Liège
J’ai la faiblesse de soumettre à la modération un texte plus personnel que ceux que je commets d’habitude.
Passera-t-il la rampe ? Je n’en sais rien mais je prends néanmoins le risque car une telle déclaration que j’oserais qualifier d’amour ne doit pas rester clandestine, elle doit viser à être communiquée même si sa diffusion risque de se limiter à quelques modérateurs plus ou moins favorables et de se heurter au refus de publication.
J’affronte donc l’écueil et on verra bien si mes états d’âme ont une quelconque résonance.
Maintenant que j’arrive tout doucement au crépuscule de mon existence, je voudrais écrire non pas une ode, encore moins des stances, ce serait présomptueux pour un tâcheron de l’écriture , mais un court texte pour célébrer la région où je vis depuis l’enfance et ma ville, celle qui a connu mes premiers travaux de lycéens et mes premiers émois d’étudiant, le départ de ma vie professionnelle enfin.
Rassurez-vous, je ne vais pas jouer au chroniqueur touristique qui voudrait vous détailler toutes les beautés et curiosités du lieu : il y a des guides fort bien faits pour cela.
Liège nichée ou plutôt lovée aux flancs d’une vallée suffisamment profonde pour y bâtir la cité d’origine baignée par un fleuve, la Meuse calme et majestueuse où péniches et petits bateaux côtiers apportent à la fois la couleur de l’activité industrielle et du génie humain et le charme des illusions de voyages lointains.
J’ai grandi dans un gros village contigu où bourgeois et gros propriétaires terriens avaient construit des maisons de maître voire des gentilhommières, lequel bourg tranchait avec la petite localité voisine où abondaient chaumières et masures sans grand caractère, marquant ainsi par l’architecture les différences sociales entre possédants et traîne-savates ou journaliers des travaux agricoles puis ouvriers de la grande industrie.
J’habite toujours ce village qui a bien changé mais où les demeures de caractère ont presque toutes résisté à la vague de modernisme qui a submergé et fusionné en une seule entité administrative différents villages et hameaux.
J’ai donc fait mes études primaires comme on les appelait à l’époque dans une école de village où la mixité était évidemment impensable et j’ai passé mon certificat d’études dans le chef lieu de canton où on nous conduisait traditionnellement par autocar : je me suis ainsi ouvert le chemin d’un lycée que l’on appelle chez nous athénée où je fus inscrit par mes parents et qui me permit de découvrir la grande ville, horizon pour moi presque indépassable à l’aube de mon adolescence.
Mon athénée était logé en partie dans un ancien couvent de sœurs clarisses rasé depuis et ayant fait place à des bâtiments aussi tristounets qu’ils se revendiquent fonctionnels.
Le bâtiment était donc vétuste mais bien entretenu, difficile à chauffer l’hiver par d’immenses calorifères de fonte dont un préposé de l’économat surveillait l’alimentation afin que les têtes blondes ne souffrissent pas trop du froid des vastes pièces hautes de plafond et où d’immenses baies vitrées évidemment mal isolées laissaient passer une lumière parcimonieuse à peine renforcée par un éclairage électrique basique. Les heures passaient lentement dans ces classes que rythmaient tous les quarts d’heure ( un coup pour les quarts d’heure et une courte mélodie pour les heures ) le carillon de la flèche de la Cathédrale Saint Paul et pourtant ce n’est pas sans nostalgie que je me replonge dans ce passé.
Comme à l’époque de mes études, dans les années 50, le réseau urbain de transports en commun n’était pas encore unifié, je devais me taper la traversée de presque toute la ville pour rejoindre mon athénée au départ dès mon arrivée à la gare du palais ( le palais étant celui des Princes évêques qui sont à l’origine de l’expansion de la ville )
Malgré les traces encore bien visibles du conflit mondial, qu’elle était belle en ce temps-là, ma ville, avec ses vieilles ruelles et ses jolies placettes que n’avait pas encore défigurées une urbanisation où la laideur le dispute aujourd’hui à un gigantisme de mauvais aloi et du plus parfait mauvais goût.
Aujourd’hui que beaucoup de cette ancienne configuration urbaine a trépassé submergé par le béton et que les démolitions ont fait place à de grandes béances sans âme et à des immeubles sans prestige, comme je regrette cette ambiance d’autrefois où les petites gens s’interpellaient dans des quartiers où chacun connaissait son voisin.
Malgré la soif destructrice qui, sous prétexte d’ouvrir la cité à l’automobile triomphante, a ruiné des lieux plein de vie et d’animation populaire pour y construire des axes linéaires, des ronds-points saugrenus et amener en quelque sorte la circulation autoroutière jusqu’au sein de la ville, je me souviens de la ville que j’ai connue.
Mais si la ville a changé et pas nécessairement pour son avantage, elle a aussi mué en bien : oublieux de l’uniformité ethnique d’antan, le centre ville est devenu un kaléidoscope de toutes les couleurs de la terre et on se croirait parfois dans une version brésilienne de la vieille Europe.
Dieu que les filles y sont jolies où ravissantes métisses côtoient des méditerranéennes des deux rives, où la noire gazelle fait la conversation à la blonde nordique dans un mélange humain bon-enfant où n’affleure pas une once de racisme.
Mais surtout les capacités d’accueil des habitants restent telles qu’elles étaient aux temps anciens de ma jeunesse avec les immigrés italiens ou espagnols, à la fois distantes et chaleureuses pour toutes ces personnes, travailleurs, réfugiés, étudiants venus de tous les coins du monde pour donner à la ville cette couleur bigarrée qui en fait probablement une des villes parmi les plus mélangées d’Europe sans que cette diversité nourrissent l’Extrême-droite maintenue jusqu’à aujourd’hui à un niveau ridiculement bas quand on le compare avec la situation que l’on connaît dans d’autres villes du royaume.
Cette ville à laquelle je suis fier d’appartenir parce qu’on l’appelle la Cité ardente, c’est donc Liège qui, malgré les outrages architecturaux apportés à son caractère ancestral, reste ma ville, celle que je n‘ai jamais vraiment quittée, Liège, ma belle, le berceau de mes rêves et de mes désillusions où je suis devenu ce que je suis.
28 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON