Lettre ouverte au Citoyen Macron
Lettre ouverte au Citoyen Macron
Citoyen Macron !
Tu me pardonneras, je l’espère, cette interpellation peu cavalière sur une agora virtuelle. Mais résidant en Amérique Latine, je ne pourrai malheureusement pas participer au Grand Débat proposé par toi à la Nation, et t’exprimer de vive voix mes préoccupations.
Citoyen Macron !
Tu me pardonneras, je l’espère, de m’adresser à toi en ces termes peu protocolaires, et non pas d’un solennel « Monsieur le Président de la République ». C’est en effet en tant que concitoyen que je t’écris, et non en ta qualité provisoire de « Chef de l’Etat ». Le mandat que tu occupes actuellement, tu le sais aussi bien que moi, ne t’octroie de toute façon aucun privilège, aucune supériorité, aucun pouvoir sur le reste des citoyens. Être notre Président ne fait pas de toi notre Maître, mais notre serviteur ; être notre Chef d’Etat ne t’offre pas la Nation en propriété, mais fait de toi l’administrateur salarié et dévoué de notre copropriété citoyenne ; ta fonction, Citoyen Macron, n’est pas un règne, mais une charge que le peuple français t’a confiée sous conditions. Je ne te ferai certes pas l’injure de te rappeler que ces conditions, dans le régime démocratique par lequel nous t’avons conféré cet office, consistent à respecter la volonté du peuple, à travailler du mieux possible à l’intérêt général, à nous rendre compte de tes résultats et, le cas échéant, à te démettre de tes responsabilités si tu estimes ne plus être en mesure de les assumer dignement.
De ce rappel d’évidences sur la conditionnalité de ton mandat, j’ai pourtant besoin, Citoyen Macron, que tu me rassures. Tu as parfois par tes propos, sans doute à ton corps défendant, donné l’impression que toi et tes collaborateurs vous considériez comme différents du reste de la population ; que toi et ton équipe de technocrates, de hauts fonctionnaires et de barbouzards vous estimiez au-dessus de ceux que ton prédécesseur et ancien supérieur hiérarchique appelait jadis les « sans-dents ». Tu as donné l’impression, par tes décisions politiques et celles de ta majorité parlementaire, que tu ne travaillais pas au service du peuple français qui t’a élu, mais d’une petite élite supranationale de riches propriétaires. Je t’accorde bien entendu le bénéfice du doute, Citoyen Macron, et préfère penser que l’augmentation des inégalités qui caractérise le début de ton mandat – l’enrichissement sans précédent de nos concitoyens les plus riches, au fur et à mesure que les autres perdaient encore du pouvoir d’achat et venaient grossir les rangs de la pauvreté - n’est que le résultat de regrettables circonstances extérieures, la conséquence inévitable des vents mauvais de la mondialisation. Oui, Citoyen Macron, je préfère encore croire que la colère des Gilets Jaunes n’est qu’un malentendu, un procès d’intention à ton égard, une injustice au regard des efforts que tu fais pour protéger, à défaut d’améliorer, le bien-être et la prospérité de l’ensemble de nos concitoyens dans ce monde tourmenté et incertain. Pourquoi alors tardes-tu tant à nous rassurer et nous convaincre des bienfaits de ta politique – ou bien, si tu n’es pas en mesure de faire face à la situation, à nous remettre ton mandat pour que nous le confions à une équipe plus compétente que la tienne ?
Citoyen Macron ! Il faut dire, pourtant, que tu as des circonstances atténuantes. Les institutions dans lesquelles tu évolues ne t’incitent certes pas à la vertu citoyenne, elles qui consacrent l’absence totale de responsabilité des gouvernants envers les gouvernés, et délivrent aux représentants du peuple un chèque en blanc qui leur permet, pendant toute la durée de leur mandat, d’agir à leur guise sans pouvoir être contrôlés ou recadrés par leurs électeurs. Comment alors, malgré toute ta bonne volonté, pourrais-tu ne pas céder aux sirènes de la toute-puissance et de l’impunité ? Tu es hélas le Président d’un Etat vulnérable, facilement détournable et parasitable par des intérêts oligarchiques qui ne se refusent pas, quand la Constitution les y autorise, à utiliser à leur bénéfice l’appareil d’Etat et ses fonctions régaliennes de prélèvement fiscal et de répression policière. Je comprends que tu ne puisses t’y opposer ouvertement, tant est intimidante cette petite caste de capitalistes mafieux qui te contrôle et te manipule comme un pantin. Mais la moindre des choses, maintenant que tu peux le vérifier de l’intérieur, serait de dénoncer cet état de fait ; et si tu n’es pas en mesure d’y remédier, de t’affranchir et de venir rejoindre les rangs de ceux qui réclament un véritable changement de régime. Rester en poste dans ces conditions ne peut que conforter ceux qui te soupçonnent de ne pas être le représentant sincère et exemplaire que ta charge impose pourtant, mais le vulgaire fondé de pouvoir des Puissants de ce monde.
Fondé de pouvoir aussi servile que méprisable au demeurant, puisque tes bons et loyaux services ne te vaudraient en retour que quelques miettes dérisoires – les quelques millions d’euros de bonus que t’octroieraient peut-être tes futurs employeurs, eux dont la fortune se compte en centaines de millions, quand ce n’est en milliards… Par rapport aux Propriétaires de ce monde, Citoyen Macron, tu devrais te souvenir que ton niveau de vie est plus proche du nôtre que du leur : tes diplômes et tes états de service ne feraient jamais oublier à tes Maîtres que tu ne fais pas partie de leur Club, mais que tu n’y es toléré qu’en domestique, aux seules fins de t’occuper des tâches ingrates d’intendance de la business unit « France ». Ta soumission ne pourrait alors s’expliquer que par une mentalité de courtisan et de collaborateur, préférant sacrifier ton honorabilité à l’aune des quelques gratifications matérielles dont on te ferait l’aumône en échange de ta trahison. Tes sourires satisfaits et tes mines condescendantes à notre égard ne pourraient jamais effacer l’humiliante étiquette de snob qui te collerait à la peau – cette mention de sine nobilitate, « sans noblesse », que les Aristocrates anglais réservent aux roturiers auxquels il prend la folie ridicule de vouloir dîner à leur table...
Citoyen Macron ! Ces doutes et ces suspicions sont graves. C’est ton honneur, c’est ta dignité qui est en jeu dans l’affaire. Supporteras-tu ces accusations que la rue t’adresse, ces quolibets infâmants de « vendu » et de « traitre à la Nation » ? Je n’ose le croire, toi le fils de médecin, toi l’ancien d’Henri IV et de l’ENA, toi l’éminent membre du Corps de l’Inspection Générale des Finances, toi qui incarnes si bien au travers de ta personne ce que le système républicain peut produire de plus respectable et de plus brillant au service du bien commun. J’espère donc que tu seras sensible à cette attente du peuple français, et qu’attaché à ce sens de l’honneur et de la vertu qui partout et toujours, des Athéniens aux Japonais, fonde la vie en communauté, tu sauras enfin prendre la parole et nous rassurer sur tes intentions et tes allégeances. Car sinon il me faudrait craindre pour toi que le peuple français ne se rappelle de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, reprise dans la Constitution de 1958, qui fait en son Article 2 de la résistance à l’oppression l’un des droits imprescriptibles de l’humanité – quand il ne se souviendrait de l’Article 35 de la Déclaration de 1793, opportunément annulée par tes prédécesseurs libéraux de Thermidor, qui consacre l’insurrection comme le plus sacré des droits et le plus indispensables des devoirs lorsqu’un gouvernement viole les droits du peuple. Mais toi-même sûrement, en Philosophe que tu es, n’ignores-tu pas l’avertissement d’Aristote dans sa Politique : « Quand les hommes qui gouvernent sont insolents et avides, on se soulève contre eux et contre la constitution qui leur donne de si injustes privilèges ».
D’ici là, Citoyen Macron, crois en mes fraternelles salutations,
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