Lettre ouverte à mes amis les artistes français*
* Non, je n’ai pas du tout la prétention de me prendre pour Alain Minc, mais comme j’avais bien aimé son titre adressé aux élites, j’en fais une référence. Mais je le préviens tout de suite : ça ne sera pas habituel chez moi.
Salut à toi, l’artiste !
Tu permets que je te tutoie ? C’est vrai que ça fait tellement longtemps que je te côtoie, toi le chanteur, toi le musicien, toi le cinéaste, que tu es presque devenu un de mes potes ! J’en ai passé du temps à tes côtés, à aller à tes concerts ou tes spectacles, à écouter tes disques en boucle et en toutes circonstances et à regarder tes films, au cinéma et en vidéo. J’ai même l’impression que c’est toi qui m’a tout appris, et qui a fait de moi ce que je suis.
Mais que t’arrive-t-il ces derniers temps ? On dirait que tu en as gros sur la patate, ou bien je me trompe ? Parce que, quand même, tu étais bien content de me compter parmi tes fans, tes admirateurs, chantant tes louanges et faisant de toi une star ou au moins quelqu’un pour qui on pouvait avoir une reconnaissance certaine.
Non, parce que dernièrement, j’ai l’impression que tu m’en veux ! C’est vrai que tout n’a pas toujours été facile entre nous, mais c’est comme toute relation passionnelle : il y a des hauts, il y a des bas, mais j’ai toujours su rester fidèle avec ceux qui ont su garder leurs valeurs et leur intégrité.
Bon, c’est vrai que j’en ai quitté certains, que j’admirais étant plus jeune, mais qui m’ont finalement beaucoup déçus. Il faut dire qu’ils m’en avaient raconté, des conneries, comme Luc, après m’avoir fait rêver avec ses propres films, m’avait fait miroiter abusivement que ses productions allaient devenir le must en matière de cinéma en France,, ou Barnabé, celui qui chante la vie quotidienne de la même façon depuis tellement longtemps que j’ai fini par croire qu’on était encore en 1999...
Et puis il y a eu Gad, qui a fini par se prendre pour son propre sketch, en Ray-ban bling bling et "sarkozysation" en accéléré, défenseur du bouclier fiscal des riches contre la méchanceté du voleur de pognon, ou encore Stéphane, qui chantait le jazz manouche à la manière de Django, et qui s’asseoit à la table des gens qu’il a longtemps dénoncés...
Et c’est vrai que vous êtes de plus en plus nombreux dans ce cas depuis qu’entre toi et moi, il y a un nouveau procédé révolutionnaire, qui me permet d’avoir accès à ta musique à la vitesse de la lumière. Bon, c’est vrai que tout cela ne t’arrange pas, surtout financièrement, mais de là à traiter tes amis de voleurs... De voleurs, oui ! Est-ce que tu te rends compte de la puissance de tes mots ? Tous ces gens, comme moi, qui t’ont soutenu, voire qui continuent de te soutenir depuis des années, tout à coup, tu les traites de voleurs, de malpropres, de criminels qu’il faut punir par tous les moyens ?! Tout ça parce qu’ils font l’effort de continuer à écouter ta musique, mais qu’ils ne prennent plus toujours l’envie de payer pour ton travail ? Bon, je peux comprendre ton point de vue ; ce n’est jamais évident de voir son travail pas payé à sa juste valeur. Je le sais bien : je suis moi-même smicard. Tu vois ? On est un peu semblable, toi et moi ! On travaille comme des damnés toute l’année pour ne pas être récompensés comme on le devrait !
En fait, je crois que ton problème, c’est que tu as trop écouté le grand Pascal, celui qui prétend être ton pote, mais qui t’arnaque depuis des années, et qui prétend qu’internet a tué la musique, alors qu’il avait déjà bien commencé le travail d’équarrissage avant l’arrivée du haut débit. C’est vrai quoi ! Qui a commencé en proposant des contrats hors de prix pour des coups marketing montés à base de boîtes à rythme et de gimmicks intellectuellement proche de l’huitre (150.000 euros pour deux mecs qui ont glosé sur le fameux coup de boule de notre Zizou national pendant un seul été en 2006, n’est-ce pas franchement jeter l’argent par les fenêtres) ? Qui a inondé le marché de millions de produits tous plus formatés les uns que les autres, faisant croire que c’était de la musique ? Qui a fait croire pendant des années qu’il soutenait les artistes alternatifs car il y avait Zebda et Noir Désir dans son catalogue, cautions "politiques" d’un catalogue vastement vide de sens ? Qui a négocié les tarifs qu’on te reverse auprès des radios et des télés ? Ce n’est pas moi, que je sache !
Tiens, parlons-en, de la télé et de la radio ! Qui a inondé la musique sur toutes les ondes, sur tous les formats, de façon presque écoeurante, en "rotation lourde" comme on dit, avec moult strass et paillettes, et de façon indolore pour le public, finissant par convaincre une génération entière que la musique pouvait être écoutée gratuitement puisque de toutes façons, on avait l’impression que les artistes étaient richissimes ? Et en plus, tu crois que tu es bien rémunéré, quand tu passes à la radio ou à la télévision ? Peanuts, comme on dit ! Quelques pour cent du chiffre d’affaires global en publicité de ces géants des médias, que tu dois partager avec le grand Pascal et tous les autres intervenants. Et qui a négocié des tarifs encore plus ridicules avec les deux nouveaux grands de la musique en ligne "légale", qui fait que tu touches 0,08 euro par morceau téléchargé sur le site de la Pomme, et environ 100 euros pour 100.000 écoutes sur les radios en streaming (le nouvel el dorado de ceux qui découvrent le web en 2009), soit, 0,001 euro ?A peine plus finalement que ce que tu ne touches pas à cause du Peer 2 Peer...
Le Peer 2 Peer... Ton nouveau rival entre toi et moi. C’est vrai qu’il t’a fait du mal, mais peut-être y avait-il une raison... Ton collègue Cali (qui est en grave désaccord avec toi, ce qui est rare) déclare que c’est "vous, les voleurs, à cause du prix auquel on vend les disques". Peut-être est-ce une piste. Et puis surtout, peut-être est-ce un peu ta faute, finalement, ce qu’il t’arrive. Tu pleures depuis des années sur ce sort qui s’acharne sur toi, sur ces "voleurs" que nous sommes, sur tes pauvres économies qui diminuent, mais qui ne disparaissent pas forcément : demande à ton pote Dany qui a vu son documentaire sur les gens du Nord être le film le plus piraté en 2008, mais aussi le plus gros carton du cinéma français, faisant de lui un homme très riche, qui peut s’acheter une maison à 8 millions de dollars à Malibu Beach.
C’est vrai que si tu avais arrêté d’écouter ton pote Pascal, qui n’arrête pas de pleurer à l’assassinat de son commerce, mais qui n’a rien fait pour retourner à son avantage les nouveaux éléments techniques qu’on nous propose, à part pleurnicher auprès des décideurs politiques et des médias pour avoir des lois répressives (mais complètement à contretemps et archaïques à peine votées) peut-être aurais-tu pu, toi, proposer une solution pour améliorer tes ventes tout en gardant la sympathie de ton public.
Regarde tes cousins d’Amérique ou d’Outre-Manche : eux, ils ont arrêté de se plaindre, se sont redressés les manches, et ont proposé des solutions : des albums à prix fixé par le consommateur, des albums carrément offerts, sous format libre (ah oui, un autre truc nous a un peu brouillés, toi et moi : l’envie que tu as de vouloir cadenasser et verrouiller à tout bout de champ la musique que je veux acheter, et que du coup je préfère ne pas payer mais que je peux utiliser librement), des disques offerts avec une place de concert, etc... Et toi, qu’as-tu proposé ?Parfois, quand tu suis les conseils du grand Pascal, tu proposes des jolis coffrets pour les CD (tu sais, le produit que plus personne ne veut) mais vendus aussi plus chers, ou des morceaux en téléchargement, vendus sur le même business model que l’ancien, alors qu’on ne peut pas comparer vu qu’il n’y a ni stocks ni de multiples intervenants.
Alors il serait peut-être temps que tu fasses comme tes cousins étrangers, que tu te sortes un peu les doigts du cul (si tu me permets cette expression familière), que tu t’en prennes aux vrais responsables de ta situation, voire que tu t’émancipes pour travailler tout seul, que tu essayes de te prendre en main, d’arrêter de croire que tout est acquis ad vitam aeternam et qu’il faut sans cesse bosser, proposer des solutions, des alternatives, te battre pour mériter ta situation et tes revenus et que la vie n’est pas une rente qui tombe tous les mois comme les Allocations familiales. Car c’est vrai que tu t’es un peu embourgeoisé, bercé par les privilèges que te propose notre système français...
Alors là, peut-être qu’on redeviendra copains, super potes, et que j’aurai envie de te faire à nouveau confiance. Pour l’instant, quand je vois comment tu me traites, je n’ai même plus envie de m’intéresser à ce que tu fais et te soutenir... Donc va, vis et reviens quand tu auras compris que je ne suis pas forcément un criminel et que le monde évolue autour de ta bulle...
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