Lettre ouverte à Madame Michelle Alliot Marie, ministre des Affaires étrangères françaises
Le peuple tunisien a vécu ces dernières semaines un bouleversement historique, bouleversement d’autant plus marquant qu’il en a été le principal acteur.
Nous Tunisiens, avons pris notre destin en main et fait tomber la dictature mafieuse et sanguinaire qui gangrénait notre pays depuis vingt-trois longues, très longues années. Nous n’avons jamais douté de la justesse de notre combat et notre écrasante majorité, mue par l’implacable volonté d’obtenir que nos enfants puissent vivre fiers, libres et dignes, est déterminée à le mener jusqu’au bout. Notre chemin vers la Démocratie dans un état de droit est jonché de martyrs.
Nous rendons hommage aux plus courageux d’entre nous, qui ont osé s’exprimer haut et fort et qui ont été torturés dans les geôles de Ben Ali. Nous rendons hommage à ceux qui ont été encore plus loin en sacrifiant leur vie. Nous n’oublions pas de rendre également hommage à leurs familles.
Avant le 14 janvier- date à laquelle, faut-il le rappeler, le malfrat sanguinaire qui usurpa le pouvoir dès 1987, prit la fuite-, en la patrie des Droits de l’homme, à laquelle nous sommes liés par l’histoire et la culture, pas une voix ne s’était élevée pour soutenir le peuple tunisien.
A postériori nous pouvons affirmer que ce silence fut une bonne chose : nul ne pourra affirmer que la révolution a été fomentée par la France ou une quelconque autre puissance étrangère. Le succès de cette Révolution nous ne le devons qu’à nous-mêmes. Nous seuls avons obligé Ben Ali à prendre la fuite comme le vulgaire criminel qu’il est et a toujours été.
Nous sommes aussi conscients que la partie n’est pas encore totalement gagnée et que le chemin menant vers la construction d’une Tunisie libre et démocratique est long et semé d’embuches.
Mais lorsqu’une voix s’éleva, en l’occurrence la vôtre, Madame la Ministre, I N C O M M E N S U R A B L E fut la consternation de peuple tunisien !
Surgit en France une polémique à propos de vos déclarations et de vos relations privées avec l’une des têtes de l’hydre Ben Ali. Nous avons écouté vos explications. Malheureusement, eElles étaient adressées exclusivement aux Français, pas un signe, pas un mot à l’adresse du peuple tunisien.
Au même moment, M. Ounaies, ministre tunisien des Affaires étrangères depuis quelques jours se rendait à Bruxelles, invité par Madame Ashton pour honorer la Tunisie. Aussitôt, vous l’invitez à Paris à seule fin de vous soutenir. M. Ounaïs accourt et vous comble. Si les Tunisiens n’ont pas, jusque là, pris le temps de s’exprimer au sujet de l’indécente proposition faite par vous-même avant la fuite de Ben Ai, c’est qu’ils ont eu plus urgent à faire. Il n’en demeure pas moins que le peuple tunisien a ressenti l’offense. Nous n’aurions peut-être pas relevé de sitôt, si M. Ounaïs, nommé ministre des Affaires étrangères au sein d’un gouvernement de transition, résultat de maints compromis, qui ne dispose que de quelques mois pour remettre en ordre l’administration du pays, n’avait entamé ce maigre temps imparti à se répandre en louanges obséquieuses à votre égard. M. Ounaïes devrait savoir qu’en démocratie, l’homme public, qui ne doit sa légitimité qu’au peuple, ne s’appartient plus et que l’expression de ses sentiments propres, qui ne reflètent en rien ceux du peuple tunisien, ne doivent pas faire l’objet des entretiens officiels et à plus forte raison au lendemain d’une révolution.
Sachez que les propos de votre homologue tunisien de quelques jours, lui ont valu un véritable soulèvement au sein de son propre ministère. Tous les fonctionnaires se sont mobilisés pour lui en interdire l’accès ! Le Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères du Royaume-Uni, en visite officielle en Tunisie a rencontré le Premier ministre et le ministre de la Planification et de la Coopération internationale mais point le ministre des Affaires étrangères.
Madame la Ministre, les Tunisiens auraient préféré que vous soyez la première à venir en Tunisie en visite officielle. Nous aurions voulu vous entendre exprimer vos regrets ou au moins la compréhension que vos propos aient pu nous choquer, nous Tunisiens. Vous seriez venue en Tunisie pour soutenir les aspirations démocratiques de la société civile, l’aider à consolider la liberté d’expression, la justice, la démocratisation des institutions. Gageons que ce déplacement aurait fait taire les polémiques vous concernant en France !
Or vous n’avez fait que nous offenser davantage en « convoquant » ce ministre qui, mal inspiré, accourt pour voler à votre secours en oubliant la responsabilité qu’il avait envers son peuple et ses martyrs.
Sachez enfin Madame la ministre qu’heureusement la qualité de la relation qui nous lie à la France est, ô combien, plus solide que cet éphémère épisode.
L. BENMOSBAH
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