Lost in la traduzione
Que ce soit dans n’importe quelle partie du globe, j’aime le côté décalage que l’on peut ressentir dès lors que l’on ne maîtrise pas les codes locaux (pas besoin d’aller bien loin d’ailleurs, il me suffit de parler à ma gardienne pour m’apercevoir du gouffre qui nous sépare des gens que l’on est susceptible de croiser chaque jour – et Dieu sait que je suis susceptible). Dit comme ça, cela peut paraître complètement con ou totalement cliché (l’un n’excluant pas l’autre d’ailleurs), cependant j’avoue connaître toujours la même joie enfantine à me sentir « ailleurs ».
Bref, la semaine dernière, je me suis rendu à une conférence en Toscane. En plus du côté « décalage », j’aime bien voyager, ça me donne l’impression d’avoir des choses à faire. Surtout pour aller à un truc d’une utilité extrême comme une conférence.
Une conférence est un lieu fabuleux qui n’ampute pas vos jours de congés mais où vous bouffez à l’œil (sans parler de boire) tout en gagnant quelques miles Flying Blue et en regardant mollement quelques présentations (pardon, quelques slides) à l’intérêt dépassant à peine celui d’un documentaire sur les nouvelles normes comptables Bruxelloises.
Evidemment, ce n’est pas du tout ce que l’on raconte à sa chef (« si on n’y va pas, on va passer pour des guignols ») et le seul challenge auquel on est confronté consiste à trouver ce qu’on va raconter à notre retour :
- Les pâtes étaient super bonnes : ko
- J’ai récupéré un super slideshow sur le « debt recovery » : ok
Pour noyer le poisson et passer pour un bon élément, l’astuce ultime est de ne jamais oublier de ramener une bouteille de vin locale. Ça fait à la fois connaisseur et mec sensible, et ta chef se dira dans tous les cas qu’elle n’a pas tout perdu en t’envoyant là-bas.
Mais cessons de nous disperser aux quatre vents et revenons à cette histoire de décalage.
Beaucoup de bruit pour pas grand chose
En Italie, y’a beaucoup de camions qui font « pouêt » et assez peu de clignotants. Un peu comme on croise beaucoup de femmes à moitié à poils sur les paquets de Special K au chocolat et finalement assez peu de chocolat.
On ne sait jamais trop où on va rencontrer un Italien sur la route et pourtant il s’exprime. Le problème est qu’il n’utilise pas les ustensiles prévus à cet effet de manche (ou plutôt de levier).
En parlant de l’autochtone d’ailleurs, même lorsqu’il est loin de l’asphalte, il est un peu rebelle. Il ne respecte rien, un peu comme le français mais en pire. L’italien est atteint d’une hypotrophie de la glande du respect de l’ordre (pourtant, la glande il connaît). On le dit volubile, je confirme qu’il est pénible. Savant mélange entre un malade du syndrome de la tourette et un clown sous acide, il fait la synthèse entre l’agitation et l’absence d’information. Il est le silence fait bruit.
En parlant de ça, ça faisait dix minutes que j’étais en Toscane qu’il y avait assez peu de doute sur le pays où j’avais atterri (au cas où un doute m’aurait étreint) : le chauffeur du bus a décroché son portable qu’il a collé à l’oreille tout en négociant des ronds-points avec la main restante (qu’il lui arrivait, malgré tout, de remuer en tout sens lorsque la conversation l’exigeait – ben oui, l’autre était prise par le téléphone, forcément).
Autant dire que j’étais pas des masses rassuré.
Et la bouffe ?
On m’avait dit : tu verras la bouffe, c’est top. Bon, sans doute, mais le premier restaurant où j’ai posé mes fesses n’avait pas de menu en anglais ni de serveuses polyglottes. Donc, comme mon niveau d’italien est à peu près équivalent à ma maîtrise du point de croix, j’ai pris au hasard et mon ventre cher.
Fort de cet échec, j’étais motivé au petit-déjeuner pour ne pas me tromper et prendre des choses ‘internationales’ (genre : fruits, céréales).
Las, l’expresso avait la consistance d’un sirop Teisseire à tel point que quand la machine a eu fini de le verser, j’ai interpellé le serveur en lui disant que la machine était à court d’eau (en tout cas, c’est ce que j’aurais voulu dire si j’avais parlé rital). J’en suis arrivé à la conclusion qu’il fallait aligner 3 expressos et un ristretto (bonne formule pour avoir une taille de café normale). Quand j’ai commencé, 5 minutes plus tard, à tressauter sur une place comme si j’avais la bite dans la prise, j’ai compris que le truc était sacrément concentré.
A quoi bon finalement ?
Oui, à quoi bon passer deux jours dans une contrée voisine si ce n’est pour rien en retirer ? Fort de cette interrogation, je me suis à écouter distraitement les présentations de mes collègues internationaux. J’avoue que j’ai bien aimé la présentation de la petite espagnole anorexique. Ça parlait de process et de modélisation. Ça avait l’air sympa. Après, j’ai bouffé des machins à la crème. Ensuite, y’a un hongrois qui travaille aux USA qui a parlé. J’ai pas tout compris (au début, j’ai cru qu’il parlait italien, j’ai mis le casque pour la traduction, mais la traductrice parlait italien, alors j’ai enlevé le casque et en me concentrant très fort, j’ai nettement distingué une sorte d’anglais mâchouillé), par contre les couleurs étaient jolies.
Après, j’ai bouffé des pâtes (je crois avoir bien compris le concept de « s’empâter »), puis j’ai bu du vin. Ensuite, on a été mangé et j’ai bu du vin. Après, on a été boire un coup pour pas se séparer comme ça.
Le reste est assez flou.
L’Italie, une maladie contagieuse ?
Evidemment, tout cela est insignifiant sur l’échelle de l’exotisme, si ce n’est qu’au bout de deux jours, je ne comprenais toujours rien à ce qu’on me racontait, bien que je commençasse à parler avec les mains. C’est d’ailleurs le premier signe d’italisation. Bientôt, je savais que j’allais connaîtras tous les noms de pâte et la matrice de compatibilité avec les sauces, ça faisait pas un pli. Je me mettrais à reluquer les filles dans la rue comme si c’était des putes et je sourirais même en me coinçant une burne dans la braguette.
C’est que l’Italien possède cette faculté unique d’être sympa et avenant même dans les pires moments (vasectomie, contrôle fiscal, etc.), comme s’il était constamment malade, le générateur d’émotions bloqué sur ‘imbécile heureux’.
Alors, quand, vendredi soir, j’ai commencé à chier des trucs en forme de tagliatelles et à me garer sur les passages piétons en engueulant le passant que je venais d’écraser avec le sourire, j’ai compris qu’il était temps de repartir.
Faudrait voir à pas trop déconner quand même. Trop sourire, ça file des rides, tout le monde sait ça.
Le truc con, c’est que dans la précipitation, j’ai oublié de ramener la bouteille de vin (j’ai pas oublié de boire par contre, merci bien).
L’erreur de débutant. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir raconter à ma chef ?
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