Livre : Prisonnier en Autriche
Pierre-Marie Le Lous, de Guimaeg, dans le Finistère, est fait prisonnier par les Allemands en 1940 et envoyé, comme beaucoup de soldats français, travailler la terre sur le sol allemand pendant cinq années. Il a raconté cette période de sa vie, en breton, à Bernard Kabon, qui l’a mise sur le papier. Ce récit a paru en janvier 2006, en breton et en français, aux éditions Skol Vreizh sous le titre Prisonnier en Autriche (An amzer laeret en breton). Un témoignage intéressant et émouvant sur la vie quotidienne des soldats prisonniers, et aussi sur celle des familles d’agriculteurs chez qui ils travaillaient.
Pierre-Marie Le Lous est envoyé à Thaya, une commune du Nord de l’Autriche, pays annexé par l’Allemagne quelques années plus tôt. Agriculteur lui-même, il s’adapte, connaissant parfois mieux le travail que ses propres maîtres. Un groupe de prisonniers français travaille dans les fermes et est rassemblé chaque soir au “Commando”, une bâtisse où chacun mange et dort sous la garde, plutôt débonnaire semble-t-il, de quelques soldats allemands.
La grève d’un prisonnier
Pierre-Marie commence par travailler dans la ferme d’un paysan qu’il surnomme le bossu. Il s’y trouve en compagnie d’un autre Breton, de Locquirec celui-ci, Jean Guyomard. Mais le maître n’est pas facile et rend la vie impossible aux personnes qui travaillent avec lui. Il fouette même les travailleurs polonais réquisitionnés pour travailler en Allemagne, n’ose cependant pas le faire sur les deux Bretons.
Pierre-Marie décide alors de quitter cette ferme. Un jour, il reste au dortoir, au Commando, et demande à changer de patron. Le risque est grand d’être envoyé dans un camp de prisonniers où la vie est beaucoup plus rude. Les officiers sont envoyés dans ces camps : la nourriture y est rare. Mais un agriculteur se manifeste alors, Joseph Schreiber : il a besoin de main d’oeuvre et prend Pierre-Marie chez lui. Là, tout change, les relations avec la famille Schreiber sont bonnes. Les fils de la maison sont soldats sur le front, l’un est mort déjà. Le portrait d’Hitler a été rangé depuis longtemps chez les Schreiber, alors qu’il est obligatoire de le mettre en évidence dans chaque maison. Le maître écoute, dans la cave, la BBC, ce qui est formellement interdit. Du coup, Pierre-Marie écoute également la BBC, en français, et échange des nouvelles avec les autres prisonniers...
Jean Guyomard : deux années au trou !
Dans la ferme du bossu, les choses s’aggravent. Jean Guyomard décide lui aussi de partir, mais il est envoyé dans un camp, d’où il s’évade. Il décide de revenir se cacher à Thaya, pensant que les Allemands ne viendront pas le chercher là. Traverser l’Allemagne à pied pour rentrer en Bretagne lui paraît impossible. Il creuse un trou dans un bois, qui devient une sorte d’habitation. Il peut y faire du feu et lire les livres que ses camarades lui fournissent. Ils lui donnent également de la nourriture, des vêtements, des médicaments. Nous sommes en mai 1943. Jean Guyomard ne le sait pas encore, mais il devra passer deux ans dans ce trou, dont deux hivers rigoureux. Ses vêtements sont lavés avec ceux de Pierre-Marie par Johanna Schreiber, la patronne de la ferme, qui n’en sait rien.
Comme un de ses fils
Les soldats français, bien que libres de leurs mouvements dans la journée, sont de vrais prisonniers, obligés de rentrer le soir au Commando, éloignés de leurs familles, ne sachant pas quand ils les reverraient ni même s’ils les reverraient... Mais les relations avec les civils allemands ne sont pas forcément mauvaises. A force de travailler ensemble, une véritable amitié se forge entre Pierre-Marie et Joseph Schreiber. En mai 1945, le prisonnier cesse de travailler dans la ferme. En le quittant, Joseph lui dit, ému et les larmes aux yeux, qu’il le considère comme un de ses fils.
L’Armée rouge arrive et occupe la région. Pierre-Marie Le Lous signale des viols et des vols commis par les soldats. Le retour prend encore un mois et demi, mais Pierre-Marie finit par retrouver sa femme et son pays. Jean Guyomard également. Ni l’autre ni l’autre ne reprendra contact avec l’Autriche. Jean meurt en 1964 alors que Pierre-Marie vit jusqu’au début de 2006. Son témoignage est celui d’une jeunesse volée par la guerre. Mais il montre aussi une autre facette de ces événements terribles : deux belles histoires d’amitié.
Christian Le Meut
Prisonnier en Autriche, la parenthèse de Thaya, Jean-Marie Le Lous et Bernard Cabon, Ed. Skol Vreizh (40 quai de Léon, 29600 Morlaix), 20 €. Tél. 02 98 62 17 20.
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