Lettre ouverte à nos grands électeurs
Mesdames et messieurs les grands électeurs,
Alors que la loi sur le mariage et l’adoption pour tous arrive en discussion au Sénat, je souhaiterais que vous puissiez soumettre à la grande sagesse des membres de notre Haute Assemblée que vous avez élus en notre nom ces quelques éléments de réflexion destinés à tenter d’expliquer les raisons de la profonde division que ce projet suscite au sein du peuple français. Les nombreuses mobilisations populaires qui se sont succédées depuis sa mise en chantier montrent en effet à quel point le clivage qu’il est en train d’opérer est important. Le pouvoir dont le Sénat est une pièce majeure aurait tort de sous-estimer la gravité de cette véritable fracture de société qui conduit dans les faits une moitié des Français à accuser l’autre d’homophobie ou de passéisme.
D’un côté les partisans du mariage et de l’adoption pour tous dont les raisons fondées sur le refus généreux de toute sorte d’exclusion sont assez faciles à comprendre, de l’autre, des opposants attachés à la conception traditionnelle du mariage, dont les raisons semblent nettement plus difficiles à comprendre par les précédents qui s’offusquent d’une attitude jugée discriminatoire. La position des millions de Français qui s’opposent avec détermination à ce projet est en effet sans aucun doute très mal ressentie par un grand nombre d’homosexuels, et encore plus par leurs enfants quand ils en ont, qui souffrent de cette résistance farouche considérée assez naturellement comme une violente réaction de rejet de leur mode de vie de la part d’un grand nombre de Français. Le soutien généreux des nombreux partisans du projet qui devrait pourtant les rassurer parvient malheureusement au résultat inverse en les confortant dans cette idée qu’une bonne moitié des Français serait homophobe, idée relayée inconsidérément par nombre de partisans qui se montrent ainsi d’autant plus manichéens qu’ils se savent à peine majoritaires pour le mariage et légèrement minoritaires pour l’adoption.
Résultat : d’un côté, des homosexuels qui se sentent stigmatisés par une moitié de la population soupçonnée d’homophobie, de l’autre, des millions de Français stigmatisés par l’autre moitié pour être les défenseurs d’une position injustement jugée homophobe ou passéiste. Difficile, dans ces conditions d’instaurer un débat serein, si de chaque côté l’intolérance l’emporte sur un effort minimum de compréhension réciproque.
Les opposants au projet dont je suis, doivent être à même de comprendre la souffrance que peuvent éprouver les homosexuels, et surtout leurs enfants quand ils en ont, face à toutes sortes de comportements ou de réactions homophobes à leur encontre. Nul ne peut nier que ces comportements existent. Il faut les condamner avec la plus grande fermeté chaque fois qu’ils se manifestent. Nous devons aussi comprendre que notre opposition déterminée soit ressentie par de nombreux homosexuels comme une agression de plus, même si ce sentiment ne nous paraît pas fondé car nous ne ressentons quant à nous aucune hostilité à leur égard. Mais tous les partisans du projet doivent à leur tour tenter de comprendre les raisons de cette opposition dont la radicalité ne peut que se renforcer chaque jour un peu plus de la frustration ressentie à ne pas être écoutée.
L’homosexualité est largement reconnue socialement depuis longtemps. C’est vrai pour ma génération (j’ai 60 ans) et à plus forte raison pour celles qui suivent. L’union homosexuelle l’est juridiquement ou administrativement, certes depuis moins longtemps, mais tout-à-fait clairement. Même si elle ne bénéficie pas encore des mêmes protections juridiques que le mariage, il n’est pas bien difficile d’y remédier. Il n’est pas question pour nous de remettre en cause tout cela, et nos raisons sont bien ailleurs. Les homosexuels doivent accepter l’assurance de nos sentiments amicaux à leur égard. Même s’ils n’approuvent pas nos raisons, le simple fait de mieux les comprendre devrait aider à les convaincre de notre sincérité.
Nous observons simplement que ce n’est pas le droit de se marier "comme nous" qu’ils revendiquent en réalité, mais tout au contraire le droit de se marier différemment. Il ne s’agit pas là d’une lutte pour l’égalité et contre la discrimination, mais de la demande d’un droit nouveau. En demandant le droit au mariage, les homosexuels et ceux qui très nombreux les soutiennent dans ce combat, veulent en réalité changer la nature du mariage qui, d’une union entre un homme et une femme, deviendra l’union de deux personnes indifféremment de leur sexe respectif. De ce fait, le mariage asexué qu’ils revendiquent est un mariage différent de celui dont ils se sentent exclus, et lui donner la même appellation n’y changera rien : l’union de deux personnes de même sexe ne sera jamais identique à celle de deux personnes de sexe opposé. En revanche, l’élargissement sémantique ainsi réalisé prive le mot mariage de son sens originel.
Cela ne serait pas bien grave si tous acceptaient de reconnaître la futilité d’une telle bataille sémantique : les défenseurs du mariage actuel pourraient adopter un autre nom pour désigner l’union spécifique de deux personnes de sexe opposé, ou bien, ce qui semblerait malgré tout plus naturel, les partisans du projet pourraient assumer la différence et le caractère innovant du mariage unisexe qu’ils revendiquent et ne voir alors aucun inconvénient à lui donner un nom nouveau. On éviterait ainsi de priver les opposants au projet d’un mot pour désigner la spécificité de l’union d’un homme et d’une femme à laquelle ils sont culturellement, moralement ou philosophiquement profondément attachés.
Mais, c’est bien là en réalité, ce que combattent certains partisans du projet : ils ne veulent pas d’une quelconque reconnaissance civile de cette spécificité. Leur combat va bien au-delà d’une simple bataille autour du mot mariage. « L'ouverture aux gays et lesbiennes serait un pied de nez à la conception traditionnelle du mariage et donc de nature à modifier profondément le sens de cet acte » peut-on lire par exemple dans une tribune en ligne du journal Libération. Il s’agit bien pour ces partisans du projet de s’attaquer au concept que le mot mariage désigne en saluant sa disparition d’un geste bien léger, assez peu en accord avec la dignité qui conviendrait à un véritable débat démocratique respectueux des valeurs de chacun.
Dans ces conditions, tout le monde peut comprendre les fortes résistances et parfois les crispations de la part des opposants au projet qui s’apprêtent à voir disparaître des institutions de la République leur conception du mariage jugée discriminatoire, au profit d’une nouvelle qui leur est imposée au nom d’une égalité impossible. Cette nouvelle conception du mariage est en effet inévitablement artificielle car elle n’effacera jamais l’inégalité de fait qui existe entre l’union de deux personnes de même sexe, naturellement stérile, et celle d’un homme et d’une femme potentiellement féconde.
Car c’est bien là le véritable problème posé par cette nouvelle conception d’un mariage unisexe que l’on tente d’imposer aux Français en lieu et place de l'actuelle. Même si les opposants au projet, considérant que la conception actuelle du mariage pouvait être ressentie par de nombreux homosexuels comme une marque de rejet ou d’exclusion à leur égard, acceptaient de renoncer au maintien d’un mot spécifique pour désigner l’union d’un homme et d’une femme, cela ne changerait rien au problème. En matière de procréation, en effet, l’inégalité de fait demeurera toujours entre ces deux unions, l’une hétérosexuée et l’autre "homosexuée", quoi qu’on fasse pour gommer artificiellement leurs différences en les confondant sous une même appellation. Les conséquences de ce déni de réalité sont nombreuses en matière de droit de la filiation et de la famille. Ce n’est vraisemblablement pas en se contentant de toiletter les deux titres du code civil traitant de la filiation et de la filiation adoptive pour remplacer les mots "père" et "mère" par le mot "parent" que l’on peut espérer les traiter de manière satisfaisante.
Il me semble donc important que les sages qui vont être amenés à statuer sur l’avenir de ce projet puissent comprendre les raisons de l’opposition farouche qui se renforce chaque jour un peu plus au fil des différentes manifestations et pétitions diverses. Il faut en effet à tout prix dissiper les malentendus et éviter ainsi tout sentiment de rejet et autres crispations de part et d’autre, pour que ce débat puisse avoir lieu dans la sérénité qui sied à la hauteur des enjeux. Ces derniers qui touchent à la filiation et vont jusqu’à remettre fondamentalement en cause la conception traditionnelle de la famille, sont en effet à la fois tellement vastes et potentiellement tellement graves sur le plan éthique, qu’il faut bien se demander si l’on ne va pas beaucoup trop vite en besogne. Changer aussi radicalement dans le Code civil le sens ancestral de l’institution du mariage sans avoir pris toute la mesure de cette véritable réforme de civilisation que nous propose madame Taubira, tant sur le plan de la famille et de la filiation que sur celui de la bioéthique, ne nous semble pas en effet être véritablement à la hauteur de l'importance des bouleversements qui sont à l'oeuvre.
En changeant le sens des mots, on change la nature des objets qu’ils désignent. En changeant le sens du mot mariage, le projet de loi, dont vous vous apprêtez à débattre et sur lequel vous allez vous exprimer en notre nom, change la nature de l’institution qu’il désigne.
En changeant la nature du mariage, ce projet de loi privera, s’il est adopté, cette institution millénaire de tout son sens originel. En changeant la nature même de l’institution du mariage, il privera tous les Français d’un acte civil reconnaissant publiquement l’engagement solennel d’un homme et d’une femme à se devoir mutuellement respect, fidélité, secours et assistance. Or, la vocation de cet engagement mutuel est de fonder solidement un foyer susceptible d’accueillir les enfants issus de cette union en leur assurant autant que faire se peut la stabilité nécessaire à une éducation harmonieuse tout en leur apportant l’amour d’un père et d’une mère auquel ils sont en droit de prétendre. On peut comprendre ainsi l’importance attachée par des millions de Français à cette reconnaissance publique et à sa spécificité par rapport à celle que nous propose la réforme du Code civil en projet.
En changeant le sens du mot mariage pour l’ouvrir à quelques personnes de même sexe en quête d’une reconnaissance bourgeoise jugée pourtant bien désuète par une bonne moitié de Français (la même pourtant qui revendique son ouverture à tous) et la grande majorité des homosexuels, la loi Taubira va ainsi priver tous les Français du droit élémentaire de sceller leur union dans un acte public (nécessairement civil dans une république laïque) reconnaissant la spécificité de la complémentarité homme/femme en matière de filiation au sein de la famille.
En ouvrant l’adoption aux couples de personnes de même sexe, vous donnez à la loi le pouvoir d’autoriser des adultes à priver délibérément un enfant innocent, déjà traumatisé par l'abandon ou la mort de ses parents, de son droit naturel de retrouver un père et une mère.
L’intérêt supérieur de l’enfant, dont la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant nous oblige à faire notre "considération primordiale" en matière d’adoption, doit l’emporter sur toute considération relative au droit à la non-discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. En vertu de ce dernier droit, que la Cour européenne des droits de l’homme a récemment créé, il faut un motif particulièrement grave pour justifier une différence de traitement entre deux personnes de même sexe et un couple de sexe opposé. Gageons que la justice reconnaîtra la primauté de la Convention des Nations Unies sur la jurisprudence européenne en jugeant que l’intérêt supérieur de l’enfant est un motif suffisamment grave pour justifier cette différence de traitement. La loi Taubira risque ainsi d’être en contradiction avec une juste interprétation de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant.
S'il est inévitable, lorsqu’on gouverne, de diviser pour satisfaire l’intérêt commun au détriment des intérêts particuliers, il est toujours dangereux de diviser les consciences en s'attaquant au nom de droits individuels de quelques uns, non plus aux intérêts catégoriels des uns et des autres, mais au droit qui fonde leur destin commun, à plus forte raison lorsque celui-ci fait l’objet d’une convention internationale dont nous sommes signataires.
Dans l’espoir que ces quelques lignes permettront à chacun de mieux comprendre les raisons de notre opposition déterminée au projet de loi sur le mariage et l'adoption pour tous, je vous prie d’accepter, mesdames et messieurs les élus l’assurance de mon profond respect pour vos fonctions et les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité que vous représentez et que nous défendons tous.
Francis Beau, un manifestant anonyme parmi la foule immense réunie les 13 janvier et 24 mars dernier
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