Lettre d’une abstentionniste à Monsieur MACRON
Monsieur le Président,
Lors de votre discours du Louvre, tout juste élu, et, à juste tître, inquiet du manque d’adhésion à votre programme, vous avez cumulé dans la même opprobe votes Front National, votes nuls ou d’abstentions. Pour moi l’abstention comme les votes nuls sont la traduction dans les urnes de la fracture sociale et territoriale qui transparait dans la cartographie du vote et je vais tenter d’illustrer mon propos.
J’espère ainsi amener les politiques qui se présenteront à nos suffrages aux législatives, dont ceux de la « MINORITE présidentielle », à quelques réflexions. J’espère aussi vous inciter, Monsieur le Président, à ne pas court-circuiter la Représentation Nationale qui ne peut qu’enrichir votre programme lacunaire. C’est pourquoi je voterai pour votre opposition lors des législatives, alors que je me suis abstenue au second tour de la présidentielle.
Je vais tout d’abord me présenter, car on doit toujours expliquer d’où l’on parle.
Pupille de la Nation, élevée dans les Maisons de la Légion d’Honneur, j’ai fait l’intégralité de mes études en formation professionnelle continue faute de soutien financier familial. Cadre dans la gestion immobilière sociale,j’ai une sensibilité sociale avérée ce qui ne m’a pas empêchée de voter Chirac en 2002 par civisme pour éviter l’arrivée du Front National au gouvernement.
Aujourd’hui, jeune retraitée en raison d’une carrière longue, j’ai élevé seule trois fils qui ont tous intégré la vie professionnelle et sociale à des niveaux supérieurs à la moyenne si bien, qu’à priori, rien ne me conduisait à l’abstention au second tour des présidentielles de 2017.
Je n’ai pas, vous en conviendrez, Monsieur le Président, le profil d’une « extrémiste »et je vous reproche de stygmatiser les citoyens dont les votes ne répondent pas aux intérêts de l’homme de pouvoir que vous êtes, sans chercher à en comprendre les motivations.
Personnellement, je me suis abstenue parce que je ne voulais pas plus voter en 2017 pour la famille LE PEN que je ne le voulais en 2002. Je me suis abstenue parce que les contingences « bassement ? » matérielles qui a plusieurs reprises ont failli jeter ma famille dans la précarité ne sont ni identifiées, ni traitées par votre ouvrage « révolution » que j’ai pris le temps de lire.
Entrons dans le détail de ces situations que je ne suis sûrement pas seule à avoir vécues et voyons en quoi, Monsieur le Président, elles sont liées à une méconnaissance par les politiques de la situation réelle des citoyens.
Comme dans la plupart des métiers sociaux, j’ai subi une réduction progressive du pouvoir d’achat de mon salaire à partir de 1990 puisque celui-ci était indexé sur les loyers modérés des plus pauvres de nos concitoyens et que la grille indiciaire de rémunération des organismes d’HLM est étroite.
L’aide personnalisée au logement était cruciale dans ce contexte or, elle a diminué, comme cela est prévu par notre réglementation, aux 16 ans de chacun de mes enfants et je ne suis plus parvenue à payer le prix de location du logement POURTANT HLM type cinq où je résidais avec mes trois fils, alors même que j’en attribuais journellement à d’autres familles qui, comme moi, y avaient droit.
Situation quelque peu difficile à vivre, d’autant qu’un logement de taille adéquate est source de réussite pour les études des enfants.A quoi sert de doubler, à juste tître, le nombre de professeurs dans les zones sensibles si les enfants ne peuvent ni faire leurs devoirs scolaires dans de bonnes conditions à domicile, ni bien se reposer dans un appartement surpeuplé ? A rien, les professeurs vous le confirmeront. L’éducation est un « tout », dans lequel les conditions de vie en dehors de l’école comptent .
Vous conviendrez avec moi, Monsieur le Président, que les logements à loyer modéré ne sont plus financièrement accessibles à certains segments de population pourtant éligibles à ce droit.
C’est pourquoi l’un de vos prédécesseurs Monsieur CHIRAC, pensa remédier à cette situation grâce à l’omnipotent « marché » en mettant en place des prêts d’acquisition-rénovation à taux zéro. Cette disposition est toujours d’actualité et votre programme n’annonce aucune nouveauté dans ce domaine.
Je saisissais cette opportunité en1996 pour acquérir une quadricentenaire « maison de village » située à 20 kms de mon lieu de travail et je l’ai rénovée moi-même pour un remboursement d’emprunt compatible avec mes ressources.
Cependant, l’accession sociale à la propriété, utilisée pour remédier aux difficultés d’accès au logement locatif social se révèla incompatible avec la flexibilité qui fut ensuite exigée de moi lorsque mon emploi fut « délocalisé » en centre ville de Lyon, à une soixantaine de kilomètres de mon domicile.
Le cumul du remboursement de mon emprunt et de l’augmentation des frais de transport était à nouveau incompatible avec mes revenus qui plafonnaient alors à 1800 euros par mois. Je me suis donc à nouveau trouvée en grandes difficultés pécuniaires.
Pas plus qu’on ne peut régler les problèmes éducatifs sans prendre en compte la question du logement, on ne peut « fluidifier le marché du travail » sans traiter cette même question qui n’est pas abordée par votre programme, Monsieur le Président.
La doxa libérale que vous défendez, promeut en outre les partenariats public-privé, voire la privatisation des grands équipements.
Pour résoudre mes problèmes de déplacement domicile-travail, j’aurais pu prendre les transports en commun desservant Lyon à partir de l’aéroport Saint Exupéry, proche de mon domicile. Malheureusement, privatisé, l’aéroport pratique des tarifs prohibitifs pour ses immenses parkings très souvent vides.
L’absence de transport en commun sur une large partie du territoire est une des causes des difficultés d’emplois des habitants des zones périurbaines.Votre programme, Monsieur le Président, ne prévoit aucune aide aux régions pour développer ce maillage nécessaire tant à la fluidité de l’emploi qu’à la transition énergétique.
La clause de mobilité, devenue systématique dans les contrats de travail, n’est pas indemnisée,contrairement à toutes les clauses en droit civil et, cette clause met à la charge du seul salarié les frais de déménagement liés à la délocalisation de son employeur, sauf accord collectif contraire, accords qui n’existent en général pas dans les TPE-PME, preuve, s’il en fallait, que l’inversion des normes ne jouera pas en faveur des salariés dans ce type d’entreprise.
A l’heure où vous envisagez, Monsieur le Président, de modifier le code du travail par ordonnance pour inciter les entreprises rétives à embaucher, il faudrait peut être vous demander si l’absence de certaines contreparties pour les salariés ne va pas aller à l’encontre de votre projet .
A plus de 50 ans ne pas suivre mon employeur m’aurait exposée à un chômage de longue durée. J’ai donc loué un petit studio en centre ville de Lyon ,espérant vendre au plus vite ma « maison de village » et me réinstaller plus petitement dans une copropriété proche des nouveaux bureaux.
Dans ma chronologie des petites et grandes contrariétés résultant de l’action politique, il y eut ensuite la dérégulation de la finance, dont la banque Rothschild, votre employeur, Monsieur le Président, profite encore puisque nous avons une législation moins contraignante en France qu’aux USA. Cette dérégulation fut source de la crise économique de 2008 dont nous ne sommes pas encore sortis.
Cette crise limita l’accès aux prêts de mes acquéreurs potentiels qui n’obtinrent pas leurs financements. En outre, quarante et une maisons étaient à l’époque à vendre dans le petit village que je venais de quitter : C’est dire l’impact économique sur les habitants de ce secteur périurbain.
Dans ce village pourtant tout petit, très coquet et particulièrement calme, le résultat de cette difficile décennie s’est traduit en 2017 dans les urnes comme suit :
- Pour vous,Monsieur le Président : 50.8% des votes soit 537 votes
- Pour Marine LE PEN : 49.2% des votes soit 520 votes,17 votes de différence !
- 109 votes blancs
- 35 votes nuls
Enfin, l’Administration fiscale, dont vous êtes Monsieur le Président,l’un des Hauts Fonctionnaires, n’a pas su vous alerter sur les situations précaires des administrés que l’on mutait pour cause professionnelle.
J’ai essayé en vain, de faire valoir auprès de l’Administration le fait que je restais redevable de l’emprunt sur mon bien au titre de travaux de toiture récents, qui bénéficiaient à mon locataire, et que je devais, en sus, prendre une location pour des raisons professionnelles, parfaitement indépendantes de ma volonté. On me refusa la déduction de cette charge du loyer perçu car les travaux n’avaient pas été réalisés aux dates administrativement fixées pour un tel abattement.
C’est ainsi que sous le quinquennat Sarkozy,
- Mon salaire était de 1900 euros par mois,
- mon remboursement mensuel de prêt toiture était de 403 euros,
- le loyer de mon studio à Lyon de 430 euros.
- Vivant désormais seule, mes impôts sur le revenu jaugeaient les 551 euros mensuels,
- les taxes foncières et d’habitation 104 euros par mois.
Mon « RESTE A VIVRE » était donc de 1061 euros pour couvrir tous les frais de fonctionnement liés à mon logement lyonnais, aux transports, aux vêtements, à la santé …. si bien que j’ai renoncé à certains soins.
Je me départissais également de ma voiture,dont le budget était trop onéreux !
Je ne bénéficierai cependant pas de l’allègement de la taxe d’habitation que vous envisagez, Monsieur le Président, mes ressources dépassant le plafond que vous avez fixé sur la base du NET perçu et NON DU « RESTE A VIVRE », déduction faite des charges incontournables.
Sous le quinquennat Hollande, ce prédécesseur dont vous étiez le Secrétaire général adjoint de cabinet, les restructurations territoriales et les jeux politiques m’ont en outre spoliée d’une partie de la valeur de mon bien.
Dans une situation pécuniaire qui, sans être désespérée, n’en était pas moins tendue,la revente de ma maison restait un objectif à condition d’en obtenir un prix suffisant pour rembourser mon emprunt.
C’est alors que les régions Auvergne et Rhône-Alpes ont été regroupées.
Conséquence immédiate,est abandonnée la prolongation de la ligne de tramway Part-Dieu, Saint Exupéry qui devait irriguer le bassin d’emploi où se trouve ma maison.Les investissements de la nouvelle entité régionale sont désormais orientés vers l’Auvergne puisque Monsieur Wauquiez, Président de région, favorise le territoire où il est politiquement implanté : c’est aussi cela, la politique !
Ma maison,trop isolée, perd tout aussitôt une partie de sa valeur marchande. La location que je n’envisageais au démarrage que comme une situation transitoire est devenue la seule possibilité qui me soit offerte.
Désormais, tout impayé de ce revenu locatif est devenu, pour moi, source de précarité, comme pour beaucoup de citoyens qui n’ont que ce type de revenu pour boucler les fins de mois.
Et de fait, la perception de mon revenu locatif fut aléatoire. Mon locataire, connaissant lui-même des difficultés et donnant dédite, je me suis retrouvée du jour au lendemain avec un reste à vivre de 1061-649 = 412 euros et une maison toujours invendable comme le seront sans doute longtemps les maisons des salariés de Whirlpool à Amiens.
J’ai dû demander aide à mes enfants.Il existe certes des assurances, mais quand le loyer perçu ne couvre pas le cumul des remboursements d’emprunt de travaux et les impôts, vous n’avez pas forcément les moyens de vous offrir,en sus, une assurance de recouvrement.
Ayant encore quelques neurones valides, et faute de pouvoir réduire mon endettement par la vente de ma maison, j’ai tenté d’augmenter mes ressources en obtenant,à 59 ans, un master en droit social.
Imagine-t-on qu’il faille menacer un organisme de formation d’une plainte en discrimination, parce qu’il oppose une fin de non recevoir à votre demande de prise en charge d’une formation validée par un bilan de compétences,motif pris, que vous êtes trop âgée ? Je n’ai eu que partiellement gain de cause, et j’ai dû me réendetter pour suivre ce cursus qui, pourtant, m’a garanti un emploi jusqu’au terme de ma vie professionnelle et a donc évité à la collectivité de me payer des indemnités de chômage !.
Votre livre programmatique,Monsieur le Président,pointait la nécéssaire amélioration de la gestion de la formation continue, mais, cette utile « révolution » ne semble plus à l’ordre du jour…
Ma rémunération fut de 2500 euros net en fin de carrière.Avec la retraite, mes ressources ont connu un nouveau tassement puisque mes pensions cumulées relatives aux 8 emplois que j’ai eu dans ma carrière sont de 2368 euros, niveau de pension très convenable car je n’ai eu que 9 mois de chômage et pas d’autres arrêts de travail que mes trois maternités.
J’ai fini par trouver un second locataire pour ma maison et mon impôt sur le revenu à été porté à 731 euros sous le mandat de Monsieur Hollande :Mes revenus locatifs portent mes ressources à 3014 euros par mois à condition d’être payés ! … le reste à vivre est redescendu à 1326 euros.
Ma santé, cette fois, ne me permet plus de retourner dans ma vieille maison au cœur des préalpes verdoyantes ce qui aurait pu rétablir l’équilibre de mon budget… Je vieillis donc avec un risque avéré de précarisation malgré une vie professionnelle bien remplie.
Prochainement, l’augmentation de CSG liée à la prise en charge par les retraités des indemnisations du chômage servies aux actifs que j’approuve pourtant, PAR SOLIDARITE, me vaudra une nouvelle baisse de ressources car aucune de vos décisions, Monsieur le Président, ne prend en compte le réel RESTE A VIVRE des foyers des classes moyennes que vous ponctionnez systématiquement, quand l’assiette de l’ISF, par contre, est réduite au bénéfice de ceux qui vous accompagnaient à « la Rotonde ».
Monsieur le Président,
- je ne vous reproche, ni la mondialisation : un de mes fils fait du commerce international,
- ni d’être pro européen, je le suis aussi pour des raisons géopolitiques même si la gouvernance de l’Europe ne me convient absolument pas puisque j’attends de l’Europe des normes sociales contraignantes …
- je suis « ouverte au monde » et pas « fermée » comme vous caricaturez abusivement et continuellement ceux qui ne conforment pas leurs votes à vos intérêts d’homme de pouvoir : Dans mon enfance j’ai vécu à l’étranger (A 16 ans j’avais déménagé 22 fois).
- Je vous reproche, par contre, de ne pas vous préoccuper de l’impact de vos décisions politiques sur la vie quotidienne de vos concitoyens, cette vie quotidienne dont vous ignorez largement les réelles difficultés.
- Je vous reproche d’envisager des réformes du droit du travail qui aggraveront la précarité des salariés SANS CONTREPARTIES SUFFISANTES ET PREALABLES à la dérégulation.
- Mais surtout, je vous reproche votre déni de démocratie puisque vous envisagez de gouverner « par ordonnance » Monsieur le Président, si les élections législatives ne vous sont pas favorables.
Quel mépris pour l’intelligence collective de la Représentation Nationale !
NON les abstentionistes du second tour des élections n’ont AUCUNE INDIGNITE, Monsieur le Président, et vous avez réellement de la chance qu’ils n’aient pas voté Front National après tant d’années de doxa libérale et d’absence de sens du bien commun au profit d’une vision strictement budgétaire de la gestion du Pays.
Il est vrai que pour un politique il est plus facile d’OSTRACISER que d’ouvrir une discussion sur la réalités des difficultés et les moyens d’y remédier.
Vous souhaitant, pour le bien du Pays, un quinquennat apaisé et productif, je vous prie d’agréer Monsieur le Président,l’expression de ma considération distinguée et vous assure du respect que j’ai de votre fonction.
C’est pourquoi je déplore le spectacle de cette invraisemblabe fracture entre les citoyens, dont je suis, et les politiques dont, pour l’instant, vous ne montrez pas que vous renouvelez vraiment les pratiques.
CARNAC.
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