle est même vieille comme le monde. Et c’est à elle que votre défenseur, vous et d’autres devez vous attaquer. Mais les perspectives ne sont pas gaies : un jour, Pierre Carette (Cellules Communistes Combattantes), qui venait d’être invité par de vieux militants du Parti Communiste de Belgique (PCB), après dix-sept ans de dure geôle pour avoir essayé d’éclairer les foules, a constaté, atterré, que ces braves gens, qui venaient de le recevoir comme un prince, ne savaient rien du tout, étaient en fait d’une ignorance politique crasse. « Mais qu’est-ce que le parti leur a appris pendant toutes ces années ? »… Eh ben, rien, parce qu’il ne savait rien lui-même.
C’est à tout ça que vous allez vous mesurer pour au moins la troisième fois.
Bon courage.
Catherine
(Nièce d’un oncle qui a été pendant deux heures membre du PCB. Malheureusement, le jour d’Hiroshima-Gaza-même-combat. C’est lui qui s’est exclu.)
***
PS : Si ce n'est déjà fait, je vous invite à signer et à faire largement circuler la pétition en question sur mon blog Mediapart et/ou directement sur change.org, qui dénonce la propagande de guerre pro-israélienne génocidaire et appelle à un soutien authentique au peuple palestinien à son heure de vérité. Notre objectif est d'obtenir 1 000 signatures... Merci !
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Alain Marshal
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