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Lumpen, Berlin 1920 Europe 2022

A Chalot 

la lucha continua !

nous vivons dans l’hiver, entre deux rangées de voitures cartons sales étalés au sol où, comme taches encore plus sales, flottent nos haillons, nos sacs, ce qu’il reste, parfois, de notre vie d’avant,

nous vivons dans l’hiver, contreseings de l’injurieuse misère, héritiers affalés de la démangeaison bourgeoise, enfants perdus du progrès,

nous vivons dans l’hiver, sous les creux abandonnés des villes affamées, assis, emmitouflés, regardant virevolter les lumières assassines des machines

nous vivons dans l’hiver, à des milliers d’années lumières du temps disparate qui nourrit les âmes bien nées

nous vivons dans l’hiver, comme feuilles sur le fleuve, emportés par les courants des voix affables et des rires gras et froids dégoulinants des écrans

nous vivons dans l’hiver, remontant le temps sans peaux de bête, sans feu, ni forêt de hêtre, dans la trame asphyxiée des déserts urbains

nous vivons dans l’hiver, dans le confinement assourdi et moite de l’humidité ambiante, éponges pathétiques d’un monde parallèle où rien ne finit ni jamais ne commence

nous vivons dans l’hiver, prés des falaises abruptes et miroitantes du monde de demain, éreintés hagards, pusillanimes, nous accrochant comme à écueils à nos sacs de misère

nous vivons dans l’hiver, naviguant au grès opportun des distributions, de la promesse d’une soupe chaude ou d’un lit sans pou, sourires contraints balafrant nos figures

nous vivons dans l’hiver, nous vivons a genoux pour quelques pièces, un mégot, un morceau de monde, jetés à notre pâture par des mains aux yeux de chien

nous vivons dans l’hiver, sans attendre à demain que sourie la fortune, fortune fortune, petit bout de ciel bleu entre deux murs gris sales et puants

nous vivons dans l’hiver, la saison tortionnaire qui brise les corps aussi sûrement qu’un junte, maîtresse discourtoise au blanc linceul

nous vivons dans l’hiver, seul ou en meute, criants pour rien, repliés comme des canifs dans ces lieux aux relents d’urine et de merde

nous vivons dans l’hiver, les yeux fixés sur les chaussures qui défilent, écrasant nos espoirs comme océan envoyant aux brisants un bateau de migrants

nous vivons dans l’hiver, où l’écume blanche et glacée, d’heures en heures, ne forme plus qu’un amas grisâtre et sans vie d’où surnagent, ça et là, les couleurs encore vives d’emballages de barres chocolatées , de capotes usagées, de paquets de clopes vides et de canettes écrasées

nous vivons dans l’hiver, emportant nos fardeaux, nos fortunes de bric, nos trésors de broc, où restent parfois quelques images moisies, dernier lien à notre humanité, défendus chèrement , méprisés pleinement

nous vivons dans l’hiver, quand même les rats se cachent, qu’on plaint plus nos chiens que nous, de cette tendresse désarmante et suffisante

nous vivons dans l’hiver, quand d’autres glissent sur les pentes damnés de nos enfers individuels, remontants, descendants, encore et encore

nous vivons dans l’hiver, loin des pays de glace, de la toundra, des rennes, leurs forthunes, s’imposant à nos âmes comme un fouet, déciment même l’espoir de retour

nous vivons dans l’hiver, et c’est là que nous mourrons, ramassés au matin par le camion rouge d’enfants apeurés

nous vivons dans l’hiver, dans des châteaux forts de carton, sous des ponts d’autoroute pareils à des falaises , dans le vacarme incessant des camions fourmi

nous vivons dans l’hiver, nous sommes ceux qu’on invite à rester, oui à rester loin de l’arrière cour, de peur d’une contagion malencontreuse

nous vivons dans l’hiver et ne serons même pas des souvenirs pour ceux qui nous ont connu, disparaissant comme disparaîtront nos effets, par aumône républicaine, fils et filles de rien, dans un trou, un brasier, un dernier rond de fumée

nous vivons dans l’hiver, sous le beau ciel d’été, quand pour sable doré, sous nos culs réchauffés, le bitume sert de canapé, on meurt aussi très bien en Juillet

nous vivons dans l’hiver, accrochés les uns aux autres, s’aimant, se détestant , se cherchant , se chassant, tour à tour, violence, coups de pinard et de sang, gueules cassées autour d’une soupe

nous vivons dans l’hiver et il vit en nous, dans les sentiments qui s’en vont goutte à goutte ou à torrent pour ne plus voir que soi dans le miroir de nos âmes

nous vivons dans l’hiver, du matin au matin, entre deux portes, sous des monceaux de cartons, chassés, traqués, insultés, la nuit n’est jamais notre amie

nous vivons dans l’hiver, oubliés, ramassés dans un coin, nous sommes un élément du décor auquel on s’habitue, un morceau de mobilier urbain qu’on ignore, un amas de déchets

nous vivons dans l’hiver et nous mourrons sous le fier soleil de Mai à coté de gallinacées portant de jolies robes aux motifs printaniers, riantes, énervées, agacées, rayonnantes,,, absentes, le nez collé à leurs psychés électroniques

nous vivons dans l’hiver, sans laisser d’autres traces sur le noir goudron que les pas hésitants qui nous conduisent d’un courant d’air à un autre, d’une grille de parking à celle d’un dégoût

nous vivons dans l’hiver et, parfois, quand le frimas traverse la frime, on voit nos mines atterrées mais vite enterrées au journal télévisé

nous vivons dans l’hiver, comme d’autres s’égarent en mer sur des boudins en caoutchouc, traversant des désert pour en trouver un autre

nous vivons dans l’hiver, frôlant la vie comme on frôle la fortune, espérant dans le sort presque autant qu’en la mort

nous vivons dans l’hiver, enfants de l’assistance à l’âme déjà recluse, échoués du système, égarés de nos rêves, fuyards aussi magnifiques que pathétiques

nous vivons dans l’hiver et demain d’autres et d’autres et d’autres encore rejoindront,dans les yeux, l’étonnement, cette fausse plage aux pavés noircis d’oxyde

nous vivons dans l’hiver et nos corps n’ont plus leurs places sur les bancs étriqués et parcellés, des piques au sol nous chassent comme pigeons au chéneau, déjà nous faisons trop de bruit

nous vivons dans l’hiver, , sans candeur, sans douceur, têtes baissées, toujours prêts à fuir à la moindre sirène, l’œil moitié fermé dans la lumière froide des ruelles déclassées

nous vivons dans l’hiver, ivres le soir et, souvent, le matin, cette chaleur éphémère aux bras décharmés de sorcière antique, pythie acharnée de notre désuétude

nous vivons dans l’hiver, nous vivons dans l’hiver, nous vivons dans l’hiver, nous vivons dans l’hiver et, de leurs faces pommadées, naissent d’autres hivers

nous vivons dans l’hiver mais nous y bâtissons parfois des rêves qu’aucun prince, aucun roi, n’approchent jamais et, qu’au matin, la balayeuse à la stridence obscène emporte

nous vivons dans l’hiver et nous avons la chance de ne pas y vivre femme.


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8 réactions à cet article    


  • hans-de-lunéville 1 21 décembre 2022 10:35

    Un très beau texte, merci


    • charclot charclot 21 décembre 2022 12:54

      @hans-de-lunéville 1
      aussi... ça fait toujours plaisir.. mais c’est aussi une autobiographie décalée.


    • Areole Areole 21 décembre 2022 11:38

      « nous vivons dans l’hiver et nous avons la chance de ne pas y vivre femme. »

      Constat évident ; peu de femmes survivent dans la rue face aux risques de viols à répétition. Peu de femmes combattent lors des guerres pour parfois les mêmes raisons. 

      En temps de guerre et de misère les femmes renouent avec leur atavisme profond : chercher coûte que coûte un protecteur (la brutalité de leur partenaire n’étant alors plus un obstacle personnel puisqu’il les protège de la sauvagerie des autres mâles).

      Le féminisme est un luxe de bourgeoise en temps de guerre.

      Les femmes se vendent facilement aux vainqueurs, c’est plus sûr.

      Les vainqueurs, s’ils survivent à la guerre pourront se reproduire. Mais également les vaincus planqués « les singes pétochards ». Ces derniers étant de loin les plus nombreux leurs gênes perpétueront l’espèce.

      Nous sommes donc les héritiers génétiques des femmes qui survivent majoritairement aux guerres en se vendant et d’hommes pétochards.

      Nous avons toutes les raisons de ne pas en être fier.


      • charclot charclot 21 décembre 2022 12:53

        @Areole
        bonjour sans me faire rire j’ai souri... Sauf que femmes ET enfants sont plus victimes de pétochards que des guerriers... Si on regarde la réalité de l’histoire, les males des peuples vaincus sont massacrés et les femmes violées à la chaine créant une nouvelle ligne génétique . Il n’en reste pas moins que ceux des vaiqueurs qui n’ont pas quitté le sol natal continuent de procréer et de faire porter les cornes à ceux qui ne font que répondre à des pulsions purement animales. Voilà où le bas blesse, nous avons la force d’être plus que des animaux ne reste plus qu’à en avoir la volonté et la territorialisation économique pourra enfin être oubliée au profit d’un meilleur équilibre social... Mais peut être avons nous besoin du déséquilibre pour grandir... La question se pose peut être mais d’un autre coté il n’y a la rue que ceux que le collectif a abandonné et c’est réellement ça qui fait de nous des brutes. 


      • Areole Areole 21 décembre 2022 14:14

        « nous avons la force d’être plus que des animaux ne reste plus qu’à en avoir la volonté »

        Bon... c’est plus clair ! Vous êtes dans le camp de ceux qui sont « plus que des animaux » Vous n’êtes ni un singe pétochard, ni une brute, vous êtes « une belle personne », je m’en doutais.

        Quant à moi j’essaie de rester une brute et je redoute par dessus tout les « belles personnes ».

        C’est plus fort que moi, désolé...


        • charclot charclot 21 décembre 2022 17:16

          @Areole
          dans mes rêves je suis certainement une belle personne mais les rêves ne nourissent pas la bête


        • ZenZoe ZenZoe 21 décembre 2022 14:21

          Il est vraiment très beau ce texte, vraiment !

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