Ma radio s’est tue
Ma radio s'est tue : celle qui a été mon secours, mon réconfort, la porte ouverte sur le monde inaccessible sans elle, est devenue mon ennemie.
Les émissions que je suivais ont été supprimées sans que l'on m'en informe et les hommes qui étaient mes alliés, mes mentors n'ont été finalement que des outils, des pantins dont on tirait les ficelles, et ce « on » n'a pas d'apparence humaine.
Curieuse à chaque fois d'un changement que pourtant mon mauvais esprit me faisait deviner réducteur, je n'ai plus entendu les paroles manifestes d'un contre pouvoir, d'une critique, d'une analyse, d'une intelligence qui discutent et approfondissent.
Les journalistes sont devenus des animateurs, parlent à leurs invités comme s'ils avaient gardé les vaches ensemble. J'ai fait taire ma radio parce que leur ton m'exaspère.
Je lui préfère le doux rythme de mon horloge ou bien le ronflement de mon feu ou celui, hoquetant, de mon réfrigérateur.
L'érudition, l'esprit, le travail de ceux qui ont passé leur temps à m'expliquer, à essayer de me faire connaître et comprendre le monde, ont passé la main.
On réserve à certains quelques plages plus intimistes auxquelles je n'ai pas accès.
Après eux, il n'est plus question que de me flatter, dans ce qu'on imagine que j'ai de plus bas, il n'est plus question que de faire vibrer ma corde sensible dont on ignore tout !
Les nouvelles, toujours mauvaises, et qu'on ne peut légitimement attribuer à la fatalité ni au diable ni même à un Dieu vengeur, se débitent par tranches de thèmes à la mode et rien trahit le moindre sentiment de celui ou de celle qui les débite.
Il faut plaire à tous.
Mais cet humain inhumain de neutralité ne me dit rien qui vaille !
À l'affût d'un bon coup, d'une promotion, le contenu d'un journal n'a plus guère d'importance et le « scoop » est le gain d'une loterie que chacun espère.
Se trompant d'une virgule, le speaker se trahit.
Le langage de pute de la presse corrobore la langue de bois des politiques et sa grande liberté se trouve là, dans l'émergence de faits situés au dessous de la ceinture ou dans une attaque verbale qui manque de dignité.
Et quand ils s'indignent, c'est qu'ils sont sûrs de l'indignation populaire, mais au bout du compte, rien ne change jamais.
J'ai eu le sentiment que la perpétuation de ce monde en déroute était le vivier inépuisable de leur bonne fortune, et qu'ils s'en frottaient les mains !
J'ai fait taire ma radio qui inlassablement et sans les saisir et sans les comprendre ressassait les indices flagrants de l'urgente nécessité d'une prise de conscience et, ma propre incapacité à agir et à exprimer cette urgence n'y trouve plus lieu d'espérer, et depuis longtemps de s'enthousiasmer !
Je ne peux ni m'y apaiser ni m'y instruire et je suis renvoyée à la honte d'appartenir à cette espèce d'homo occidentalis.
Cela s'inscrit de manière indélébile en moi et chaque ligne, chaque seconde d'ondes qui exprime la désinvolture de l'homme face à l'univers qui ne lui est pas immédiatement utile, chaque crédulité, chaque attitude soumise aux lois de la soumission au pouvoir, chaque mensonge relaté sans être dénoncé, pour cause de neutralité – cette neutralité dont on se plaît à croire qu'elle peut exister sans se compromettre-, chaque acte collaborationniste m'écrasent et m'interdisent de croire en ma propre force et en la moindre chance de trouver le chemin, ne serait-ce que ténu, d'une action salutaire.
Je n'ai encore trouvé aucun engagement qui m'apporte autosatisfaction !
J'ai fait taire ma radio sur l'irréparable constat qu'elle n'est plus que le miroir d'un monde que la j'abomine.
Le gâchis total et permanent consenti par l'humanité toute entière vis à vis d'elle-même et de tout ce qui l'entoure, me semble si poignant, si désespérant que je ne fais que peu de cas du gâchis de ma propre vie.
Tous les actes irrésolus d'une société dont chaque membre en défère à Dieu ou à Diable ou au Père, celui à qui il réclame, celui vers qui il se plaint et celui que finalement il rejette pour en mettre un autre à la place, espérant trouver dans cet ailleurs la résolution de ses soucis , me redisent la pressante nécessité d'une éducation qui responsabilise ; au lieu de cela, chacun se sent sûr de son bon droit, et, dans l'anonymat de la masse, est autorisé.
Même la tolérance me devient un concept odieux et je suis à ce point écorchée que le moindre regard condescendant, même une claque sur l'épaule et qui dit « ça ne fait rien ! » me rend haineuse de l'un et l'autre protagoniste.
Pour moi qui ne tolère ni l'ignorance qui arrange, ni la sottise qui accepte des idées reçues, celles qui rendent puissamment aveugle aux conséquences de ses actes, ni la mauvaise foi qui se range toujours dans le camp du pouvoir, ni le droit qui, par défaut, autorise les actions les plus ignominieuses, moi pour qui prier Mahomet, Jéhovah ou Jésus n'est qu'une même erreur issue d'une même nécessité, la tolérance n'est qu'une « grandeur d'âme » des nantis convaincus de leur supériorité et de leur pouvoir.
Et je ne tolère pas le pouvoir.
La tolérance n'est que l'apanage d'une élite qui n'inclue pas dans ses schémas la violence sans combats du petit peuple d'en bas que l'on presse après l'avoir opprimé, ne lui laissant plus que des idées alléchantes et des chimères pour s'exprimer parce qu'on lui a confisqué sa culture, en lui faisant honte, mais qui inclut les actions d'un nouveau peuple intermédiaire qui s'est accru sans fondements ( en l'absence de culture, ayant renié la sienne) et qui envie le haut à portée de main lui semble-t-il, et dédaigne le bas qu'il juge trop vulgaire.
Cette frange induit l'uniformité dans sa conformité et niche en son sein une pseudo liberté qui n'est que libéralisme et râle dans ses chaumières secondaires parce qu'elle pense mériter plus.
La masse est inepte et pourtant chacun de ses éléments semble y trouver l'amour ; ils soignent, ils éduquent, ils enseignent, ils étudient, ils jugent, ils créent, ils cherchent, ils inventent, ils dirigent, ils causent, ils écrivent, ils exportent, ils vendent, ils défendent ou accusent : mais pas un ne sert !
Je suis enragée autant après ceux qui croient qu'après ceux qui font croire et les coupables sont trop souvent bien contents de passer entre les gouttes de leur culpabilité qui est prise pour de la fatalité.
Ainsi, le monde continue de tourner, les bien-pensants de bien penser, les humanistes de tolérer et les profiteurs de profiter.
Je me suis résolue au silence des ondes... et j'y resterai sourde jusqu'à ce que l'on crée à nouveau une radio de réflexion, de débats, de partage, de celle d'où l'on sort grandi quand on l'a écoutée.
Et moi, je ne sais pas faire...
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