Lettre ouverte à mon ami Evo Morales
Mon cher Evo,
On ne se connaît pas encore, mais j’apprends à te connaître de plus en plus, surtout depuis que tu es devenu le grand manitou bolivien (bolivarien peut-être aussi). Je suis content pour toi que tu sois le premier des tiens à devenir le grand sorcier du village. Je le suis un peu moins quand tu t’affiches avec tes nouveaux amis manitous que sont Chavez, Lula et enfin, et non des moindres, Fidel Castro. Mais bon, c’est aussi ça, l’amitié, que d’avoir des points de vue différents, et même parfois divergents. Je te rassure tout de suite, je suis un tiers-mondiste comme toi.
J’aime bien ton style simple, et même parfois simpliste (à la limite populiste), ta veste de cuir sans cravate qui contraste avec les trois pièces des autres leaders de ce monde. J’espère juste que ce n’est pas parce que comme c’est le début, tu n’as pas encore les moyens de te les offrir, et que d’ici six mois, tu ne seras pas plus Giorgio Armani ou Gucci que les vrais. Le peuple aime les gens qui sont comme lui. S’il te plaît, ne change pas trop, reste humble, simple et s’il le faut, même, reste pauvre si tu l’es. N’oublie pas non plus tes frères indiens. Tu es le premier à être premier, ne sois pas le dernier. Et ne fais pas tout non plus pour le rester.
Je reste optimiste sur ta vision d’une justice sociale pour la Bolivie, mais permets-moi de ne pas toujours être convaincu. J’ai trouvé osée ta proposition de baisser les salaires et avantages des députés et assimilés de l’Assemblée nationale. C’est un bon départ. Mais de grâce, ton discours sur la coca (à ne pas confondre surtout avec la cocaïne, car ce sont deux choses bien différentes) me laisse un peu perplexe. Je veux bien croire que tes ancêtres mâchaient les feuilles de coca depuis des générations. Mais au lieu de faire la propagande de cette feuille, qui bien sûr doit être inoffensive (oui, oui, oui !), essaie plutôt de trouver d’autres nourritures pour ton peuple (l’un des plus pauvres d’Amérique latine) afin que la surabondance de production de cette feuille (dans un but bien sûr alimentaire) ne soit pas récupérée par de méchants « bad boys » américains, qui, par magie blanche, les transformeraient en poudre de la même couleur...
Je sais bien que tu ne t’en doutais pas, loin de là, mais tout le monde n’est pas aussi bon et parfois naïf que toi. Même si tu n’es pas pro-Américains, pense quand même aux millions d’individus dans le monde qui meurent chaque année à cause de la culture de la feuille de tes ancêtres, et redonne donc un peu de travail à tes militaires. Comme je veux être ton ami, je me dis que si mes deux grands-parents maternels et paternels, qui sont des agriculteurs comme toi, avaient opté pour une méga-production de feuilles de coca, peut-être aujourd’hui serais-je aussi gâté qu’un émir, qu’un prince ou qu’un oligarque, mais à quel prix ? Pas à celui de la poudre, en tout cas.
J’espère lire des nouvelles de ta justice sociale
dans les prochaines revues d’actualité internationale ; permets-moi de
t’adresser l’assurance de mon profond respect.
Écologiquement,
Un ami
1 « Depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau président, l’armée bolivienne dont la tâche était d’éradiquer les plantations illégales de coca, n’a plus rien à faire.. »
Source : Courrier international, No798 du 16 au 22 février 2006
Précision :
D’après Marianne, « Morales a réduit par décret son salaire de moitié. Il a ensuite ordonné aux membres du gouvernement de ne pas recevoir de rémunération supérieure à la sienne »
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