LREM : la gadgétisation de la politique
Emanation d'un homme politique pas comme les autres, Emmanuel Macron, La République en Marche se fait une obligation de n'être pas un mouvement politique comme les autres. Mais lorsqu'on se penche sur ses particularités, on a le sentiment qu'on y cherche surtout à balader les adhérents avec des gadgets qui les tiennent éloignés des options de la « grande politique », apanage exclusif du chef de l’Etat.
Puérile dans son artificialité, une des toutes premières préoccupations des responsables du mouvement fut de le doter d'un vocabulaire « pas comme les autres ». On y a donc un « bureau exécutif » en lieu et place d'un bureau politique, des « référents » plutôt que des responsables départementaux, des « comités » plutôt que des sections, un « Conseil » plutôt qu'un Congrès, une « Charte » plutôt que des statuts, un « Délégué général » plutôt qu'un président ou un secrétaire général. Et des « événements » en veux-tu en voilà !
La vie du mouvement, c’est une foultitude ininterrompue d'événements : en fait, tout y est « événement », même si le 20heures de TF1 et de France 2 n’en parlent pas.
Un tractage à Gournay-sur-Marne (93) ou à la foire de Ste-Catherine, à Altkirch (68) est un « événement », le nettoyage du bois de Vincennes (75012) est un « événement », le Comité et Atelier « Les communications d'un Comité : attentes et actions, top-down et bottom-up », à Fribourg (Suisse) est un « événement », un porte-à-porte/boîtage à Tarascon-sur-Ariège et à Quié (09), est un « événement », un « Focus Madeleine (let's talk about it, we need you) », à La Madeleine (59) est un « événement », une réunion du comité de Beaurepaire (38), est un « événement », une soirée dansante du comité de Châtellerault (86) est un « événement », l'inauguration de la permanence de Yolaine de Courson, députée de la 4e circonscription de la Côte d'Or, est un « événement », la Fête annuelle des châtaignes organisée, le 28 octobre, par le Comité de Saint-Dalmas-le-Selvage (06), était un « événement », auquel ont participé 20 personnes.
La réunion du Comité de Noyal-Châtillon-sur-Seiche (35) entre dans la catégorie des « événements innovants », tout comme l'Apéritif de Noël pour les Adhérents et Sympathisants de la République en Marche 26 (Drôme) et Marcq en marche, organisé par le comité de Marcq-en-Bareuil (59). En chiffres, la REM, ce sont des centaines d' « événements » par semaine - la carte afférente en annonce quelque 1200, certains à venir, d’autres ayant déjà eu lieu - dont il est précisé qu'ils sont ouverts aux adhérents et aux non-adhérents. Et gratuits*
Démarrage du premier MOOC de la REM
Candidat unique imposé par l'Elysée, Christophe Castaner a été élu Délégué général du mouvement, par le Conseil réuni à Chassieu (69), le samedi 18 novembre. Dans son discours d'investiture, l'après-midi, il a montré d’emblée qu'il entendait poursuivre dans la voie de la gadgétisation, sans tenir aucun compte d'une contestation interne ayant entraîné pas mal de démissions individuelles et celle, plus spectaculaire, d'un groupe de 100 démocrates, en même temps qu'une démobilisation des militants.
Alors que les mécontents reprochent au mouvement son manque de démocratie interne, de transparence, de considération pour les militants et de "corpus idéologique", Castaner s'est contenté de dire : « Je sais que certains de nos adhérents se sont posés et se posent encore des questions. Des questions sur le fonctionnement de notre mouvement et de nos instances (...) Ces sujets ne sont pas tabous, et tout ce qui doit être amélioré le sera, démocratiquement. » Point !
Dans cette attente, le lundi 20 novembre a démarré le premier MOOC (Massive Open Online Course) de la REM, "...type ouvert de formation à distance capable d'accueillir un grand nombre de participants", nous dit Wikipedia. Ce premier MOOC est intitulé Agir près de chez moi, il est étalé sur cinq semaines, et il ne devrait pas accaparer les militants plus d'une heure par semaine, selon le plan suivant :
Semaine 1 : Comprendre qui fait quoi sur mon territoire et identifier les acteurs en place
Semaine 2 : Identifier les problèmes de mon territoire sur lesquels j'ai envie de m'investir
Semaine 3 : Trouver le projet local pour répondre au problème sur lequel je veux agir
Semaine 4 : Définir mon plan d'action et poser la première pierre de mon projet
Semaine 5 : Donner un cadre à mon projet sur la durée et explorer l'univers des suites possibles
Il est ensuite question de l'attribution d'un certificat officiel de la République en Marche, sans plus de précisions, de l'accompagnement des meilleurs projets par le mouvement, et de leur promotion au niveau national. Il ne reste donc plus, ici aussi, qu'à attendre
Devenir un citoyen averti en quelques clics
Comme ce MOOC ne devrait pas, selon les organisateurs, accaparer les militants plus d'une heure par semaine, il est possible de s'inscrire simultanément, sur Le Campus, à un ou deux microlearning - il n'y en a que deux pour l'instant, Tout savoir sur l'argent public et Pourquoi l'Europe ? – afin de devenir « un citoyen averti en quelques clics », au terme d'un parcours « de seize leçons de moins de huit minutes chacune », est-il encore précisé.
Ne reculant devant aucun sacrifice, nous avons tenté de nous inscrire pour suivre le parcours en question - c'est indispensable pour passer aux leçons 2 et suivantes -, en dépit de sept tentatives sur deux jours, avec deux identités différentes, nous n'avons jamais reçu l'e-mail nous permettant de valider notre inscription. Populairement dit, ça la fout mal.
Voici tout de même quelques informations complémentaires. Le parcours se décompose en quatre chapitres de quatre leçons chacun. Il comporte une centaine de notions – exemples « L'Assemblée nationale est créée en 1789, et déclare nuls tous les impôts préexistants. » ou « L’idée d’une Europe unifiée a été pensée très tôt », ça s’adresse donc à des adultes - que l’élève peut décider d’ajouter à son savoir, ou pas. Dans ce cas, la notion ne sera pas retenue lors de l’élaboration des questions d’un quiz final dont dépend l’attribution, ou non, d’un Certificat de réussite, orné de gratifiantes feuilles de laurier.
Sur la page Campus, on trouve également des informations fort utiles pour ceux qui souhaiteraient participer au MOOC, sans avoir, a priori, d’idée bien précise, telles que « des initiatives citoyennes innovantes, des cours et des conseils venus d’un peu partout en France pour vous aider à trouver l’inspiration et à lancer votre projet. » Quelques exemples, issus de la « société civile », suffiront à illustrer l’infinité des domaines dans lesquels les Marcheurs sont libres de s’exprimer :
- Collecter des invendus alimentaires à vélo
- Philosopher avec des enfants
- Instaurer un dialogue respectueux entre auteurs et victimes d’infraction pénale
- Ouvrir un bar solidaire
- Faire du numérique une opportunité pour tous
- Se régaler à petits prix et anti-gaspi
- Faciliter l’intégration des réfugiés
- Libérer la parole grâce au théâtre forum
Et tout cela sans quitter la ligne, officieuse, du « parti macronien (qui) recourt aux outils de « démocratie participative », à défaut de la pratiquer en interne. » selon la formule, sévère mais juste, de Nathalie Raulin, dans Libération du 17 novembre.
« Partir dans tous les sens »
Christophe Castaner annonçait en personne, avant même sa nomination, le lancement d’amples discussions sur « d’autres sujets brûlants, comme l’égalité professionnelle ou le harcèlement », rien de bien surprenant là non plus, avec des thèmes bateau et des prises de position connues d’avance, qui n’apporteront rien ni au pays ni au mouvement, tout ayant été dit sur ces sujets depuis longtemps.
Le 17 novembre, dans Les Echos, le politologue Olivier Rouquan, chercheur associé au Centre d'études et de recherches de sciences administratives et politiques, s’interrogeait, sans excès d’optimisme, à propos de « la capacité d'En marche à tenir sa promesse de régénération démocratique » :
Macron « a du mal dans la phase actuelle, parce qu'il y a un hiatus entre la dynamique de campagne, qui a été un vrai succès fondé sur des promesses de renouvellement de la pratique démocratique partagées par nombre de marcheurs, et la pratique actuelle du pouvoir très concentrée autour d'un réseau technocratique qui converge vers l'Elysée. C'est donc inquiétant pour ce parti, parce que l'aspiration à la régénération démocratique fait partie du code génétique d'En marche. Si le doute voire la contradiction perdure sur ce point, cela pourrait devenir très problématique. »
Reste donc à savoir si les hochets et les « événements » offerts à la gnaque présumée des militants, sauront convaincre, tout en restant fort éloignés des attentes et revendications de ceux qui ont cru à un renouvellement complet des mœurs et pratiques de la politique.
En fait de révolution, selon la formule de Castaner rapportée par la journaliste Ghislaine Ottenheimer, dans Les Echos du 21 novembre : « Cela continuera à partir dans tous les sens ». Voilà qui ne devrait pas faire plaisir à ces militants qui, à l’instar de Corine Rossignol, co-animatrice d'un comité En Marche du Roannais, souhaitent que le mouvement ne soit « pas tout et n’importe quoi ».
* Tout est gratuit à la République en marche, mouvement sans cotisations, mais quand même pas pour tout le monde. On pouvait lire dans le Journal du dimanche du 19 novembre : « En vertu de la loi du 11 mars 1988, qui calcule les donations de l’Etat accordées aux formations politiques selon le nombre de voix et de parlementaires élus, LREM devrait recevoir près de 21 millions d’euros par an d’aides publiques. Un pactole de plus de 100 millions d’euros sur la mandature qui devra se suffire à lui-même ».
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