Littérature de banlieue : le poids d’une âme, de Mabrouck Rachedi
Premier roman surprise de la rentrée, Le poids d’une âme est un petit bijou.
Tout commence lors d’une journée comme une autre, à huit heures du matin. Le jeune Lounès se dépêche pour arriver à l’heure à l’école. Quelques heures plus tard, il se retrouve en prison, accusé d’un délit qu’il n’a pas commis, sous la menace d’une expulsion.
Comment en est-on arrivé là ? Par une succession de micro-événements qui, les uns isolés des autres, seraient sans conséquence, mais qui, ensemble, sont dévastateurs. L’engrenage d’un système qui s’emballe est une machine folle et incontrôlable.
Le livre a, paraît-il, été écrit avant les émeutes de banlieue de fin 2005. Si c’est le cas, Rachedi a été visionnaire, tant il a décrit avant l’heure l’escalade d’une banlieue où la misère et l’ennui sont des cocktails explosifs. Les détails - une cité qui s’embrase, un bus qui flambe, un guet-apens contre des policiers - reproduisent tout à fait la réalité des événements de 2005 - et, hélas de 2006.
Absolument passionnant, ce premier roman se lit comme un roman policier, d’une traite et avec avidité. Aventures, bouleversements, renversements de situation, le rythme du récit est haletant. La vérité du livre - et de son titre - se révèlent à la toute dernière ligne, un peu comme dans Sixième sens de Night Shyamalan.
Bien sûr, il y a un point de vue sur la banlieue, mais celui-ci n’est pas rébarbatif. Rachedi suggère là où d’autres montrent, démontrent, exposent, surexposent jusqu’à l’écoeurement. Aucune leçon n’est assénée, l’auteur propose un témoignage sans trop en faire. A la lecture du roman, on comprend mieux les tensions entre banlieusards et policiers, les problèmes d’une Justice privée de moyens, la détresse d’une jeunesse qui galère.
Mais il y a aussi l’espoir, celle d’une banlieue où tous se mobilisent pour un des leurs, et se révèlent aux autres et à eux-mêmes pour déplacer des montagnes. On y rencontre des talents gâchés d’êtres désabusés, qui, « à l’épreuve », se révèlent touchants et volontaires. Du frère érémiste Tarik, au chauffeur de bus Jean-Marc, en passant par la professeur de français Catherine, le journaliste, le juge, l’infirmière, tous vont dépasser leur cas personnel pour le bien commun - et finalement pour leur bien à eux. De la passion, l’enthousiasme, la volonté, l’unité qui créent un élan de solidarité, voilà l’un des messages du livre. Voilà aussi peut-être ce qui manque à nos banlieues.
Si Le poids d’une âme est avant tout un roman, il a un côté fable qui fait qu’il dépasse son sujet. Reprenant en exergue un récit de Lao Tseu, où un paysan commence par perdre un cheval ce qui, à la suite de péripéties diverses, va finir par sauver son fils, Rachedi illustre à merveille les caprices du destin. Comme Woody Allen dans Match point où le dénouement se joue à un lancer de bague, l’auteur souligne combien, entre bonheur et malheur, chance et malchance, tout ne tient qu’à un fil - où plutôt à une corde (je renvoie à l’épisode très original et très réussi sur la corde de Maurice Herzog, mais chut, je n’en écris pas plus).
Le style est d’une précision chirurgicale, fait de phrases et de chapitres courts. La plume et légère et souvent pleine d’humour. Par tous ses aspects, Le poids d’une âme est une réussite. Mabrouck Rachedi est un auteur à suivre.
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