Lorsque De Gaulle organisait le triomphe de la collaboration économique et des enrichis du marché noir
Démissionnaire, une nouvelle fois, le 18 janvier 1945, alors qu’il l’avait été déjà ‒ et sans conséquence ‒ le 15 mars 1944, Pierre Mendès France ne quitte toujours pas le Gouvernement… à la demande de Charles de Gaulle.
Quand arrive sa seizième émission radiophonique, le 3 mars 1945, toutes les perspectives de sanctionner les enrichis de la collaboration économique avec l’ennemi et du marché noir ont disparu. Il ne reste plus, des propositions économiques que Mendès France a pu faire, que celle d’un plan national de reconstruction et de redressement de la France inspiré du modèle soviétique des plans quinquennaux. Mais il sait déjà qu’il ne s’agit plus que d’une fiction.
À quoi donc le ministre de l’Économie nationale, démissionnaire depuis un tout petit peu moins d’un an (!), va-t-il pouvoir utiliser son temps de parole ? Quelle tâche doit-il accomplir au profit des manœuvres souterraines de Charles de Gaulle avec le camp états‒unien et ses deux représentants de haut niveau : René Pleven et, surtout, Jean Monnet ? Écoutons-le :
« Ce qui est nouveau, peut‒être, c’est ceci : on veut être sûr que le travail sert, non pas le profit de quelques‒uns, mais l’intérêt général, l’intérêt général seul. » (Œuvres complètes, II, page 105)
Mais la lettre que Pierre Mendès France a remise le jour du dépôt de sa seconde démission (18 janvier 1945) ne déclarait-elle pas ceci :
« Dans les textes adoptés en septembre [1944], j’ai critiqué, par contre, dès leur présentation, certaines modalités qui me paraissent dangereuses ‒ notamment celles qui, en perpétuant les inégalités et les injustices imposées par les autorités allemandes, contenaient en germes d’innombrables revendications pour l’avenir. » ? (page 116)
L’avenir ?... Voici ce qu’en dit cette même lettre de démission :
« La déception du pays sera grande lorsqu’il verra que l’immense majorité des nouveaux riches ‒ coupables ou non ‒ aura échappé à toute sanction et à toute reprise. » (page 117)
Et pourtant, c’est bien un représentant du Gouvernement ‒ dont personne ne sait, dans la population, qu’il est démissionnaire depuis un an ‒ qui vient nous susurrer à l’oreille, dans son émission du 3 mars 1945 :
« La garantie que le travail de chacun servira intégralement au bien de tous doit aussi inspirer aux travailleurs l’ardeur, l’émulation, l’enthousiasme pour la réussite du plan de production de chaque entreprise, pour le succès du Plan national de reconstruction et de redressement de la France. » (page 105)
Entrons maintenant dans le détail de ce que Pierre Mendès France sait pertinemment au moment où il intervient sur les ondes… Car sa lettre de démission est un véritable réquisitoire contre un De Gaulle que, par ailleurs, il sert avec la plus grande humilité… Elle montre la volonté délibérée qui animait celui-ci de conduire la France, dès la Libération, vers l’inflation monétaire qu’il savait si cruelle pour les milieux populaires, lui qui l’avait vue opérer ses ravages en Pologne autrefois :
« M. Lepercq avait déclaré que l’échange des billets serait possible dès le 15 décembre. M. Pleven assure qu’il ne le deviendra qu’en mars ou en avril par suite du manque de billets. » (page 118)
Inutile de conserver la moindre illusion :
« Les raisons ne manquent jamais pour proposer un ajournement. » (page 118)
Ainsi :
« Un jour viendra enfin où l’on pourra invoquer le long temps écoulé depuis la Libération pour justifier un abandon définitif. » (page 118)
Pendant ce temps, la concentration des capitaux, induite par cette période d’intense accumulation primitive offerte par l’occupation allemande et les crimes qui allaient avec, produira ses effets :
« Chaque jour perdu fournit aux profiteurs du désastre de nouvelles occasions de dissimuler leurs avoirs. » (page 119)
Et voilà où réside le grand secret de la politique économique gaulliste au temps de la Libération. On ne peut être plus clair. Or, Pierre Mendès France sait très bien de quoi il parle, et à quel crime contre le peuple de France il a tendu la main, en proférant de si beaux discours sur la franchise en politique qui lui valent, aujourd’hui encore, de passer pour l’homme politique français le plus honnête de la seconde moitié du vingtième siècle.
La preuve est ici (lettre de démission du 18 janvier 1945 adressée à Charles de Gaulle) :
« Je me demande d’ailleurs comment, dans le système préconisé par M. Pleven et qui exclut le blocage, sauf dans une mesure insignifiante, pourrait être réalisé le recensement des avoirs, qui doit permettre d’asseoir la taxe sur la fortune et de rendre effective la reprise des profits illicites. Sans blocage en effet, l’administration est dans l’incapacité absolue d’empêcher les gros détenteurs de répartir leurs avoirs ; sans blocage, elle ne peut pas contrôler les identités, vérifier les fausses cartes, démasquer les prête‒noms. Sans blocage, les profiteurs comme les agents de l’ennemi disposent de facilités d’évasion pratiquement illimitées. » (page 119)
Aujourd’hui, c’est à la Constitution de 1958 de pérenniser, autant que faire se peut, les systèmes de spoliation des richesses au profit d’une toute petite minorité, qui n’est pas nécessairement française, bien sûr… Ah, ce Jean Monnet ! Ah, ce commissariat au Plan ! Ah, cette Europe allemande… 1958, encore et toujours : Constitution et Marché commun.
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