Libéralisme. « Laisser faire, laisser passer »… Laisser mourir
De tous les clous que j’ai voulu enfoncer depuis que j’écris sur Internet, il n’y en a pas un sur lequel j’ai tapé plus fort que celui de la Santé. La gratuité, une forme quelconque de gratuité, de la santé est au coeur de la politique aux USA et même en France, que les autres voient comme le paradis de la santé, les Français s’inquiètent de ce qu’il en adviendra...

On voit partout des complots contre la gratuité de la santé et l’on a bien raison, mais il n’y a pas que ça ! Tous les systèmes de santé vivent deux (2) crises parallèles. La première est bien une agression néo-libérale contre l’universalité et la gratuité, mais le néo-libéralisme est opportuniste ; il faut voir que cette attaque met à profit une autre crise sous-jacente dont les causes ne sont pas politiques, mais techniques.
Le capitalisme a envoyé ses comptables à l’assaut des systèmes de santé gratuite et universelle, mais cette bataille de comptables a été engagée parce que des impératifs techniques imposent une remise en question des coûts des systèmes de santé. Les mêmes impératifs qui retiennent l’Amérique de concéder cette faveur de la santé gratuite à ses déshérités et de retarder ce qui semble une inévitable explosion de sa structure sociale trop inégalitaire. Ce sont ces impératifs techniques qui constituent le problème de fond. La médecine coûte trop cher. La gratuité et l’universalité des soins resteraient précaires même si cessait l’attaque néo-libérale.
C’est de ce problème de fond que nous discuterons dans le Tome #6 de la collection Nouvelle Société qui sera publié la semaine prochaine sur les site du même nom et sur pierrejcallard.com. Nous voulons proposer une solution. L’agression néo-libérale contre la santé gratuite n’est pas anodine, mais elle n’est qu’un épisode d’une lutte à finir entre deux visions du monde. Ici, nous n’en dirons qu’un seul mot : Pourquoi ?
Pourquoi cet acharnement à écraser le faible au profit du fort, dans ce secteur en particulier de la santé ? Choix risqué, car il peut être dangereux de susciter ici le mécontentement de la population : il s’agit vraiment d’une question de vie ou de mort et une riposte bien plus sanglante qu’on ne l’imagine peut être en gestation. Si votre enfant va mourir faute de soins parce que vous n’avez pas le coût de traitement, y a-t-il quoi que ce soit que vous n’ayez pas le droit de faire pour obtenir ce traitement ? C’est cette escalade qu’on veut arrêter aux USA. Pourquoi le capitalisme veut-il lutter sur un terrain aussi périlleux ? Parce qu’aucun autre secteur – et de très loin – ne constitue un objet de conquête aussi attirant pour l’économie libérale que le secteur de la santé. Pour deux (2) raisons.
D’abord, sur le strict plan économique, le secteur de la santé est la terre promise. La production de biens n’offre plus aujourd’hui beaucoup d’avenir, car ceux qui en ont les moyens en sont déjà saturés, non pas de tel bien ou de tel autre, mais de TOUS les biens de consommation en général. Blasés, ils prennent conscience de l’arnaque publicitaire qui les pousse à payer plus pour des babioles qui n’ajoutent rien aux services que les choses peuvent rendre. Une Mercedes ne rend pas 10 fois les services d’une Toyota, un « Blue Label » n’enivre pas mieux qu’un alcool standard… Parce que le boniment des vendeurs est devenu trop simpliste, il devient même élégant de ne pas tomber dans le piège de la consommation ostentatoire et de se satisfaire de choses simples.
Les riches ont de moins en moins que faire de leur argent, sauf spéculer, ce qui est une bombe à retardement cachée dans le grenier de notre société. Qu’est-ce qu’on peut offrir aux riches pour faire rouler l’économie réelle ? Des services, bien sûr, mais parmi les services, ceux qui donnent la VIE. La VIE et rien d’autre. Pour ajouter des années à leur vie – et jeunesse et santé à leurs années – même les plus blasés sont prêts à redevenir consommateurs. Enfin, des clients !
Des clients, mais aussi des sujets dociles. Pour garder la richesse comme source du pouvoir et que se maintienne une société basée sur le désir d’obtenir une récompense plutôt que sur la menace de subir un châtiment, il faut que l’individu veuille PASSIONNÉMENT devenir riche. Les « récompenses » matérielles que peut procurer l’argent devenant de plus en plus triviales dans notre société, à mesure que notre productivité industrielle augmente, c’est l’accès à la santé par la richesse qui peut le mieux jouer le rôle de récompense.
Pour jouer ce rôle motivant, toutefois, la santé ne peut pas être donnée : il faut qu’elle soit vendue. Il n’est pas suffisant qu’une médecine en progrès exponentiel assure la longévité, la santé et la jeunesse aux riches ; il faut aussi qu’on en prive les pauvres. Assurer ainsi la suprématie finale de la richesse en lui octroyant un droit de vie ou de mort est la deuxième raison pour laquelle l’économie libérale doit conquérir le secteur de la santé : contrôler l’accès à la vie, c’est l’ultime outil pour un système de renforcement positif axé sur la récompense.
Les industries pharmaceutiques – dont la frontière avec la gestion du trafic des drogues s’estompe – vont donc être, au XXI ème siècle, la source inépuisable d’enrichissement qu’a été au XX ème l’industrie des armements. La guerre sera moins nécessaire… mais cela n’empêchera pas que des hommes et des femmes meurent encore pour que soit perpétué le pouvoir de la richesse. Au lieu de les tuer on les laissera mourir…
Le moment est venu de discuter de cette nouvelle problématique de la gouvernance.
Pierre JC Allard
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