Libération des otages au Cameroun : une rente diplomatique ? Essai de décryptage
L’ouverture d’une information judiciaire sur le soutien financier de Kadhafi à la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, les infâmes tractations conduisant à la libération des infirmières bulgares, le pilonnage par l’aviation française des forces rebelles au Tchad suite à l’extradition des zozos de l’arche de Zoé devraient nous faire comprendre que les négociations entreprises pour libérer les otages ne sont jamais sans conséquence pour … les africains eux-mêmes. Au risque de déranger, j’affirme que ce n’est jamais qu’une question d’argent. Nous nous inscrivons dans un cadre géopolitique qu’il convient d’éclairer. Et devant les commentaires lénifiants des grands médias face à la libération des otages, je me dois de dessiller les yeux à certains et dessiner le cadre général dans lesquels se sont probablement tenues les négociations. N’étant pas dans les petits papiers de Fabius, je n’ai aucune révélation à faire sur lesdites tractations !
Point de cynisme. Les otages ont-ils un juste prix ? Non bien sûr, et on ne peut que se réjouir de la libération des sept otages français – dont quatre enfants –, enlevés il y a deux mois dans le nord du Cameroun par le groupe islamiste nigérian Boko Haram. Je le dis d’autant plus sincèrement que j’aurais pu moi- même être victime de rapt avec mon épouse il y a quelques années quand je me suis rendue à Garoua visiter le parc de Waza et rencontrer les Kapsiki. La région est sublime, difficile de résister… Mais déjà à l’époque, le danger était identifié, les coupeurs de routes essaimaient le nord Cameroun, zone tampon entre le Tchad et le Nigéria et lieu de tous les trafics. Trafic, pour l’essentiel d’hydrocarbures, qui, faut-il le rappeler est la conséquence de l’économie prédatrice mise en place par certaines multinationales dans la région du lac Tchad. A coté de cela, la contrebande des produits manufacturés Nigérians vient combler la pénurie et l’absence dramatique d’industrialisation en Afrique centrale. Tout n’est pas noir … A l’époque, un colonel Camerounais à la retraite sur Garoua, qui assurait notre protection, nous avait renseignés sur l’instabilité chronique de la sous-région et la porosité des frontières. De quoi aiguiser l’appétit des brigands de grands chemins. Jadis invisible, nous leur avons donné l’occasion de légitimer et de médiatiser leur méfaits en fournissant aux pays africains une rente diplomatique, états qui s’empressent de donner à l‘occident des gages pour la lutte contre le « terrorisme islamique ».
Cette sous-traitance de la lutte de l’occident contre AQMI est une aubaine pour les états africains corrompus qui peuvent remplacer avantageusement les anciens systèmes de rente aujourd’hui périmés (aide à la coopération, guerre froide…) par une nouvelle. C’est une aubaine également pour les groupes armées qui, s’ils se trouvent être islamisées –c’est souvent le cas dans toute la bande sahélienne – peuvent s’affubler du label AQMI. Visibilité médiatique et prestige auprès des « sans-parts » garantis. Ici comme ailleurs l’Islam a bon dos. Que par ailleurs ces groupes armées appliquent et font appliquer par l’intimidation une Charia brutale et deshumanisante leur permet de se placer dans le champ symbolique d’une lutte de civilisations aussi absurde que pernicieuse.
Tout le problème est là. De toute façon, la France, puisqu’ « elle ne négocie pas », sous traite la négociation. S’il s’agit de faire parvenir quelques valises de billets aux ravisseurs, cas le plus simple et peut-être même le plus sain, il suffit de faire payer la rançon par d’autres afin de ne pas se compromettre au niveau international. Mais cela exige des contreparties. Pour permettre le rapatriement des membres de l’arche de Zoé, Ie dictateur Idriss Deby avait obtenu que l’armée française intervienne pour stopper les colonnes des rebelles aux portes de Ndjamena. Que peuvent être ces contreparties pour le Cameroun ? Je connais moins bien la situation nigériane aussi je n’en parlerai pas.
Dans la mesure où le Cameroun, semble-t-il, a joué un rôle majeur dans les négociations, nous nous devons ici d’examiner la situation politique. En 50 ans, le pays n’a eu que deux présidents. Rappelons que le Cameroun est la toute première dépendance française à obtenir son indépendance en 1960 au prix d’une guerre qui fit au bas mot des dizaines de milliers de morts. La rébellion upéciste matée ou en passe de l’être, le Cameroun d’Ahidjo fut la première nation indépendante à signer des accords de coopération ce qui en faisait la première dictature françafricaine[1]. D’autres suivront. Depuis 1983, le dictateur Paul Biya est le seul maitre à bord. Le multipartisme en trompe l’œil, les émeutes qui ont jalonné ses mandats successifs, les arrestations arbitraires, la fraude électorale, les manipulations constitutionnelles et le soutien indéfectible de la France ainsi que des grands groupes comme Bolloré, maître de la logistique permettant l’extraction des richesses, tous ces facteurs expliquent la longévité d’un régime autocratique, un des plus corrompus au monde[2]. La « parfaite entente entre la France et le Cameroun » dixit Laurent Fabius peut faire craindre le pire. Le régime Biya est aux abois. Ce dernier, déléguant la gestion des affaires du pays à une clique de satrapes qui se partagent le gâteau national, n’a vraisemblablement qu’une obsession : assurer sa survie et sa succession. Je sais, de source bien renseigné, qu’il en est à confisquer les passeports de ses ministres et à organiser la compétition pour le pouvoir afin que tous les prétendants se neutralisent eux-mêmes. Quelques arrestations de ministres bien médiatisées pour « corruption » font le reste. Paul Biya manœuvre dans l’ombre pour que son fils Franck Biya accède à la présidence du Sénat ce qui en cas de décès le placerait automatiquement à la tête de l’état. Il est vrai que la succession « sans heurt » du fiston d’Omar Bongo avec la bénédiction de la France donne des envies.
Nous le voyons, Paul Biya, en fin de règne (80 ans), a besoin du soutien de la France pour légitimer une possible succession alors même que les relations entre les deux pays s’étaient plutôt distendues sous Sarkozy. A t-il libéré des prisonniers nigérians comme l’exigeait Boko Haram ? Alors même que des prisonniers politiques (journalistes, artistes…) continuent de croupir dans les geôles camerounaises. Cette affaire est une occasion pour lui de se refaire une santé politique en contribuant à la libération des otages. Ceci est de mauvais augures pour le peuple camerounais.
[1] Deltombe, Thomas, Manuel Domergue, et Jacob Tatsitsa. Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique. Paris : La Découverte, 2010.
[2] Pigeaud, Fanny. Au Cameroun de Paul Biya. Paris : Karthala, 2011.
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