Lynchage pour un baiser
Doit-on tenir un baiser, même volé, pour une agression ? Doit-on demander la tête d'un homme pour un moment d'égarement festif ? C'est ce qui est en jeu dans l'affaire Luis Rubialès, en Espagne.
Que le monde du sport ne soit pas épargné par la déferlante MeToo, nous le savons depuis longtemps. Depuis six ans maintenant, des affaires n’ont cessé d’éclater et de jalonner l’actualité, principalement des comportements d’emprise exercés par des entraîneurs sur des athlètes féminines. Ainsi le livre de la patineuse Sarah Abitbol, Un si long silence, et les faits qu’elle y relatait ont été, dans ce contexte, très commentés, au point de devenir un cas d’espèce.
Mais, en matière d’outrages sexuels, il y a des degrés dans la gravité des actes perpétrés. Et si certains, après enquête, appellent de justes condamnations pénales, d’autres en revanche sont manifestement exagérés par l’opinion publique, de même que les sanctions qu’elle réclame.
C’est à cette seconde catégorie qu’appartient, de toute évidence, le fugace baiser de Luis Rubialès, président de la fédération espagnole de football, à la joueuse Jenni Hermoso, au soir de la victoire de la Roja sur l’équipe d’Angleterre, à Sydney, le 20 août dernier. L’équipe féminine espagnole venait de remporter la coupe du monde et l’ambiance était à la liesse. Cela n’excuse pas tout, bien sûr, mais les images qui suivaient ce fameux baiser ne montraient pas une femme particulièrement choquée, tout au contraire. On imagine sans peine les discussions qui ont dû se dérouler dans les vestiaires pour que, dès le lendemain, elle parle d’agression sexuelle et que, dans la foulée, tout le monde ou presque, depuis la sélectionneuse française au premier ministre espagnol Pedro Sanchez, exige la démission de l’audacieux Luis Rubialès (dont la première faute est d’avoir oublié qu’il était filmé).
Celui-ci a tout d’abord protesté et refusé, non sans raison, de se plier à cette injonction avant même que la justice soit passée. Entre temps il a formulé publiquement des excuses mais, sous la pression internationale, et malgré le soutien de la fédération espagnole à son président, la FIFA l’a suspendu pour trois mois de toute activité liée au football. Est-ce suffisant, aux yeux de ses érynies, pour laver son prétendu déshonneur ? Rien n’est moins certain et, désormais, tout le pousse vers une sortie définitive.
Car ce qui est flagrant dans cette affaire, c’est la disproportion entre la cause – un baiser, même volé – et les conséquences qu’elle a entrainées. Là où un rappel à l’ordre - voire un blâme - aurait dû être suffisant pour réparer cette faute légère, on crie aussitôt au scandale et on demande la tête d’un homme ; précisément parce que c’est un homme et qu’à travers lui on vise un modèle machiste de société. Le même baiser aurait-il eu autant de retentissement si c’était une présidente qui l’avait donné à un joueur victorieux dans le même contexte d’apothéose ? J’en doute fort. Tout cela se serait terminé dans un grand éclat de rire.
Mais les femmes d’aujourd’hui ont tellement intériorisé la vindicte des néo-féministes à l’encontre du sexe masculin que la moindre incartade subie est élevée au rang de crime. Ni l’humour ni l’indulgence, ces marqueurs indispensables de la civilité, ne peuvent plus tempérer leur susceptibilité ; cette susceptibilité exacerbée qui rend peu à peu impossibles les rapports de genres. Ainsi, on vide peu à peu les mots de leur sens initial. Car si un baiser devient une agression, comment doit-on qualifier un coup de poing ? Quel terme devra-t’on trouver pour en faire ressentir verbalement toute la violence ?
Loin d’être dérisoire, cette affaire réactive une dynamique d’épuration sociale qui confond vengeance et justice, affectivité et légalité. Quitte à transformer les victimes d’hier en bourreaux de demain.
Jacques Lucchesi
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