Lettre ouverte à Mr Frederic Buyle
Cher Monsieur Buyle,
Nous avons découvert par hasard votre article « Requins de la Réunion, huit mois après ». Si vous êtes un excellent apnéiste et photographe, la lecture de votre billet nous laisse en revanche dubitatifs et interrogatifs. Nous souhaiterions engager le dialogue et mettre à profit votre expérience pour construire une opinion motivée ensemble. Les points sont abordés de façon structurée ci-dessous.
Fred Buyle est un apnéiste de compétition et photographe Belge qui a ramené de magnifiques clichés du requin blanc. Il a été invité à ce titre à la Réunion par l’IRT pour apporter son expertise dans la crise requin en décembre 2011 et pour marquer des requins à l’aide de balises. Il était accompagné de William Winram, un apnéiste canadien. Malgré 17 sorties en mer, les champions n’ont réussi à tagger aucun requin. On retient du passage et de l’expertise de Fred Buyle à la Réunion, fortement médiatisé, que le problème requin est avant tout « humain », qu’il n’a pu apercevoir que peu de requins, et que le requin bouledogue est un « animal craintif et doux ».
Tout d’abord : un climat de dialogue délétère
Monsieur Buyle, vous dites avoir « reçu des insultes qui sont entre-autres à caractère raciste et des menaces de la part de quelques excités frustrés ». Nous déplorons cet état de fait et partageons votre affliction. Vous n’êtes pas sans savoir que le poster initial de Sea Shepherd traitant les surfeurs de connards n’est pas étranger à cet échauffement des esprits, sans oublier la désinformation orchestrée par cette ONG. S’ajoutent également à ces insultes des acteurs locaux essayant de s’engouffrer dans la brèche du clivage ethnique…
Votre expertise « qui n’a pas changé d’un pouce »
Vous indiquez que la population de requins n’a pas changé d’un pouce et que « les personnes qui sont régulièrement à la mer dans des conditions similaires d’observation témoignent toujours de la même chose ».
Si Guy Gazzo (pêcheur apnéiste à La Réunion depuis environ 50 ans) témoigne qu’il y a toujours eu des observations de requins à La Réunion, il précise toutefois que l’observation de requins bouledogues sur la côte Ouest de l’île était tout à fait exceptionnelle auparavant, et que la donne a aujourd’hui changé. Les requins seraient d’ailleurs, selon lui, en surpopulation, l’équilibre ayant été rompu. Il affirme également que si les requins sont timides, ils sont toutefois capables d’attaquer…
Ceux qui sont à l’eau tous les jours à La Réunion ont, sur la base de leur expérience locale, mis en avant plusieurs facteurs favorisant le risque d’attaques de requins sur la côte Ouest (voir ci-dessous). Votre analyse « d’expert » semble donc ignorer l’expérience des « anciens » qui sont à la Réunion depuis des décennies. Permettez-nous donc de noter que votre analyse du risque requin à La Réunion comporte des contradictions :
- vous affirmez n’avoir observé que peu de requins et ceux-ci étaient selon vous « craintifs ». Votre ami William Winram affirme cependant qu’il ne se mettrait pas à l’eau ici pour surfer en raison du niveau du risque d’attaque de requin qu’il n’est pas prêt d’assumer…
- vous affirmez par ailleurs que l’augmentation du nombre d’attaques de requin serait due à l’augmentation du nombre de pratiquants qui accroitraît la probabilité des rencontres et des attaques de requins. Il n’y a cependant eu aucune augmentation significative du nombre de pratiquants de surf à La Réunion ces dernières années qui permettrait d’étayer votre théorie. Vous avez cependant allègrement fait l’impasse sur le fait que suite aux attaques de 2011, le nombre de pratiquants a largement diminué, alors que de nouvelles attaques ont malheureusement eu lieu.
- à aucun moment vous n’évoquez le rôle joué par l’implantation de la ferme aquacole, située entre le sec Saint Paul et la zone balnéaire où les attaques ont eu lieu. Le rôle de cette ferme a été mis en évidence et dénoncé par les associations locales d’usagers de la mer, et cette ferme devrait aujourd’hui fermer (nous vous invitons à consulter les articles de presse à ce sujet).
- à aucun moment vous n’évoquez le rôle possible des balises de la Réserve marine faisant office de mini-DCP sur les 40 km de la réserve. Ces balises sont pourtant connues des pêcheurs locaux en raison de la présence de thons et autres prédateurs tout autour.
D’autres facteurs pourraient être énumérés, comme les effluents, auxquels les associations locales s’attaquent également. Nous souhaiterions donc vous faire comprendre que la problématique du risque requin à La Réunion est complexe et ne peut être résumée à un simple « problème humain » comme vous avez pu l’indiquer.
Le jeu des acteurs sur le terrain
Vous dénoncez le fait que certains œuvrent « dans le but de récupérer des subventions qui coûtent des fortunes à la collectivité », et nous vous rejoignons totalement sur ce point. Le programme CHARC touche en effet 700.000 euros et garde jalousement toutes ses données pourtant acquises avec de l’argent public. Sous la pression actuelle des associations locales d’usagers de la mer, quelques informations commencent tout juste à être distillées au compte-goutte. De plus, beaucoup d’institutions liées à la vie marine (Ferme aquacole, ARDA et les associations gravitant autour) ont des fonctionnements totalement opaques, et sont toutes liées de par leurs représentants et leurs budgets. Ces conflits d’intérêts sont aujourd’hui révélés au grand jour dans les médias locaux, et ce encore grâce au travail des associations locales d’usagers de la mer (voir là encore les articles de presse).
Vous noterez que des associations locales se sont tout de même montées pour, selon vos propres termes, « se bouger et se responsabiliser » pour assurer la surveillance des spots, mais aussi dénoncer les conflits d’intérêt, les écoulements d’eaux usées, la surpêche, etc.
Mais votre rôle dans cette histoire ?
Vous avez finalement beaucoup de chance Monsieur Buyle. Vous voyagez aux frais de la collectivité pour donner une expertise péremptoire en 15 jours qui ne change pas 8 mois après malgré de nouvelles données. Vous vous faites aider par les pêcheurs locaux, mais vous ne semblez pas les écouter puisque l’expert c’est vous. Vous délivrez un message peu compréhensible (il n’y a pas de requins ou alors ils sont craintifs, mais c’est dangereux et il ne faut pas se baigner) et qui ne fait pas avancer les choses, si ce n’est votre propre notoriété et le discours de l’écologie radicale. Vous pouvez « aider des équipes de scientifiques là où les moyens logistiques sont disponibles », et dire aux autres « bougez-vous », « responsabilisez-vous » et conclure qu’au final, tout cela vous importe peu puisqu’il vous suffit de prendre un avion pour aller « plonger dans l’Océan » et manger le poisson pêché avec vos amis…
Merci quand même pour votre expertise… Si vous avez ceci dit un minimum de conscience personnelle et professionnelle, nous vous accueillons à bras ouverts pour aborder tous les aspects du problème et vous présenter les actions des associations locales des usagers de la mer. Mais ce sera cette fois ci à vos frais si vous n’y voyez pas d’inconvénients. Vous nous prouverez ainsi que vous êtes capable de vous bouger et de vous responsabiliser pour vos opinions motivées…
Les IrreverSEAbles
1 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON