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Livret personnel de compétences

Pascal Dupré, professeur des écoles, membre du C.A. du GRIP, explique dans une lettre destinée aux parents pourquoi il ne remplira pas la fiche d'attestation de compétences. 

Madame, Monsieur,

 

 Nous arrivons en fin d'année scolaire et il est temps pour moi, comme pour mes collègues, de faire le bilan annuel du travail de votre enfant. L'administration me demande de vous communiquer la page d'attestation de compétences ci-jointe après l'avoir remplie (note de service n° 2012-154 du 24-9-2012).

 

 Je me dois donc de la porter à votre connaissance. Toutefois, pour des raisons qui touchent à ma conception du métier de professeur des écoles, je ne la remplirai pas.

 

 Depuis plusieurs années, la nature même de ce métier a été affectée par une « évaluationnite » aiguë, fondée sur les « compétences », qui a détourné l'école de sa mission d'instruction.

 

 Traditionnellement, le métier d’instituteur consistait pour une part à apprécier régulièrement par une note la réussite de ses élèves – et par là même l’efficacité de son enseignement – à l’occasion d’exercices ponctuels comme les dictées, les résolutions de problèmes, et tous autres exercices mobilisant des connaissances répertoriées dans le programme. À ce mode d’évaluation, compréhensible par tous, s'est substituée une évaluation par compétences, dénuée de sens, et graduée dans un premier temps en quatre paliers : « non-acquis, en cours d'acquisition, à renforcer, acquis », puis en trois : « non acquis, en cours d'acquisition, acquis ». C’était le temps de l’ancien livret compétentiel avec ses 110 cases à cocher, vite appelé « l’usine à cases. »

 Aujourd’hui, l’institution, sans doute dans une louable volonté de simplification, ne nous demande plus que d’apposer une date en face de chacune des sept compétences retenues par elle pour mesurer la réussite de votre enfant :

 Maîtrise de la langue française

 Pratique d'une langue vivante étrangère

 Principaux éléments de mathématiques

 Culture scientifique et technologique

 Maîtrise des techniques usuelles de l'information et de la communication

 Culture humaniste

 Compétences sociales et civiques

 Autonomie et initiative

 

 Il est donc désormais en mon pouvoir de décréter d'un coup de tampon dateur que votre enfant « maîtrise la langue française » depuis le 15 juin 2013, même s’il oublie ou inverse des lettres, néglige les accords grammaticaux, confond l'infinitif et le participe passé, le futur et le conditionnel... Le ministère précisant que la validation de la compétence concerne les élèves « ne rencontrant pas de difficultés particulières » chacun sera rassuré. En effet, les difficultés que je viens de citer n'ont rien de « particulier » : elles ne sauraient justifier que je m’abstienne du coup de tampon préconisé !

 Cette fiche d'attestation de compétences est un outil merveilleux qui fait disparaître les réalités de l’enseignement et la raison d’être de celui-ci : l’instruction des enfants.

 

 Mais alors, quid de ceux qui rencontrent « des difficultés particulières » ? Pour ceux-là, je devrais renseigner un livret qui n’est pas communiqué aux parents, sa complexité ésotérique le réservant sans doute à des professionnels de l’interprétation. La seule rubrique « maîtrise de la langue » comporte, par exemple, une trentaine de cases. On y retrouve bien sûr quelques rubriques relatives aux contenus du programme, mais un flou artistique y demeure savamment entretenu. Qu’on en juge.

 Que signifient, s’agissant d’élèves rencontrant des « difficultés particulières » les critères de jugement suivants :

Palier 1 (CE1) : Utiliser ses connaissances pour mieux écrire un texte court

Palier 2 (CM2) : Utiliser ses connaissances pour réfléchir sur un texte, mieux l’écrire

Palier 3 (Collège) : Utiliser ses capacités de raisonnement, ses connaissances sur la langue, savoir faire appel à des outils variés pour améliorer son texte ?

 

 La logique de l’évaluation par compétences est issue du domaine de l'entreprise où elle se combine avec le concept fluctuant d’employabilité. Les exemples cités montrent qu'elle n’est en rien compatible avec la fonction de l’école qui est d’inculquer des connaissances au plus grand nombre. Appliquée au domaine éducatif, elle ouvre la porte à toutes les dérives. Ainsi ai-je à valider, dans la rubrique « Compétences sociales et civiques », la case « Avoir conscience de la dignité de la personne humaine et en tirer les conséquences au quotidien ». Pensez-vous vraiment que je sois apte à juger si votre enfant « a conscience de la dignité humaine » et à l'écrire noir sur blanc dans un document administratif qui le suivra toute sa scolarité ?

 

 On avancera que ce livret est utile pour unifier les systèmes éducatifs de l'Europe, pour favoriser - encore que j’en doute - l'entrée des jeunes dans le monde de l'entreprise, pour gérer les flux de population, pour maintenir l'ordre social..., Cependant j'ai le devoir de dire, en tant que professeur des écoles, ce qu'il est au plan pédagogique : une dangereuse imposture. Voilà pourquoi je ne le remplirai pas.

 

Pascal Dupré, juin 2013


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4 réactions à cet article    


  • mouais 14 juin 2013 09:27

    Evidemment je suis d’accord, et j’invite tous les professeurs d’école à en faire autant, et tous les parents d’élèves à écrire au ministre que le LPC comme bien d’autres mesures, sont nuisibles.


    • viva 14 juin 2013 19:09

      Nous n’avons pas le choix, il faut savoir aussi que si les compétences ne sont pas validés, l’élève ne peux pas avoir le brevet des collèges donc finalement tout le monde est validé.


      Du point de vu de la morale, lorsque nous ne savons pas si la compétence est acquise tellement la question est floue, et bien nous validons par défaut ce qui est facile.

      Parfois cela est plus dur, lorsque l’on a des doutes, la aussi l’interprétation permettra de valider tout de même mais sans conviction.



      • mouais 14 juin 2013 22:43

        Viva a écrit :
        « si les compétences ne sont pas validés, l’élève ne peux pas avoir le brevet des collèges »
        avez-vous demandé au chef d’établissement le texte réglementaire qui dit ça ?
        Parce qu’il est très probable que c’est seulement pour faire pression pour améliorer les résultats.
        D’autre part, vu les sujets donnés au brevet, les barèmes et les pressions sur les correcteurs, il faut vraiment le faire exprès pour ne pas l’avoir.
        Et donc (comme le bac) il ne prouve rien, que par défaut. Comme les compétences.


        • ricoxy ricoxy 14 juin 2013 22:59

          « Pour que l’école dure, amis, donnez ! »

          Ah ! l’heureux temps des instits en col dur amidonné, et des écoliers en blouse grise... Mais vous le savez bien : « La mondialisation économique, politique et culturelle rend obsolète l’institution implantée localement et ancrée dans une culture déterminée que l’on appelle l’École et, en même temps qu’elle, l’enseignant ».

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