Lettre ouverte au Président de la République - exhortation à agir
M. Le Président de la République,
Voici plus d’un an, je vous écrivai pour vous exhorter à régler la question européenne tant qu’il en était encore temps. Je vous mettais en garde, parmi de nombreux autres, précisant que si vous ne preniez pas le problème rapidement à bras le corps, le Front National s’en chargerait pour vous. Pour toute réponse, j’ai reçu une lettre courtoise par laquelle il était évident que vous classiez ma démarche dans les archives des correspondances inutiles. Dans le sillage des dernières élections européennes, vous ne pouvez ignorer, à présent, que le temps joue contre vous, contre votre camp, et que chaque jour qui passe favorise l’ascension du Front National. Les faits, désormais, s'avèrent plus têtus que jamais.
Or, que nous disent-ils ? Que la maison commune européenne est malade et que les Français, sans forcément rejeter l’idée d’une coopération européenne, ont désormais le goût ardent d’en changer. Cela, vous ne l’ignorez pas puisque vous en avez fait état lors de votre récente intervention télévisée. Mais quelles sont vos intentions concrètes en la matière ? S’agit-il d’apporter de nouvelles rustines au paquebot Europe ? Faut-il s’attendre à ce que vous réformiez en profondeur l’Union Européenne ? Sur quelles bases et à l'aune de quelle vision ? Vous savez également, tout autant que moi, que la réforme substantielle de l’Union est une chimère et que par surcroît, vous n’en aurez pas le temps sauf à parier (et encore) sur l’improbable retour d’une forte croissance économique dans le courant de votre mandat.
Votre bilan intermédiaire, M. le Président, est éminemment décevant. Vous n’avez rien réalisé de substantiel depuis que vous avez pris les commandes de notre pays. Vous n’avez fait preuve d’aucune ardeur réformatrice au début de votre mandat tandis que vous venez de nommer un Premier Ministre qui déploie ouvertement, au moyen d’une équipe ministérielle resserrée, une politique économique de droite, simple adaptation au catéchisme néolibéral, simple déclinaison des poncifs de la vulgate économique contemporaine. Cette stratégie vous conduira immanquablement dans le mur : le peuple de droite ne vous en saura pas gré tandis que le peuple de gauche vous jugera avec la plus grande sévérité. Si vous vous présentez aux prochaines élections présidentielles, avec les conséquences funestes d’une telle politique gouvernementale, vous ne serez même pas présent au second tour. Vous signerez alors la mort de votre parti politique, promis aux poubelles de l’Histoire. Car le PS, comme les civilisations, est mortel. Pire : vous conduirez notre nation à la ruine, en lui appliquant une cure d’austérité à laquelle ne correspondra aucun gain de compétitivité substantiel. C'est alors que nous mourrons tous guéris, et que le sacrifice politique de votre personne n'aura servi à rien pour le pays et pour l'Europe.
Dans ce contexte défavorable, il ne se passe plus un jour sans que les médias ne mettent en avant votre impressionnante impopularité. A ce point de défiance entre vous et le peuple, nul doute que vous perdrez bientôt, si ce n'est déjà fait, la maîtrise de vos propres troupes et serez à la merci d'ambitieux qui se feront fort de torpiller la dernière phase de votre mandat. Tous les jalons de cet enfer sont déjà en place. A supposer même que la croissance économique soit de retour, il n’est pas certain que vous en retiriez tous les mérites. A tous égards, donc, la situation est périlleuse. Vous êtes seul, et vous le serez de plus en plus. Vous terminerez votre mandat un peu à la manière d’Herbert Hoover aux USA entre 1929 et 1933. Triste histoire que la vôtre telle qu'elle se dessine à presque mi-mandat.
La bonne nouvelle, M. le Président, c’est que si votre quinquennat a très mal commencé, il n’est pas encore achevé. L’Histoire, autrement dit, n’est pas tout à fait écrite. Et votre solitude, d’une certaine façon, est votre plus grande alliée. Car c’est par elle que vous pouvez rencontrer l’Histoire. Marine Le Pen vous exhorte à dissoudre l’Assemblée Nationale : vous n’en ferez rien et vous avez raison, car Mme Le Pen ne voit ici que l’intérêt de son parti. Or l’intérêt supérieur de la nation n’exige pas que vous organisiez des élections législatives anticipées. Le salut de notre pays et du vieux monde ne viendra pas des partis politiques, quels qu’ils soient. Car aucun ne verra plus loin que sa chapelle, aucun ne parviendra rapidement à surmonter ses contradictions. A la vérité il vous appartient, M. le Président, de bouleverser le présent état des choses. L'époque n'est pas tendre avec vous, elle vous place devant une lourde responsabilité. De même que la partitocratie n’a pas su régler la question algérienne ni la problématique des institutions dans les années 1950, elle ne parviendra vraisemblablement pas à régler rapidement la question de la souveraineté, devenue introuvable. La Constitution de la Vème République, M. le Président, est précisément taillée pour les temps de crise. Le général De Gaulle l’avait imaginée ainsi, pour qu’un exécutif fort puisse sauver le pays in extremis des désastres que sa propension à la division menace toujours, quelle que soit l'époque. Vous n’avez plus rien à perdre et même tout à gagner, à endosser pleinement l’habit de chef de l’Etat en vous plaçant résolument au-dessus de la mêlée. Emmanuel Todd pariait sur le hollandisme révolutionnaire : il savait, notre brillant intellectuel, et mieux que quiconque, que votre mandat serait décisif pour la France. Vous pouvez encore être ce personnage, vous pouvez encore sauver le pays du marasme dans lequel il patauge et, avec lui, le vieux continent tout entier !
M. le Président, l’article 11 de la Constitution vous donne toute latitude pour organiser un référendum. C’est ainsi que vous pourrez nous sortir de l’ornière. Vous devez demander au peuple français quelle Europe il souhaite parce qu'après tout, personne ne l'a formellement sollicité sur ce sujet, même au temps de Maastricht, lorsqu'il s'agissait d'abandonner le Franc au profit de l'Euro. Vous ne pouvez pas laisser cette question se résoudre par le simple jeu des partis, sauf à miner durablement le climat politique de notre pays, sauf à laisser pour longtemps encore, et avec Dieu sait quels périls à l’horizon, la situation politique se détériorer gravement au préjudice de tous. Et puisque vous n’ignorez pas que l’Union Européenne ne peut plus être la maison qui abritera les jours futurs de la nation française tant elle est insatisfaisante, tant elle s’avère impopulaire, tant elle viole les principes élémentaires de la démocratie, il ne vous reste qu’à engager le pays et nos partenaires sur la voie d’une union confédérale ou fédérale, si vous voulez bien m’accorder que la souveraineté ne se divise pas : soit elle est essentiellement nationale, soit elle est essentiellement continentale, mais elle ne peut être neutralisée et dissoute comme c’est aujourd’hui le cas, avec les conséquences catastrophiques que vous savez, surtout pour l'homme de gauche que vous prétendez être. Bien sûr, ce choix souverain dont les implications divergent doit reposer sur une vision de l’Europe qui redonne du sens et du souffle à cette aventure collective : la nouvelle paix européenne, fondée sur des bases renouvelées, doit être mise au service d’une ambition partagée d’indépendance du vieux monde, sur une planète bientôt dominée par des Etats continents. Ce projet d’Europe européenne, vous pouvez encore le porter haut et fort, et d’abord en renonçant au traité de libre-échange transatlantique pour lequel vous avez souhaité, hélas, un dénouement positif rapide.
Je disais qu’en procédant de la sorte, vous sortiriez le pays de l’ornière, que vous rejoindriez la liste de ces Hommes qui marquent l’Histoire de leur empreinte. Et comment ! A votre départ, soit vous pourriez laisser une nation intégrée à une fédération libre, souveraine, efficace et démocratique (avec les alliés que vous auriez trouvés sur le continent et donc nécessairement plus petite que l'actuelle UE), soit vous redonneriez à la France les principaux instruments de sa souveraineté, lui permettant de mener librement son jeu dans le monde à l’instar de tous les autres Etats souverains de la Terre, tout en préservant une dynamique de coopération à l'échelle de l'Europe. Il vous appartiendrait alors, dans cette hypothèse, de renégocier l'acquis communautaire à l'aune d'un schéma confédéral. Le gouvernement qui vous suivrait ne pourrait tout simplement pas continuer comme avant. Il agirait dans un cadre nécessairement différent. Vous rétablieriez la crédibilité des alternatives politiques dont la vacuité fait aujourd'hui le lit des partis protestataires, qui menace même jusqu'à la pérennité de nos démocraties. La politique elle-même pourrait retrouver ses lettres de noblesse.
Notre continent, M. le Président, se sclérose. Il meurt de ce que l’imagination et l’audace ont quitté la tête de ses dirigeants. Et si Marine Le Pen a raison sur un point, c’est que le centre politique de l’Europe est toujours la France, que c’est bien vers Paris que les autres capitales tournent leurs regards. Je vous en conjure, ne permettez pas que la France devienne un parc d’attractions, un musée pour de riches étrangers. Ne permettez pas que s’installe durablement une nouvelle hégémonie allemande : nous savons trop combien le déséquilibre des puissances en Europe est un péril mortel. Ne permettez pas que la question de la souveraineté déchire notre peuple plus longtemps, tant sur sa gauche que sur sa droite. Je vous le redis M. le Président, au sommet de votre solitude, il y a l’Histoire qui vous observe et vous attend. Soyez De Gaulle, soyez Roosevelt. Et laissez donc ce pauvre Herbert Hoover derrière vous, très loin derrière vous.
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