Limitation de mandat présidentiel en France. Et si l’Afrique en fait de même ?
Le mercredi dernier, le gouvernement français a adopté le projet de réforme de la Constitution dont l’un des points saillants est la limitation à deux mandats présidentiels consécutifs.
On se rappelle que le président Sarkozy avait envisagé une telle réforme en novembre 2003 en déclarant sur France 2 : « une fois qu’on a donné ce qu’on se sent capable de donner pour son pays, pour sa ville, pour sa circonscription, il est sage, par une limitation du nombre de mandats dans le temps, qu’on laisse la place à d’autres ».
Il faut qu’une telle annonce ait des répercussions en Afrique. La nouvelle pratique constitutionnaliste africaine née au lendemain de la chute du mur de Berlin avec la fin des régimes monopartisans et dictatoriaux avait, bien que s’inspirant de la Constitution française, prévu la limitation du nombre des mandats présidentiels. Mais au moyen des tripatouillages constitutionnels successifs dans nos pays, nos dirigeants : feu Gnassingbé Eyadema (Togo), Idriss Déby (Tchad), Omar Bongo (Gabon), Lansana Conté (Guinée) ... soucieux de s’éterniser au pouvoir pour criminaliser au maximum l’Etat, ont fait sauter cette limitation du nombre de mandats au motif que la France qui est un « pays démocratique exemplaire » n’a pas limité les mandats présidentiels.
Le dernier pays en date à le faire est le Cameroun le 10 avril dernier. Son président Paul Biya après plus de 25 ans au pouvoir vient de supprimer de la Constitution de son pays la limitation du nombre de mandats présidentiels pour pouvoir briguer un nouveau mandat supplémentaire en 2011 .
Maintenant que la France va constitutionnaliser la limitation du nombre des mandats présidentiels, les dirigeants africains font s’appuyer sur quel argument pour justifier leur tripatouillage constitutionnel. Sur les réalités africaines ? Certainement pas. Car ces réalités plaident énormément pour cette limitation.
En effet, en Afrique en raison du caractère multiethnique de nos Etats, il est inconcevable qu’une seule personne issue d’une seule ethnie puisse monopoliser le pouvoir présidentiel pendant plusieurs années : vingt ans, trente huit ans (comme au Togo), quarante ans (comme au Gabon) quitte à le « monarchiser » comme au Togo.
L’Etat en Afrique n’a pas joué son rôle de médiateur pour toutes les ethnies qui le composent. Au contraire, il est devenu une source de conflictualité dû à l’enjeu de la compétition pour son contrôle et surtout pour ses ressources... Il est à la fois la plus grande entreprise et le plus grand pourvoyeur d’emploi et de revenus. Même les entreprises privées (les notaires aussi) vivent des marchés offerts, autorisés ou facilités par les instances étatiques y compris l’accès aux emplois de l’administration publique (fonction publique, administration para-étatique, armée, police, magistrature...) et autres patrimoines publics (la propriété foncière)... De cet fait, comme l’admet Archille Mbembe, « [...] l’Etat africain semble davantage un Etat alimentaire qu’une construction rationnelle de la vie collective et des mécanismes consensuels qui doivent agencer les échanges sociaux ».
L’ethnie qui contrôle le pouvoir politique en Afrique, contrôle le pouvoir économique, le pouvoir militaire, le pouvoir judiciaire... avec des dérives ethnocentriques comme la constitution d’une fonction publique à 80% de l’ethnie du Président, ou l’armée à 98% de l’ethnie du chef de l’Etat...sans parler de la magistrature.
Dans cette perspective, chaque ethnie va vouloir s’accaparer de l’appareil étatique et l’ethnie du président de la République est perçue à tort ou à raison comme l’ethnie dominante, celle qui oppresse les autres.
Les élections présidentielles en Afrique sont aujourd’hui l’occasion de voir s’exprimer ces rivalités. Les unes ne voulant pas perdre les rouages de l’Etat, les autres voulant prendre leur revanche. D’où des élections frauduleuses et des contestations des résultats par l’opposition, débouchant sur des violences ethniques comme récemment au Kenya avec des exécutions à la manchette de famille, des incendies d’église, de maison...Dans ces conditions, l’Union européenne aura beau déployer à coût de millions d’euros des observateurs internationaux électoraux, les élections seront toujours frauduleuses et contestées en Afrique.
La limitation du nombre de mandats présidentiels pouvant conduire à des alternances politique et ethnique à la tête de l’Etat en Afrique est impérative pour prévenir les conflits. Soutenir des présidences à vie avec dévolution successorale des clés de la République au fils du président décédé au nom d’une supposée « stabilité » ne fera que conditionner les pays africains à des confrontations armées voire ethniques et génocidaires.
Espérons que la France, en adoptant la limitation des mandats présidentiels pourra inspirer les dirigeants africains pour en faire de même afin qu’on voit s’alterner (à la suite des élections libres et transparentes) au pouvoir dans nos pays, des personnes de bonnes volontés issues de toutes les ethnies sans exclusion et gérant l’Etat et ses ressources dans l’égalité de toutes les ethnies et la bonne gouvernance avec des garanties comme la nomination d’un médiateur d’Etat.
Un tel médiateur d’Etat (à la différence d’un médiateur administratif connu sous la dénomination de médiateur de la République ou ombudsman) peut être chargé de contrôler que les mesures prises par le Président la République (durant son ou ses deux mandats) assurent la représentation diversifiée des ethnies et que les nominations aux postes les plus importants : chefs des corps de défense et de sécurité, gouverneurs des régions, préfets, ambassadeurs, procureur général de République, directeur des impôts, des douanes, de la conservation foncière, dirigeants des sociétés d’Etat ...contribuent à promouvoir cette diversité ethnique. Il devra rendre un rapport annuel sur la diversité ethnique dans le pays.
Me Komi TSAKADI
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