Lire des romans sur la pandémie au temps du coranovirus
Pourquoi lire des romans sur un tel sujet ? N’est-ce pas se complaire dans le malheur ?… Mais n’est-ce pas un besoin ? les jeunes lecteurs se jettent sur « la peste » de Camus. Sans doute cherchent-ils des réponses, chez cet auteur humaniste.
Un roman, aussi terrible qu’il soit, est malgré tout rassurant. Car il met en images, en paroles, nous relie aux expériences passés, aux hommes et aux femmes qui les ont traversées, passant par des moments d’abattement mais aussi de jubilation.
Mon propos est d’évoquer quelques romans, très différents, évoquant le sujet de la pandémie, ou des états d’âmes liés à la peur et à l’enfermement, qui lui sont concomitants.
En ces temps incertains de coronavirus, où l’on vous demande de mettre un masque pour faire du lèche vitrine, n’est il pas plus sage de rester chez soi, et de prendre un bon bouquin ?
« Tu perds ton temps à lire ! Tu ferais mieux d’aller dehors jouer ! »
Quel gamin d’autrefois, de l’époque d’avant les jeux vidéo, n’a-t-il pas entendu autrefois ce reproche ! La lecture avait mauvaise presse. On l’accusait de tous les maux. De rendre paresseux, rêveur, voire fou, incapable de séparer fiction et réalité !
Le fond de l’air n’est plus le même. On s’est aperçu avec la profusion virale des écrans, combien la lecture de fictions est structurante, et salvatrice. Outre le fait qu’elle vous protège des postillons des autres, pourvu qu’on se plonge assez dans un bouquin !
Sans forcément nous aider sur le plan pratique, elle nous consolide et répare nos âmes blessées. La lecture n’est donc pas passive, comme on le pensait autrefois, mais active. Elle nous met en projet, en ébullition. Si nous pleurons en lisant un livre, nous pleurons en fait sur nous même, nous projetant sur les héros, dont les préoccupations les plus intimes deviennent nôtres. Les romans augmentent ainsi nos capacités d’empathie et d’imagination. Avec eux, nous améliorons notre compréhension au monde, sans avoir besoin de prendre l’avion, de passer une seule frontière physique.
Le roman explore l’âme et les pays, toutes les époques, donne une voix à des personnages qui sont à mi chemin entre ce que nous sommes, et le projet de l’auteur. Un roman, c’est un partenariat et une création à deux.
Les œuvres qui comptent dans notre vie ne sont pas si nombreuses que cela. Il faut qu’on les lise au bon moment, celui du « Kairos » !. Le chant d’un livre prendra toute sa valeur quand son sujet sera en adéquation avec le moment vécu. Il y eut une époque où « l’amant de lady Chaterlley » livre interdit jusque dans les années 60 en Angleterre, laissait les adolescents dans la fièvre, leur parlant d’un continent inconnu et refoulé.
« Sur la route » a fait bouclé leur sac à bien des jeunes gens, déjà ébranlés par les poésies d’Arthur Rimbaud, et « son paletot idéal aux poches crevées ». Chacun sortira de son sac le livre raturé, souligné, qui l’a ébloui.
Un accident de vie, une maladie, une crise, et nos sens sont en attente d’une aide impossible parfois à trouver. Alors le roman sera là, posé sur la table, attentif, patient, disponible.
Les sciences cognitives ont d’ailleurs montré comment l’activité cérébrale est littéralement dopée par cet appétit qui ne se rassasie jamais, une fois qu’on a choppé ce virus salvateur.
La lecture, son rythme des phares, organise des histoires découpées en chapitres, exige des silences, des respirations, impose grâce à la grammaire et à la musicalité des phrases, un sens à cette vie qui nous semble parfois étrangère, ou nous réconcilie avec elle, en projetant des images dans notre cinéma intérieur.
Voilà longtemps qu’on n’avait pas traversé une telle crise. Balayés les krachs économiques antérieurs, qui hier, nous semblaient des événements indépassables. Les bourses vacillaient, mais notre quotidien n’était pas affecté, de même que notre santé, et celle de nos proches !
La crise nous ébranle, mais l’épidémie, elle déshabille, ramène aux fondamentaux, nous révèle à nous même.
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« Le hussard sur le toit ». de Jean Giono (1951). Ah ! Quel beau roman que voilà ! Magnifié aussi par le film de Rappeneau, (bande annonce : https://bit.ly/2TMqB71 ) qui en fit une adaptation cinématographique des plus réussie.
Le cadre est celui de la Provence écrasée par le soleil, mais aussi par la mort, lors de l’épidémie de choléra en 1832. Des villages sont mis en quarantaine par les gendarmes. Angelo, un jeune colonel de hussard italien, porteur de valeurs révolutionnaires, est en mission. Il doit retrouver son frère, et traverse le pays, ravagé par la mort. En tant qu’étranger on le soupçonne du pire, d’empoisonner les puits.
Il s’en sort avec panache et courage, n’hésite pas à se mettre au service des malades, mettant cent fois sa vie en péril. Il accompagnera à cheval une jeune aristocrate qui doit elle aussi traverser ces pays maudits, où l’on passe d’un charnier à l’autre.
Il y a tous les antagonismes, le soleil de Cézanne et la noirceur de Jérôme Bosch, dans ces évocations enfiévrées. Et l’on traverse au galop les montagnes désertes de La Lure, avant de mettre pied à terre dans des villages condamnés par le mal qui s’étend.
L’amour et l’élévation spirituelle côtoie la puanteur et les miasmes de la mort. Traversées géographiques et humaines, passant des sommets aux ravins, tout n’est qu’allégories dans ce roman puissant, et transcendantal.
Angelo n’attrape pas le choléra, qui a une puissance métaphorique, car il méprise la contagion, la petitesse, le repli. Sa générosité le sauve. A l’opposé le mal révèle la laideur des combinaisons humaines habituellement cachées, et la bêtise et la superstition des âmes basses, prêtes à tout pour s’en sortir, en profitant éventuellement de l’affaire. C’est un roman qui explore de façon quasi clinique les états de panique qui s’emparent des foules, cherchant tantôt une réponse en dieu, et une autre fois désigne un bouc émissaire. L’épidémie est un puissant révélateur, et exhume la qualité des êtres.
« Le Hussard est une histoire qui commence au pas d’un cheval et marche ensuite au galop ! » Dira Jean Giono. Il l’a pas choisi le nom de son hussard au hasard. Angelo vient d’ailleurs. Il a tout de l’ange rédempteur.
S’il ne terrasse pas le dragon, il fascine les autres par son élan vital. Il dénonce les mensonges et les hypocrisies. C’est un exemple, un héros, un pôle d’énergie qui transfigure ceux qu’il rencontre. Je l’ai reconnu en Li Wenliang, ce jeune médecin chinois qui est mort de la maladie, après avoir voulu s’échapper des consignes de silence imposées par le gouvernement chinois !
« La mort à Venise » de Thomas Mann (1912)
Lucino Visconti a porté à l’écran lui aussi ce livre magnifique, (bande annonce : https://bit.ly/33ix8cv ) et a utilisé la musique de Gustav Malher, dont la mort, quelque temps avant, avait bouleversé Thomas Mann.
L’action se déroule en 1911, dans une Venise visitée par une bourgeoisie insouciante. Un écrivain célébre, Gustav Von Aschenbach se fait spectateur de la ville musée, dans les rapports avec à la fois la magnificence et la décrépitude ont été souvent soulignés.
Le parallèle entre les états d’âmes névrotiques de l’auteur, et les descriptions mélancoliques de La Sérénissime sont troublantes. Un cadavre passe sur une gondole, poussé par des rameurs habillés tout de noir. C’est le début de l’épidémie de choléra, cachée par les autorités, afin de ne pas faire fuir les touristes. Le vieil homme n’en a cure. Le seul vrai intérêt qu’il porte est lié à l’éblouissement qu’il a ressenti au passage d’un jeune adolescent. Installé à une table de café, il le suit du regard de loin en loin, d’un jour à l’autre, dans un cadre très restreint, conforme à ses états d’âme.
Le traitement de l’histoire, l’acceptation de l’épidémie, comme une sorte de fatalité au bout du chemin, fait de cet homme vieillissant, las, l’exact opposé d’Angelo, le jeune héros du « Hussard sur le toit ». Ce n’est plus que le spectateur impuissant de sa vie, et bientôt de sa propre mort, cherchant juste quelques images réconfortantes de jeunesse et de beauté en guise de dernière consolation. Le cadre de Venise ne pouvait être que la dernière concordance, à ce récit crépusculaire, au charme sombre, qui nous dit qu’il peut y avoir des morts acceptées et subies !
Mais voilà Venise touchée maintenant comme la Lombardie par le virus. Le carnaval a été annulé, les masques ne sont plus ceux qu’on aurait voulu, pleins de paillettes.
La ville cette année a multiplié les catastrophes. Les jours d’aqua-alta ont pulvérisé les records d’inondation, mettant en évidence l’attentisme et l’apragmatisme des autorités !
Venise est devenue une métaphore et une hyperbole de toutes les catastrophes qui nous rongent. Celle du tourisme, qu'enrichit une partie de la population, et condamne l’autre à s’exiler, ne pouvant plus s’y loger ! Les subventions de Bruxelles, pour sauver la ville du naufrage, a plus profité aux mafias locales qu’à installer des infrastructures de sauvegarde, et des barrages mobiles, dont les pièces ont rouillé en bordure de lagune.
Ne parlons par des paquebots démesurés, que d’étranges accords permettent d’entrer dans la lagune, et de déclencher des vagues qui rongent un peu plus les fondations fragiles de la cité. Le mal ou la maladie ne prennent leur force que dans la faiblesse et les renonciations qu’ils rencontrent.
Et l’or doré sur tranche, pas plus que le passé prestigieux, ne protègent pas les structures vermoulues, et corrompues. Ceci étant valable pour les hommes, que pour les états, aussi puissants qu’ils puissent avoir été.
« Dracula » de Bram Stoker (1897)
Les adaptations sont légions. La plus célèbre restant celle de Francis Ford Coppola, en 1992 ( https://bit.ly/33lmguE)
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« Dracula » n’est pas à priori un roman parlant d’épidémie. Mais le vampirisme n’est-il pas une variation fantastique du thème de la contagion virale ? Ce magnifique roman a envoûté plusieurs générations. Outre ses qualités littéraires, on peut trouver plusieurs clés à cette histoire gothique, celle du sexe ayant été souvent évoquée. La morsure du vampire à la gorge, engrenage de la soumission totale, est terriblement signifiante. Surtout dans cette société victorienne, hantée par les crimes de « Jack l’éventreur », et où l’on avance sur des patins, sur des parquets cirés, sans jamais faire allusion au corps, et au désir, un thème abordé pourtant à Vienne, par Freud. Il existe plusieurs façons d'être voyant, celle clinique et scientifique de Freud, et l'autre, lié au pouvoir spéculatif et d'imagination d'un l'écrivain aussi doué que Bram Stoker.
Le vampire offre parfois un visage séducteur, pourvu d’une bonne éducation, avant de livrer à son œuvre de prédation. Ce pouvoir de mutation et de contagion d’une victime à l’autre, se transformant à leur tour en monstre, c’est à dire en de nouveaux malades, n’est elle pas lié aussi au pouvoir d’un virus ?
Cantonné dans son château des carpathes, Dracula n’offrait guère qu’un danger relatif, connu des villageois, qui s’en prémunissaient en employant différents procédés, avec en premier l’évitement du château. Que celui-ci parvienne à quitter sa demeure et à s’installer à Londres, après avoir acheté une demeure, grâce aux bons soins d’un commis d’affaire qui est venu lui rendre visite, et le mal peut commencer à se répandre. Le vampire se servant de l’incognito que permet une grande cité pour augmenter ses prédations.
Il est à noter que Bram Stoker a incorporé à son histoire les dernières inventions de son époque, propulsant cette histoire gothique dans la modernité totale : Vapeur, train, télégraphe. Tout est utilisé pour la fuite. Le conte peut s’affranchir des problèmes d’intendance qui aurait rendu l’histoire sans doute impossible dans son déroulement auparavant.
Ainsi, ce sont les nouvelles technologies, et les commodités des transports, mettant en relation rapidement deux mondes différents, qui ont permis l’événement de Dracula et de ses encombrants bagages à Londres ! L’histoire du coronavirus, n’est pas très différente. Si la chauve souris, ressemblant à un vampire, est certainement l’animal par lequel s’est échappé le germe, n’accusons pas pourtant ce pauvre animal.
Les virus que ces oiseaux portent sont redoutables, mais si l’homme ne pratiquait pas la déforestation aux quatre coins du globe, ces animaux resteraient dans leur écosystème, et ne contamineraient pas d’autres animaux domestiques, arrivant sur les marchés chinois.
Ce ne sont plus les vapeurs ni les trains qui permettent maintenant aux espèces pathogènes de voyager à l’échelle de l’Europe, mais les avions gros porteurs qui mettent n’importe quelle ville du monde, à quelques heures d’une autre.
Ainsi arrive l’inimaginable ! Il y a quelques années déjà sont arrivés ainsi dans une poterie chinoise, les frelons asiatiques, qui sont de véritables vampires pour nos pauvres abeilles, qu’ils décapitent. Roman à plusieurs voix croisés et superposées, représentant les journaux intimes des différents protagonistes, « Dracula » peut être lu donc aussi comme un mise en garde devant les dangers de la mondialisation
Il faudra l’alliance d’hommes versés dans la connaissance du mal, assez énergiques, décidés, patients, solidaires, n’hésitant pas à mette leur vie en danger, pour venir à bout de ce vampire, qui aurait pu anéantir l’humanité, où la changer à jamais. Ce combat, n'est pas sans rappeler, celui des héros Camusiens qui s'investissent corps et âme, dans celui qui ronge la vie d'Oran, dans " La peste". Un roman qui est aussi une métaphore, comme le dira Camus : « La Peste, dont j’ai voulu qu’elle se lise sur plusieurs portées, a cependant comme contenu évident la lutte de la résistance européenne contre le nazisme. La preuve en est que cet ennemi qui n’est pas nommé, tout le monde l’a reconnu, et dans tous les pays d’Europe."
C’est donc aussi un roman mettant en valeur des lois morales, la détermination et la solidarité, du ressaisissement après l’épouvante. Il arrive qu’on s’aperçoive, plus de cent ans plus tard, combien un écrivain de fiction peut être un voyant, et qu’on peut tirer des leçons d’une fiction à priori fantastique.
« Le journal d’Anne Frank » (1944 ) œuvre posthume, qui n’était pas destiné à la publication. Au delà de l'histoire terrible, chacun est en empathie avec les moments d’euphorie et d’espoir de la jeune adolescente, au point de la faire revivre en lui.
Plus particulièrement encore dans les moments difficiles, propres à établir une identification. Car Anne Frank parle de peur, de désir, passant par des états d'âmes extrèmes, et opposés ! En ces temps de confinement, son journal est un livre sur la pandémie lui aussi. Pas du coronavirus, mais de la peste brune. Encore plus redoutable que sa forme bactérienne.
Car liée non à la nature, mais à notre responsabilité, dont on ne peut jamais s’extraire.
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Voilà donc quelques bouquins précieux. Bien d’autres romans sur les épidémies.
Sur la fièvre de la lecture, encore davantage !
La lecture est un acte de combat, et de sagesse, aussi, en ces temps incertains, où rester dans sa chambre, avec un bon livre, offrira tous les bénéfices du voyage, sans en avoir les inconvénients. On ne fait pas le résumé d’un livre, pour faire l’économie de la lecture ; on espère seulement encourager les autres à partager ce plaisir !
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