Lettre aux âmes Rock n’roll égarées : Bertrand Cantat
"Cogito ergo canto"
« Bertrand Cantat, idole d’un jour, idole de toujours. Désormais, beaucoup d’entre nous doivent cohabiter avec l’envie de t’adorer ou te détester, te défendre ou te punir. Tes combats, ta voix singulière, tes mots acerbes, tes mélodies endiablées ont réveillé les plus sourds d’entre nous parmi les hommes. Porté aux nues, tu traverses les couloirs obscurs des plus grandes salles de concert avec un charisme époustouflant, puisant dans les chants de Maldoror et le punk de ton enfance. Comme ton auteur fétiche, Lautréamont, tu incarnes une révolte adolescente où le monde de l’imaginaire paraît plus forte que la vie dite "réelle". Tu connais la gloire, tu deviens un héros sombre et amer de la grande industrie du disque. Malgré tout, tu continues à escorter les âmes Rock n’roll égarés mais pures, à travers le plus grand des zoos planétaires où règnent de vils et puissants vautours. Le succès te galvanise.
Alors que l‘ardeur et l’hypocrisie du monde de la musique brûle tes entrailles, tu rencontres, ton papillon sauveur. Elle, avec son sourire enjôleur, l’âme aventurière et corps fragile. Elle est tombée dans tes filets déjà bien abîmés par ton passé aventureux et amoureux. Sans lois ni failles, tu abandonnes ton monde pour elle, tu tournes le dos aux tiens et tu marches vers ta petite mort lente et douloureuse.
Passion brûlante et déchirante, tu te laisses porter. Un soir d’été, rien de prémédité, une dispute a éclaté. Coup après coup, tu sombres dans un trou noir. A l’aube, le regard un peu voilé, tu prends une énorme claque. Tu constates les dégâts de ta brutalité, désormais elle a rejoint les victimes de cruautés conjugales non anonymes.
Comme elle, 201 000 femmes en France connaissent ces cruautés. Ce chiffre ne rend pas compte des violences verbales, psychologiques, économiques ou administratives. Elles sont des millions dans le monde à se murer dans le silence. Elles subissent dans l’ombre les assauts agressifs de ces aigles noirs qui les pourchassent jusqu’à leur dernier souffle. Le jour se lève et ces proies faciles pensent que c’est le dernier sans oser agir. Certaines trouveront la force de s’opposer, d’autres se laisseront aller jusqu’à accepter qu’une dernière porte se referme, celle de de leur cercueil.
Pour ton doux et éphémère amour, c’est fait. La fatalité s’est acharnée. Elle ne vous a pas épargnés, ni l’un ni l’autre. Vos deux âmes ont bifurqué sur des chemins escarpés d’avance. La sienne s’est envolée dans les brumes de la Lituanie et la tienne s’est égarée dans un vieux mélodrame passionnel. Le bruit de l’amour a fait place au silence à tout jamais. Tu t’es détruit avec tous ceux qui la chérissaient. Ironie du sort ou malchance ? Chanteur engagé et acclamé te voilà devenu bourreau. Condamné, ton sort en est jeté. Tentative de suicide, prison n’ont pas eu raison de toi. Coup après coup tu t’es relevé. Des amis légèrement timorés, t’ont aidé à te reconstituer. Ils t’ont redonné le goût d’allonger les mots sur tes émotions désabusées et torturées. Tu n’as plus de désirs même les plus noirs qu’ils puissent exister. Tu as décidé de ne pas œuvrer dans l’ombre. Tu veux être l’interprète de tes pensées. Tu renais des cendres que tu as toi-même brûlés. Tu te nommes détroit. Probable hommage au déclin d’une lointaine contrée au pays de l’oncle Tom. Jugé par le monde entier, les uns après les autres tu les as affrontés. Tu as surmonté les regards désapprobateurs après des débats animés et controversés. « Cogito ergo canto » (je pense donc je chante). La musique est la seule chose que tu sais faire. Kamikaze du rock, tu fais un retour froid mais incroyable, tu es applaudi, idolâtré à nouveau. Ta voix scande des combats anticapitalistes et antimondialistes. Mais je n’ai encore entendu aucun manifeste contre la violence faite aux femmes.
Tu resurgis du néant et tu cherches des horizons plus cléments. Coup dur pour l’entourage de ton amour déchu. Tu as négligé que l’oubli était la meilleure des réconciliations. Dans les coulisses, ta présence est jugée indécente par les âmes rancunières et amères. Tes apparitions ravivent les plus douloureux souvenirs et traumatismes. Tortures inconscientes infligées, les plaies de ces êtres tant aimés peinent à se suturer. Peu importe, tu méprises tous ces moments redoutés et tu vagabondes simplement dans les couloirs sombres de tes pensées.
Je te laisse avec tes anges et tes démons, en espérant que le vent continue de t’emporter vers les horizons de la rédemption.
Paix à toi, camarade tombé en embuscade."
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