Lettre ouverte à tous les présidents d’universités
Lettre ouverte à tous les présidents d'universités
Lettre ouverte à tous les présidents d'universités
Chers présidents d'universités, c'est un vieil étudiant, un goliard* tel qu'il aurait été désigné au Moyen-Age, qui s'adresse à vous :
Le 13 avril 2018 les campus de Lyon 2 et de la Sorbonne ont été évacué à la demande des présidents d'universités. Cela contrevient aux principes d'autonomie souhaités par le pape Grégoire IX en 1229, dans sa bulle Parens Scientiarum. Les étudiants ayant été brutalement attaqués par des individus extérieurs au sein de l'université, en réponse à leurs insouciances et leurs rixes lors des soirées festives, le pape décide de l'inviolabilité de l'enceinte. Puis, six siècles plus tard, en 1968, la loi Faure autorise chaque présidents d'universités à décider lui même d'intervenir ou non dans le déblocage des campus par les forces de police.*
Alors la question se pose aujourd'hui :
Qu'est-ce qui justifie l'emploi de la force contre des étudiants ?
La réponse est qu'ils sont en minorité, qu'ils empêchent la tenue des cours et le passage des examens terminaux.
Une autre question se pose alors :
Pourquoi s'opposent-ils à la réforme d'admission post-bac ?
L'étude des données montre qu'aujourd'hui plusieurs filières sont en tension*, qu'elles ne peuvent répondre à l'afflux massif des étudiants. Par ailleurs d'autres sont désertées*. La floraison des écoles de commerce montre aussi une nette tendance à la valorisation des parcours à finalité commerciale, malgré certaines difficultés actuelles.*
Comment dès lors résoudre le problème ? Si on se limite à l’observation des symptômes, il apparaît comme évident, naturel presque, qu'il faut choisir entre davantage de places pour les étudiants ou sélectionner leur accession au monde universitaire. On peut prendre le problème sous tous les angles, la finalité est la même : plus ou moins de service public ?
Ceci nous amène donc nécessairement au modèle politique que nous souhaitons, celui qui définit le cadre de la société dans laquelle nous vivons. Et c'est bien là où personne ne veut aller : redéfinir le vivre ensemble est soit une utopie soit un impératif. Et poser cette question est bien trop dérangeante pour qu'elle apparaisse dans le débat public.
L'université française s'est construite sur le modèle d'égalité des chances*. Cela signifie très concrètement que le baccalauréat constitue le premier grade du diplôme universitaire. Et cela signifie que chaque citoyen titulaire de ce diplôme est traité d'égale manière aux yeux de la République, qu'on lui reconnaît donc le droit de faire les études qu'il souhaite. Et c'est bien la notion de droit qui est ici fondamentale.
Lorsqu'en 1791 la première constitution est créée par les citoyens de la nouvelle République française* ils y font apparaître des droits et des devoirs. La véritable révolution ici, ce sont les droits : enfin l'individu est compris comme une composante essentielle à part entière et égale du corps social. Il n'y a plus d'individu qui ont davantage de droits que les autres, et chacun peut aspirer aux mêmes fonctions.
Le déterminisme social analysé par Bourdieu notamment*, montre que malgré cela, l'école reproduit à cause d'un déficit en capital culturel*, les mêmes inégalités. Mais grâce à l'institutionnalisation du premier grade universitaire que constitue le baccalauréat, ces inégalités sont pour un temps réduites.
Même si l'on sait que seule une minorité de fils d'ouvriers et de salariés feront des études universitaires*, leur dénier à présent ce droit est une régression sociale sans précédent.
Il ne s'agit pas de dire que lorsque vous êtes issue d'un milieu populaire vous ne pourrez pas prétendre au même niveau d'excellence qu'un enfant de cadre, mais que statistiquement cela est plus compliqué*. Aussi seront-ils dirigés vers un BTS, un apprentissage, une formation professionnalisante. Ce n'est bien sûr pas une infamie en soi, mais pour ceux et celles qui souhaitent poursuivre leurs études à la faculté, malgré des résultats en dent de scie tout au long de leur parcours scolaire, c'est un délit de faciès social.
Une démocratie qui dénie à ses citoyens le même droit au savoir est une société qui se fragmente. C'est une société qui accepte l'idée de ségrégation sociale, de hiérarchie sociale, d'individualisation encouragée. Une société qui se saborde. Sur le fronton de la maison de l'éducation de la légion d'honneur est apposée une phrase ô combien symbolique :
« De l'instruction naît la grandeur des nations ».
Alors messieurs les présidents d'universités, souhaitez vous en être les fossoyeurs en limitant sa portée à
« de l'instruction choisie naît le déclin des nations » ?
Votre responsabilité est totale sur cette question et vous vous devez d'être les garants de l'égalité des chances.
Votre devoir éthique et moral est donc de rejeter catégoriquement l'application du décret de modification des droits d'accès à l'université et d'engager la voie d'une autre réforme.
Plus égalitaire, plus juste, et qui assure à tous que de notre devise nationale en jaillisse tout le sens :
L'égalité et la fraternité conduisent à la liberté.
La nation vous observe, et les milliers de futurs jeunes bacheliers, aux cœurs battant d'avenir,
vous confie leurs destins et donc notre destin commun. Soyez en dignes.
Bien à vous,
Révolutionnairement vôtre,
Boris Rannou
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