Lidl ou les eaux troubles du hard-discount
Les récentes bousculades, altercations et piétinements dans les supermarchés de l'enseigne Lidl prouvent, contre toute évidence, la pugnacité et la mobilisation de nos concitoyens dès lors qu’il s’agit de lutter pour de nobles causes et de justes combats collectifs. Ainsi, un robot-ménager dénommé Monsieur Cuisine Connect que Lidl a décidé de déstocker (avant une possible interdiction de vente imposée par voie judiciaire au motif d’une contrefaçon présumée au détriment d’un robot aux fonctions identiques de la société Vorwerk mais vendu près de quatre fois plus cher) a déclenché des émeutes. Rien d'étonnant pour le quidam (dont votre narrateur) qui s'est un jour aventuré dans un Lidl pour admirer les produits non déballés dans leurs caisses et mal classés, bas de gamme pour la plupart, la nervosité des employés, et surtout l'épreuve d'un long passage en caisse à vous démolir les nerfs. Avec en plus le risque d'empoignades dignes des tribunes de football de ma jeunesse, je fais mes courses ailleurs.
Bousculades donc pour un robot-ménager dans un certain nombre de magasins et même, dans celui de Vendin-le-Viel, près de Lens dans le Pas-de-Calais, piétinement par des ménagères en furie d’une cliente qui dut être évacuée et transférée par les pompiers aux urgences. Ailleurs, à Forbach, des clients se sont carrément entretués sur le parking du magasin. Ambiance, au moment où les pouvoirs publics nous exhortent à garder nos distances et éviter les rassemblements collectifs, covid-19 oblige. L’enseigne de hard-discount "préférée des Français" (lesquels ? les érémistes ?) mais coutumière de ces débordements, tire son succès croissant d’une politique offensive de prix particulièrement bas l’ayant propulsée au troisième rang de la distribution en France. Personnel sous-payé au lance-pierre en contrat précaire, attente interminable en caisse, basse qualité des produits, accueil infect et loi de la jungle entre clients : Lidl et ses concurrents ne sont pas des exemples de l'art de vivre allié à la gastronomie à la française. Mais dans un système ultra-libéral, seul compte le pognon encaissé par les proprios et actionnaires.
Le président de Lidl première fortune d’Allemagne
Avec Kaufland, l’enseigne Lidl appartient au groupe allemand de hard-discount Schwarz dont le président Dieter Schwarz, l’homme le plus riche d’Allemagne, a doublé sa fortune en sept ans, passant de 21 milliards d’euros en 2014 à près de 42 en 2020. La crise ne concerne pas tout le monde. C’est la démonstration, s’il en manquait encore une, que rien n’est plus lucratif finalement que de vendre des produits très peu chers à d’innombrables cohortes de pauvres conditionnés par des matraquages publicitaires sans fin (télévision, internet, affichages publics...). L’envers du décor, dévoilé en partie dans une émission Cash investigation en 2019, confirme des méthodes managériales intolérables, des pressions excessives sur le personnel, des conditions de travail déplorables, un dialogue social au point mort et des modalités inadmissibles de licenciement.
Scandales et pensée unique
Sans parler des scandales à répétition comme une infection de la viande par la redoutable bactérie E.coli, signature incontestable de l’abattage halal ou l’affaire révélée en 2019 du micro caché dans le robot de cuisine Monsieur Cuisine Connect (toujours lui !) ou encore les publicités sexistes du meilleur goût comme celle pour des beignets dont le slogan suggestif « un trou c’est un trou » fit scandale. En 2017, des consommateurs attentifs avaient remarqué sur les emballages d’une gamme de produits grecs la disparition de la croix chrétienne surmontant les dômes de la célèbre église Anastasis sur l’île de Santorin. Cette retouche stalinienne de photo répondait, selon la direction, à une volonté de respecter la diversité. De mauvais esprits pourraient rétorquer qu’aucune censure n’affecte pour autant la représentation des minarets sur le conditionnement des produits halal de l’enseigne.
Question diversité, Dieter Schwarz, semble d’ailleurs nettement moins frileux dès lors qu’il s’agit de définir les objectifs du fonds d’investissement Zukunftsfonds Heilbronn (ZFHN) qu’il préside. Dont, notamment, celui d’investir dans les entreprises technologiques israéliennes et d’aider les startups de l’État hébreu pour lequel il semble avoir les yeux de Chimène. « J’ai appris l’écosystème des startups à Tel-Aviv pour la numérisation et la robotique » confie ce magnat de la distribution, précisant quand même « Nous voulons consolider une entreprise en Israël, l’amener au marché européen mais nous voulons que le cœur de l’entreprise soit ici, en Israël ». Nous voici rassuré. Mais considérer le marché européen comme une vache (pauvre) à traire afin d'entretenir une résidence principale dans un pays extra-européen, ce n'est pas très élégant. Shwarz compte-t-il investir dans le vaccin anti-covid low cost pour mettre plus de beurre dans ses épinards ? A voir...
Fric facile et malbouffe, tout un programme digne des films d'anticipation des années 1970 (Soleil vert, vous connaissez ?). La paupérisation de nos concitoyens se double désormais d'un accès médiocre à l'alimentation : double-peine de la misère culturelle et sociale. Le commerce équitable, démocratique et citoyen est à inventer...
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