Lettre ouverte aux personnes qui ont voté Macron et le regrettent
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Nobody is perfect. Vous avez cru faire barrage au fascisme en 2017. Aujourd’hui vous avez un peu la gueule de bois. Vous vous dites peut-être qu’ON ne vous y prendra plus.
Et pourtant, que ferez-vous la prochaine fois ? Et puis, qui est ce ON qui vous a pris ?
D’abord, si ON vous a pris, ce n’était pas par surprise. ON vous annonçait depuis plusieurs mois que vous devriez choisir entre la raison et la barbarie, et la barbarie, cette fois là, serait incarnée par Marine Le Pen.
Cependant vous n’avez pas tous voté Macron dès le premier tour. Certains ont voté Hamon, voire Mélenchon ou même Poutou.
Vous avez peut-être pensé vous abstenir pour le second tour, ou voter blanc pour faire preuve de civisme. Mais vous avez réfléchi, direz-vous. Pris en compte « l’abstention inavouée ».
http://rmc.bfmtv.com/emission/quand-les-mathematiques-donnent-marine-le-pen-presidente-1151153.html
Vous avez pu céder aussi aux injonctions de la presse, des réseaux sociaux et parfois de votre entourage.
Vous avez même pu finir par déclarer un truc dans le genre : « J’ai voté Mélenchon au premier tour, mais là, il me déçoit, le papy, de ne pas appeler clairement à voter Macron, le candidat « antifasciste ».
Puis vous avez vu, le jour de son intronisation, le jeune président papouiller l’oreille de Gérard Collomb. Vous vous êtes dit : « Tout ça fait un peu Bonaparte félicitant ses grognards. Bien sûr, c’est un peu ridicule. Mais il fallait bien récompenser ce maire de Lyon qui fut toujours un peu méprisé par les directions successives de son parti et qui, durant les vingt années où ce parti fut au pouvoir, ne fut jamais récompensé, ne serait-ce que par un secrétariat d’Etat ».
Ce texte ne s’adresse pas, on l’aura compris aisément, aux électeurs naturels de Macron. Il ne s’agit pas seulement des grands électeurs de la phynance qui l’avaient reconnu et choisi depuis longtemps. Car ces électeurs naturels ne se recrutent pas tous au sein d’une classe dominante. Il s’en trouve aussi au sein de ces dominés qui, faute de partager réellement les intérêts de la classe dominante, en épousent au moins l’idéologie et les illusions.
Et parmi eux certains ont, parfois, comme vous, le cœur à gauche.
Vous, vous n’avez pas que le cœur à gauche. Vous avez pu marcher dans la rue contre des lois anti sociales sous le règne de François Hollande, puis sous le règne du nouveau souverain. Mais avec quel succès ?
Vous avez pu aussi vous indigner de la loi Asile et Immigration, de l’évacuation de Notre Dame des Landes... Vous avez, sans conteste, des raisons de vous indigner et vous ne manquez pas de le faire. Mais vous pesez le pour et le contre.
Vous avez pu ne pas succomber à l’engouement de la presse pour ce jeune président. Il a traversé l’Atlantique, certes, pour se frotter à son homologue étatsunien. Bon, mais est-ce vraiment une façon d’incarner la fonction ? On a pu se moquer de son prédécesseur s’adressant à Léonarda ou que l’on coiffa d’une chapka, mais était-ce moins ridicule de se laisser prendre la main comme un mignon par un maquignon devenu maître du monde libre ?
« Si nous voulons que tout continue, il faut d’abord que tout change. »
Giuseppe Tomasi di Lampedusa, Le Guépard (1958)
« Le roi est nu. »
d’après Hans Christian Andersen (1837) et Simon Leys (1971) Les habits neufs
Vous seriez tentés de vous faire deux réflexions empruntées à la littérature. D’un côté le cynisme d’un Tancrède exposant à son oncle comment enfiler des habits neuf de la domination sur le monde. De l’autre, la naïveté de l’enfant s’écriant : « Mais il n'a pas d'habit du tout ! »
Mais de tout cela, le nouveau souverain n’en a cure. Depuis qu’il s’est installé à l’Elysée, « il trace son chemin », disent les uns, il « applique le programme pour lequel il a été élu », disent les autres. C’est ce que disaient déjà sans vergogne ses partisans les plus résolus dès le lundi matin de sa victoire. Et c’est ce que répètent en chœur les commentateurs sportifs. Il faut être beau joueur, quoi, vous avez perdu.
Vous aviez peut-être imaginé que, bénéficiant d’un vote « républicain » au second tour, le vainqueur tiendrait compte de vous, de vos voix de gauche, à vous, les « antifascistes » naturels. Dans sa mansuétude, il veut bien admettre qu’il a pu bénéficier de circonstances particulières, mais, ajoute-t-il, la majorité « introuvable » qu’il a trouvée ensuite lui permet d’appliquer son programme, et même au-delà, selon ses caprices ou les orientations budgétaires de la « bonne gouvernance ».
Bon. Puisque c’est ça, vous dites vous dans un mouvement d’humeur, la prochaine fois... Mais la prochaine fois (dans quatre ans si dieu lui prête vie, santé et prospérité), ce sera la même chose. La stratégie du pouvoir en place est simple et limpide :
1) se présenter comme une évidence dans le cercle de la raison, au centre de l’échiquier politique, renvoyant toute opposition dans les ténèbres des extrêmes ou des passions tristes.
2) sélectionner en conséquence une opposition de droite ou de gauche qui pourra jouer ce rôle d’épouvantail qui a si bien réussi en 2017.
« Pour les dominants, le plus souvent, la politique est une question esthétique : une manière de se penser, une manière de voir le monde, de construire sa personne. Pour nous, c'était vivre ou mourir. »
Edouard Louis, Qui a tué mon père (2018)
Bien sûr, direz-vous, il exagère un peu, le jeune homme. Et vous aurez en partie raison. Vous n’êtes pas vraiment des « dominants ». Bon ! Vous avez pour la plupart plus de cinquante ans. Vous gagnez 3000 euros par mois, voire beaucoup plus. Vous êtes des « travailleurs de la connaissance », ou même pour certains, des « managers ». Vous avez donc « une manière de voir le monde »... Vous avez des opinions « libérales », mais au sens des Etats-Unis. Vous êtes, comme beaucoup en Europe, « de gauche, mais… », ainsi que l’écrit Alain Deneault dans Politique de l'extrême centre. Mais ce québecquois précise plus loin : « Aux États-Unis, c’est l’inverse. On se dit libéral, mais de gauche ».
Le glissement à droite de l’offre politique était enclenché depuis longtemps dans l’anglosphère avec la « révolution libérale » de Reagan et Thatcher. En France, il a commencé en 1983 avec le tournant dit « de la rigueur », et après quelques péripéties, il s’est combiné en 2017 avec une abstention massive de l’électorat populaire qui n’est pas sans suggérer un rétablissement de fait du suffrage censitaire. Il s’achève provisoirement avec l’élection d’un banquier et l’éclosion d’un parti à ses initiales, premier parti de droite dès son apparition sur l’échiquier politique.
Cette « nouvelle droite », venue de la « gauche » sur les terres historiques du « centre », je lui avais donné le nom de droite LSD. Ce n’était pas seulement pour noter le caractère hallucinatoire de la dernière élection. C’était aussi un clin d’œil ironique aux valeurs que cette « nouvelle droite » s’auto attribue (Libérale, Sociétale et Démocratique). On sait que depuis, pour disqualifier son opposition de gauche, elle lui reproche sans rire d’être « illibérale » et « antidémocratique ». Elle n’ose évidemment pas lui reprocher d’être simplement sociale et égalitaire. Alain Deneault, lui, pour décrire cette « nouvelle droite », parle d’« extrême centre ».
Mais vous qui connaissez le monde de l’entreprise, vous voyez bien que le monde de Macron, c’est simplement emprunter au monde du management des recettes de bonne gouvernance. Et vous savez que le management des ressources humaines est l’obtention de leur adhésion au changement : leur donner le pouvoir de dire OUI.
Quant à Edouard Louis, il précisait sa pensée lors d’un entretien sur Radio Paris : « Les classes populaires sont les plus exposées à la politique. Pour les dominés, la politique est une question de vie ou de mort. Les politiques ont du sang sur les mains. »
Vous pensez que là quand même il va vraiment beaucoup trop loin et que, « Passé les bornes, y a plus d’limites ».Dans ce cas, vous pouvez attendre l’inauguration du boulevard vers le pouvoir en 2022 que « la presse de gauche » promet à Olivier Faure, Benoit Hamon et peut-être bientôt à François Hollande, le César du Brutus ou de l’Octave qui est à l’Elysée.
Si vous partagez cette illusion, vous n’avez sans doute pas participé à la « Marée Populaire » ce samedi 26 mai. Vous aviez, pour certains, autre chose à faire... vous préparer pour le match du soir... « Marée rouge contre marée blanche », titrait Radio Paris en fin de soirée, pour renvoyer aux faits divers les défilés protestataires.
Et, sur la même radio gouvernementale, vous avez peut-être entendu Thomas Legrand ce lundi 28 mai : « Ce matin, le pouvoir n’est pas populaire, mais son opposition l’est encore moins. »
https://www.franceinter.fr/emissions/l-edito-politique/l-edito-politique-28-mai-2018
Reconnaissons au moins à Thomas Legrand d’avoir le courage de ses opinions : il revotera Macron en 2022. Quant à vous, il vous restera à vous déterminer en fonction de la situation. Une vague européiste, « nouvelle gauche » et « nouveaux écolos », aura-t-elle remporté toutes les élections intermédiaires d’ici là ? Le souverain arrogant aura-t-il été chassé par un mouvement populaire, comme Charles X en 1830 ? Le plus probable est que vous soyez confrontés à un second tour entre Macron et l’épouvantail qu’il « se sera choisi », selon la formule consacrée des éditorialistes.
Si c’est un candidat ou une candidate des anciennes droites, vous n’hésiterez pas. Si la France Insoumise se qualifie pour le second tour, vous devez commencer à vous demander dès aujourd’hui si ce mouvement est bien, comme le clame l’oligarchie, l’ennemi principal.
Quelques liens pour alimenter la réflexion
https://la-bas.org/la-bas-magazine/entretiens/alain-deneault-euthanasier-le-capitalisme
https://www.youtube.com/watch?v=Zq9cqddCm24&list=PLXJa1eyN_t2nGM6DNqaUZeoQ9Y8Cpu4qthttps://www.youtube.com/watch?v=61FPs4A8SMA&index=9&list=PLXJa1eyN_t2nGM6DNqaUZeoQ9Y8Cpu4qt
https://www.youtube.com/watch?v=hLucuLLIl4U&list=PLXJa1eyN_t2nGM6DNqaUZeoQ9Y8Cpu4qt&index=11
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